Il était plus que temps pour moi de renouer avec mon cher XIXème siècle tant il me manquait et pour ces retrouvailles enfiévrées, c'est sur
Guy de Maupassant que j'ai jeté mon dévolu et sur "
Notre Coeur", son sixième et dernier roman.
Je dois avouer que j'ai d'abord été un peu désarçonnée par ce texte qui ne ressemble en rien à ce à quoi nous avait habitué l'auteur de "
Une Vie", de "
Pierre et Jean" et consorts, avant d'être littéralement happée. "
Notre Coeur" dévoile en effet une facette méconnue
De Maupassant qui très loin de ses terres normandes de prédilection ou du Paris si vivant et un peu canaille de "
Bel Ami" propose ici aux lecteurs un véritable roman psychologique au rythme un peu indolent. Dans le raffinement et le décor des salons parisiens se déploie une intrigue feutrée mais non sans passion -au contraire- qui tranche avec le réalisme parfois un peu sordide, un peu sensationnel du reste de sa bibliographie.
André Mariolle est un homme fortuné, un peu oisif, un peu musicien, un peu désinvolte aussi et charmant au demeurant qui fréquente les artistes en vogue autant que les salons. Il fait un jour la rencontre de Michèle de Burne, jeune veuve aussi mystérieuse que pétillante. La belle tient salon et traîne dans son sillage les espoirs déçus de toute une cohorte d'admirateurs énamourés qu'elle semble mépriser. de fait, Mariolle apprend par le biais de certaines confidences que Madame de Burne a le coeur froid, qu'elle fait prisonnier sans se rendre jamais en retour, qu'elle prend sans donner vraiment. Notre homme a tôt fait de juger la coquette frivole et insensible puis de jurer ses grands dieux que
lui ne perdra pas la tête, qu'elle ne le prendra pas ses filets. Pourtant, l'amour, le désir même finissent par s'immiscer en
lui alors même qu'il refusait d'y succomber. C'est ainsi que Mariolle tombe éperdument, passionnément amoureux de la jolie Madame de Burne qui -comble du bonheur, faîte de tous les transports- entreprend une liaison avec ce dernier. Alors qu'André devrait nager dans la félicité, cette histoire naissante est surtout pourvoyeuse de frustration, de mélancolie, d'amertume. le pauvre se rend bien compte qu'il n'est pas aimé, que cette histoire n'est pour sa maîtresse qu'un jeu, un délire égocentrique, une passade et cette non-réciprocité
lui fait si mal, à
lui qui avait juré ne jamais souffrir par amour, qu'il se décide à rompre et à partir. Car enfin, perdre le souffle et la vie pour une femme sans coeur, tout donner pour qui n'en veut pas, pour une égoïste, n'être qu'un caprice quand l'autre devient air et eau, à quoi bon? A quoi cela rime?
C'est dans sa fuite qu'il rencontre Elizabeth, fraîche et pure comme un cours d'eau, comme le printemps et après les neiges de l'hiver et la brûlure de l'été, la jeune fille est comme un baume, une promesse de renouveau...mais Madame de Burne n'en a pas fini avec André.
L'un des thèmes clefs du roman est aussi l'un des sujets de prédilection de Guy de
Maupassant: il s'agit de la femme et de sa place dans la société que l'auteur questionne. En creux, il interroge aussi l'amour, la passion et la place que cette dernière peut occuper dans la vie d'un homme. Difficile de ne pas voir dans ce roman cruel et désabusé les regrets et l'amertume d'un auteur qui fut souvent déçu en amour (Perdican n'aurait pas dit les choses différemment!). "
Notre Coeur" est un roman aussi beau que cynique, écrit divinement et qui propose des personnages poignants et complexes qui en plus d'être des "types" n'en demeurent pas moins des "individus". A la froide coquette qui se tient en bordure des élans du coeur s'oppose l'amoureuse naïve et tendre qui serre un peu la gorge par exemple. Deux types de femmes donc dans ce roman mais surtout deux manières d'aborder le sentiment amoureux, deux pôles qui s'opposent et se répondent... et qui symboliquement se complètent dans la bibliothèque de Mariolle lisant "Manon Lescaut" à Elizabeth. Comme cette dernière, Manon aime à la folie et comme Madame de Burne, elle est incapable de fidélité. J'ai trouvé cette réflexion sur les femmes et l'amour d'autant plus intéressante qu'elle n'est pas aussi simpliste qu'elle en a l'air (ce serait bien mal connaitre
Maupassant!): il est clair au cours du roman que si Madame de Burne ne sait pas aimer, c'est parce que son mariage fut plus subi que choisit et c'est une piste de réflexion qui vaudrait le coup qu'on s'y attarde. Enfin, tout ce questionnement ne va pas sans une réflexion aigue sur la société et ses dérives que dénonce
Maupassant: la tyrannie du paraître, la frivolité qui ôtent la capacité au coeur de s'émouvoir, cette capacité que n'ont pas perdu les femmes "du peuple".
Au delà de tout cela, "
Notre Coeur" est aussi et surtout un beau roman, une histoire intense et poignante qui m'a étrangement rappelé "
Les Nuits Blanches" de
Dostoïevski ou "On ne badine pas avec l'amour"... Ces fichus trios!
Moi, le mien de coeur se brise, quand il pense à Elizabeth...
Et puis, la beauté de la langue...
Ita missa est.