Livre lu dans le cadre de mon défi lectures 2024, item : "Lire un livre dont le titre contient le mot rêve"... et comme j'avais celui-ci dans ma pile à lire, je l'ai choisi.
Je ne sais plus trop pourquoi je m'étais, en son temps, intéressée à ce petit roman d'une auteure que je ne connaissais pas. Peut-être parce qu'il s'agissait de l'histoire malheureuse d'un enfant rejeté et exploité devenu un adulte malheureux mal-aimé et ignoré de tous.
Je préviens d'emblée : ces 156 pages ne sont vraiment pas gaies et malheureusement guère chargées d'espoir. Aussi, si vous vous sentez un peu cafardeux, ce n'est vraiment pas le moment de lire ce livre.
De quoi s'agit-il ?
Ce roman est organisé comme une lettre virtuelle que la maman de Martin, morte depuis longtemps, adresse à son fils alors que celui-ci, lui-même âgé de 77 ans, s'achemine vers sa fin de vie.
La narratrice est donc une mère qui, de l'au-delà, et dans l'attente de l'accueillir à son côté, fait son mea culpa en expliquant à son fils les circonstances dans lesquelles il a été conçu (il est le fruit d'une histoire d'amour adultère mais néanmoins fugace), a été rejeté par le père de famille qui n'a pas été dupe, puis vendu à douze ans comme homme à tout faire dans une ferme voisine à un couple d'agriculteurs qui l'exploiteront jusqu'à plus soif et dans des conditions indignes d'un être humain.
Via la vision omnisciente qu'elle a des événements, la mère revient sur son passé, son couple, son histoire d'amour adultère et sa fin, sur les douze premières années d'existence de Martin au sein de sa famille où il fait figure de vilain petit canard, puis son devenir douloureux jusqu'à l'heure présente de sa fin de vie.
L'action du roman n'est pas datée ni vraiment localisée (c'est à la campagne), mais on sait que Martin a 12 ans le 9 mai 1940, date à laquelle il a été confié "aux bons soins" des agriculteurs. Ce qui laisse entendre que l'action a débuté à la fin des années 20. L'époque justifie-t-elle ce qui suivra ? Oui et non, à mon avis. Oui, car c'était encore un temps où la vie humaine (surtout celle d'un enfant, et notamment dans un milieu rural) n'avait que très peu de valeur. Et non, car à mon sens, ni la jalousie d'un mari bafoué, ni le manque d'éducation, ni la soumission d'une mère, ni la nécessité d'utiliser les bras des enfants pour l'agriculture ne sont des excuses suffisantes pour justifier l'injustifiable.
Car est injustifiable l'attitude du père qui n'hésite pas à sacrifier le devenir d'un enfant qui lui rappelle trop bien qu'il a été cocu.
Car est injustifiable l'attitude de cette mère soumise aux décisions de son mari qui, ni pendant, ni après, ne cherchera à "sauver" son enfant des griffes de ses bourreaux ni lui témoignera une quelconque affection maternelle. Cet état de sidération émotionnelle vis-à-vis de son fils est incompréhensible...
Car est injustifiable l'attitude des frères et soeurs qui se désintéressent complètement de leur frère (alors qu'il est enfant et quand il deviendra adulte).
Car est injustifiable l'attitude de ces agriculteurs qui font fi de la moindre charité chrétienne et qui abaissent l'enfant confié au rang d'esclave avec encore moins de privilèges qu'un animal.
Mais, ce qui est aussi parfaitement incompréhensible, c'est l'attitude de Martin lui-même qui, se sentant rejeté et mal aimé par sa famille et notamment par sa mère, s'est auto-conditionné dans cette attitude de victime, d'esclave subissant à la fois coups et humiliations et s'est maintenu coûte que coûte dans son isolement volontaire. le pire, c'est que cela continue bien après ses quarante ans.
Ce qui est intéressant ici, ce ne sont pas tant les faits, mais bien la façon dont l'auteure les décrit. On est glacé d'effroi à l'évocation de cette vie douloureuse et solitaire sacrifiée sur l'autel de l'apparente tranquillité d'une famille bien sous tous rapports. Ce qui est excellemment écrit, c'est ce regard introspectif de la mère sur les événements passés, présents, et futurs et la façon dont elle tente, avec sa confession, de rattraper le temps perdu afin d'obtenir le pardon de Martin mais aussi de se pardonner, elle (car c'est une vraie blessure qu'elle s'est infligée durant toutes ces années en niant ses impulsions premières et en évitant de retisser les liens). Ne devait-elle pas payer, elle aussi, pour sa faute ?
On est glacé d'effroi face à cette lente désespérance humaine qui montre, s'il était besoin, que l'environnement matériel et affectif dans lequel on vit enfant conditionne amplement son devenir adulte.
Certes, on se rend bien compte, a posteriori, dans les propos de la mère qu'il y avait beaucoup d'amour, amour qu'elle ne s'autorisait pas à manifester, à exprimer... Mais, comme c'est vraiment trop tard, et que le mal est fait, on ne peut, de notre point de vue, que juger tous ces gens pour "non-assistance à enfant en danger", "non-assistance à adulte en danger" et s'interroger sur cette société qui marginalise ainsi. Qui a écrit : "l'homme est un animal pour l'homme" ?
Bref, un livre bien écrit mais qui vraiment plombe le moral. On a hâte d'en sortir pour passer à quelque chose de plus joyeux.
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C'est un livre qui m'a beaucoup marquée (à avoir les larmes aux yeux), tant le récit est "déchirant" et bouleversant,et transcrit d'une plume tellement sensible!.
Cette histoire de vie de ce jeune enfant, abandonné par sa mère à l'âge de douze ans, est racontée avec tellement de pudeur et de réalisme, qu'elle vous met vraiment dans la peau du personnage, à ressentir ses propres émotions.
L'auteur nous raconte le combat, assez effrayant d'une mère, lâche de comportement, mais "gonflée" d'amour pour son enfant...et elle vivra ce drame toute sa vie.Seule, la mort va les rapprocher.
C'est triste, c'est fort de "ressenti"....et tellement pitoyable que ce jeune garçon puisse dire, à l'âge de soixante dix sept ans, dans sa maison de
retraite : " C'est ici que je vis la meilleure partie de ma vie".
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Quand elle s'est retournée sur sa bicyclette, tu étais encore là dans la cour à la regarder si fixement qu'elle a pédalé très lentement pour te laisser le temps de la quitter enfin des yeux, ainsi elle s'est éloignée comme une histoire dansante tellement étrangère à la tienne.
en la voyant, en la sentant vivre près de toi, tu es parvenu à retourner la douleur, comme on retourne une veste grise pour découvrir le côté soyeux de la doublure. Le bonheur existait encore
quand elle s'est retournée sur sa bicyclette, tu étais encore là dans la cour à la regarder si fixement qu'elle a pédalé très lentement pour te laisser le temps de la quitter enfin des yeux, ainsi elle s'est éloignée comme une histoire dansante tellement étrangère à la tienne.
entre nous deux quelque chose qui passait comme un courant quoiqu'il arrive. Une soudaine annulation du temps qui passe. Qu'il nous change, nous vieillisse et nous enlaidisse, qu'importe ! A l'instant où ses yeux se posaient sur moi les secondes n'avaient plus de poids.
tu gardes cette attitude d'observateur que tu auras plus tard. Observateur de la vie, resté à l'orée d'un festin auquel tu attendrais qu'on t'invite, mais on oublie de le faire parce que tu es trop discret, et que tu n'iras jamais exiger ton billet d'entrée