Comment, en quelques lignes aussi bien senties que possibles, résumer, éplucher, critiquer un tel texte, sans en faire un fastidieux décalque mais sans le trahir non plus ?
Car
Nu dans ton bain face à l'abîme est, c'est même son sous-titre, un MANIFESTE LITTÉRAIRE, c'est à dire cette forme assez singulière (et relativement rare dans l'histoire) d'oeuvre, souvent assez brève, généralement très polémique et engagée, une profession de foi tachant d'exprimer une position forte, se voulant souvent irrécusable, une prise de position inévitable (au moins pour son auteur). Dans une certaine mesure, c'est aussi un Cri !
En l'occurrence,
Lars Iyer, universitaire, philosophe, essayiste et romancier nous annonce (une fois encore, aurait-on envie de lui rétorquer. Sauf qu'en ces quelques quarante pages, notre philosophe fait mouche à plusieurs reprises) que la Littérature est morte.
Dans une style d'une limpidité et d'une efficacité rares, Iyer nous conte donc comment ce fait put être possible, de l'écrivain de jadis, quasi divinisé, assénant son génie, ses prophéties littéraires du "haut de la montagne" * jusqu'à l'émergence de tout un peuple d'écrivaillons, blogueurs, auteurs au petit pied, logographes insatiables de phrases creuses, de célébrité et d'argent plus ou moins facile.
Puis, à la manière d'un chirurgien, il nous explique comment ce que nous nommons encore du nom sacré de Littérature est devenu un "Cadavre fantoche" *. Poursuivant, il passe de la description théorique à l'étude de trois cas pratiques, exemples parfaits et complémentaires, selon Iyer, d'oeuvres ayant pris fait et cause pour cette mort, décidant même d'affronter son décès non sans talents mais décidément "Malades de Littérature" *.
Enfin, parce qu'à a fin des fins, lorsque le gratte-papier ayant admis ne jamais pouvoir devenir un Auteur, à la manière ancienne, se sera remis à "écrire à la veillée" *, il ne restera plus qu'à découvrir "le dernier os inviolé", après que tous les charognards auront fini de se nourrir de la bête morte.
Aussi étrange que cela puisse paraître, cet espèce de coup de grâce fait à la Littérature -telle qu'on pouvait la concevoir jusque dans les années 60, et qui aurait survécu dans les esprits jusqu'aujourd'hui, mais plus par habitude et facilité que selon un principe d'efficience- n'est pas absolument pessimiste. Certes, on sent un vrai regret sous la plume de l'essayiste, d'avoir la certitude que des oeuvres de la portée uasi révolutionnaire ET désespérée d'un
Rimbaud, d'un
Hamsun, d'un Walser, d'un Bataille, d'un Kafka ou de quelques autres ne pourront plus advenir. On comprend son énervement à cette surmultiplication de textes (d'ici peu, il y aura eu plus de livres créés par l'homme que d'être humains ayant jamais foulé cette terre), à cette facilité trompeuse d'avoir accès à tous ces titres, n'importe où, n'importe quand, de pouvoir s'instituer écrivain après avoir tracé quelques mots sur un blog, à cette "légion d'idiots -nous tous", à cette multiplication des "niches", à cette quasi disparition de l'Auteur qui s'insurge, qui risque sa peau, qui est dedans et en-dehors à la fois, constatant qu'aujourd'hui la célébrité, éphémère, d'un prosateur et de ses livres tient plus au nombre d'exemplaires vendus qu'à la qualité véritable de ce qu'il a pondu, tandis que la Littérature ne vaut désormais plus rien, aussi sens figuré comme au sens économique, etc, etc, etc.
Il regrette sans nul doute, avec un art consommé de la formule et du cynisme, que tout cela soit ainsi au détriment de ce qui ce fut. Pourtant, ici et là, on devine que
Lars Iyer n'est pas aussi déprimé que cela pourrait sembler de prime abord. Parce qu'il y a cet "os inviolé" d'où surgira, peut-être, quelque chose de totalement autre que ce que nous avons connu en des temps -supposément ?- meilleurs.
Que l'on accepte ou pas les thèse de l'auteur, que l'on soit en accord total ou en profond désaccord avec lui, ce court mais vivifiant -comme un gros coup de vent de nord-est- Manifeste ne laisse pas de nous obliger à réfléchir sur ce qu'est, ou pas, la Littérature. Sur ce que nous attendons -ce que nous sommes en droit d'attendre- encore d'elle, pour peu que nous la déclarions toujours vivante, pour nous-même ou pour nos société "post-modernes", telles que survolées par
Lars Iyer.
* les mots entre guillemets et suivi d'une astérisque sont les titres des courts chapitres du texte.