"Elle a cru me faire de la peine. Elle a plissé les yeux, glissé sa langue entre ses dents avant de me le dire, ma pauvre fille, ne prends pas tes airs d'orpheline, avec moi ça ne marche pas; ta mère, elle n'est pas morte comme tu le crois. Elle est partie quand tu avais deux ans. Tu te demandes pourquoi? C'est son cul qui la démangeait. Une pute, ta mère. C'était une pute. Voilà la vérité. "
L'incipit, à défaut d'énoncer une vérité intangible, donne la couleur de l'atmosphère toxique dans laquelle grandit la narratrice, une lumineuse gamine de 11 ans, élevée par une grand-mère mal-aimante, castratrice, égocentrique, menteuse qu'elle déteste et un père faible et lâche qu'elle aime mais dont elle va se méfier lorsque son corps va se transformer.
La révélation de la Vieille ainsi qu'elle l'appelle, aurait pu l'anéantir, elle va au contraire être un moteur de résilience. Car elle n'a plus qu'une idée en tête, sa mère est vivante, elle va la retrouver et comprendre pourquoi elle est partie en l'abandonnant. Elle va alors, tout en enquêtant patiemment, commencer à lui écrire une longue lettre, sorte de journal intime qui permet au lecteur de vivre avec elle ses espoirs, ses questions, toute son adolescence jusqu'à ses 18 ans et qu'elle trouve enfin des réponses.
Elle est intelligente, opiniâtre, terriblement attachante et pour être digne d'une mère qu'elle idéalise, elle va repousser ses limites. Sur son chemin, il y aura des gens qui, chacun à leur façon, seront des tuteurs de résilience et lui permettront de grandir malgré l'absence de la mère, de se construire sur cette absence. On n'a qu'une envie malgré ses provocations et son intransigeance ( et Dieu sait que je ne suis pas toujours à l'aise avec les personnages adolescents), c'est de la prendre dans les bras et de lui dire, tu vas y arriver, tu es incroyablement forte et ta mère serait fière de toi.
Le roman est remarquablement articulé autour d'un secret de famille que la narratrice n'aura de cesse de découvrir. L'écriture fluide et limpide évolue au fil du temps, traduisant de façon crédible et juste les questionnements un peu brouillons de la fillette, ceux révoltés de l'adolescente, puis ceux plus complexes de la toute jeune femme.
C'est vif, drôle, caustique, tendre, poignant. L'autrice livre avec ce premier roman maitrisé de bout en bout un roman fort, absolument réussi et passionnant, difficile à lâcher. Un bijou finaliste du Grand prix des lectrices de Elle en 1995, qui a reçu de nombreux prix et vient d'être réédité par les Éditions d'Avallon, à (re-)découvrir absolument ! Si vous avez aimé ses autres romans,
Cannibale blues,
Green.com ou encore
Ce que je sais d'elle, vous retrouverez dans un univers encore différent, toutes les qualités de l'écriture de Béatrice, tout est là déjà dans ce premier roman. ❤