AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782290049525
381 pages
J'ai lu (04/01/1999)
3.66/5   371 notes
Résumé :
"Un jour, ce n'est rien mais je le raconte tout de même, un jour d'hiver je me suis mis en tête de réparer le radiateur de ma salle de bains (...). Je ne sais pas ce qui m'est passé sous le crâne ce jour-là, je me suis cru l'un de ces magiciens de la vie pour qui tout est facile. Il faut dire que jamais encore je n'avais été confronté à de réels obstacles, (...) alors naturellement, j'étais naïf."

Halvard Sanz est un gentil garçon. Signe particulier: ... >Voir plus
Que lire après Le chameau sauvageVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (51) Voir plus Ajouter une critique
3,66

sur 371 notes
Ce fut sans doute l'envie simple de rire, l'envie d'une lecture facile, un brin burlesque et déjantée, oui cette envie de légèreté cette semaine qui m' a guidée vers ce livre que j'ai depuis un bon moment (merci chère Nicola !). Ayant été très refroidie avec La serpe de Philippe Jaenada qui m'est littéralement tombé des mains, chose rare chez moi, j'avais parcouru d'un oeil méfiant la critique de Nicola - @NicolaK - sur « le chameau sauvage », critique mi-figue mi-raisin qui néanmoins avait eu le don de m'interpeller…Bien m'en a pris, si ce livre n'est pas un chef d'oeuvre de littérature, il reste une savoureuse bouffée d'oxygène, très bien écrite, durant laquelle je me suis vu éclater de rire à maintes reprises et rien que pour cela, cette semaine précisément, un immense merci Monsieur Jaenada ! Ce n'était pas gagné hein, la morosité m'enveloppant de son manteau noir. Et vous voilà à dos de sardine, lasso en main, à faire n'importe quoi, façon Pierre Richard, pour tenter de me l'ôter, cette mélancolie, et me changer les idées. Et dès les premières pages ça a marché. Certes, c'est un peu gros par moment, certes parfois j'avais envie de secouer cet anti-héros que vous avez la générosité de nous offrir sur un plateau, prêt à se faire croquer, triturer, malmener, aux tribulations et errances délirantes, j'avais envie de lui crier « mais nonnnnn, ce n'est pas vrai ! », oui il peut agacer, un peu, votre Harvald Sanz, mais tout de suite le ton est donné et j'ai senti mes zygomatiques se mettre, se remettre, à fonctionner immédiatement…malgré tout.

Deux jours à me délecter, à savourer les descriptions des personnages, les comportements et réactions incongrues de Harvald Sanz, anti-héros pathétique et attachant, « aussi pimpant et attrayant qu'un ver grisâtre ». Harvald Sanz est le loser, celui dont la vie « est une succession de torgnoles, un champ de bataille boueux truffé de mines, de cratères et de barbelés », le personnage qui enchaine défaite sur défaite, qui a l'art de faire toujours les mauvais choix, de rencontrer les personnages les plus loufoques et déjantés qui soit. Cela donne naissance à des situations cocasses voire délirantes. Les digressions, qui sont la pâte de cet auteur, parenthèses au sein de parenthèses, m'ont ici remplie de joie alors qu'elles m'avaient bien refroidie dans La serpe. Comme quoi, ne jamais s'arrêter à un livre pour se faire une idée définitive d'un auteur ! Sa plume est ici au service de cette farce jubilatoire, ménageant suspense, trouvailles littéraires (rien que les noms des personnages semblent sortis tout droit d'un roman d'Amélie Nothomb, prenez son amoureuse : Pollux Lesiak) et à-propos avec brio !

Les essais et excès alcoolisés de notre homme pour contrecarrer ce mauvais oeil donnent lieu à des situations drôlement tristes, pathétiques, comme ici lorsque Halvard se réveille avec quelqu'un dans son lit sans aucun souvenir de la soirée (voyez comme Philippe Jaedana a le sens de la mise en scène et du suspense, c'est délicieux) :

« J'ai d'abord essayé de reconnaitre la personne à son souffle, mais c'est comme essayer de reconnaitre une ville à la couleur de ses voitures. Une danseuse étoile et un routier roumain respirent de la même façon lorsqu'ils dorment (Je suppose). Pourvu que ce soit une danseuse étoile. J'allais être obligé de me retourner, je le sentais venir. Je pouvais avoir n'importe qui dans le dos.(…) J'ai distingué quelque chose. Une forme sous la couette. Une masse blonde au niveau de l'oreiller. Ca ne semblait pas très agressif, je pouvais effectuer un quart de tour sans risque. Une masse de cheveux blonds bouclés sur l'oreiller. Pas De visage. Les coiffeurs font des merveilles, une couleur et une permanente sont à la portée de la première venue, mais la probabilité de trouver Pollux Lesiak endormie nue près de moi devenait tout de même infime. Qui était cette personne à la chevelure blonde et bouclée ? En tout cas, pas un routier roumain, c'était déjà une grande victoire – ou alors un routier roumain hippie, et là vraiment j'avais le mauvais oeil. Non, j'apercevais un bout d'épaule : une épaule de fille. Mais de quelle fille ? Florence Piombini avait de longs cheveux blond vénitien, mais aussi bouclés que la crinière d'un cheval et c'était une amie, nous ne nous accouplions pas lorsque nous dormions ensemble – or cette sensation de brûlure n'étais pas l'oeuvre du Saint-Esprit (encore heureux)…(…) Je me suis mis en devoir de débroussailler lentement, d'écarter les mèches de cheveux une à une pour découvrir le visage. Je ne me pressais pas non seulement parce que je craignais de la réveiller par un geste trop brusque, mais surtout parce que je me voyais dans un film, j'entendais presque un accompagnement musical angoissant, un crescendo de violons lourd de menaces, j'imaginais toute une salle de spectateurs bouche-bée, un pop-corn sur la langue, n'osant pas croquer, j'écarte une mèche, toujours rien, bon sang, il y en a encore dessous, une autre, ah, une jeune femme plante ses ongles dans l'avant-bras de son fiancé, plus qu'une mèche et le nez apparaitra sans doute. (…) Oh non, Seigneur, non. La bonne femme du premier. L'hystérique au Wizard ! ».

De plus, certes c'est du burlesque, du burlesque assumé, mais ne vous méprenez pas, il y a une réelle profondeur derrière, de la réflexion, en premier lieu sur l'amour, sur l'amitié, sur les relations sociales en milieu urbain, sur la solitude, sur la mort et le deuil (le passage de notre Harvald Sanz complètement ivre passant devant un enterrement et les réflexions que cela lui inspire sur la mort m'ont particulièrement touchée). La deuxième partie du roman est d'ailleurs plus sentimentale, joliment mièvre avec un zeste de candeur, Philippe Jaenada met à l'honneur les début de la relation amoureuse, sa fin brutale, des questions plus existentielles sont posées, elles tourbillonnent et s'affolent « comme des cafards dans une cuisine sale », et viennent nuancer la première partie absolument loufoque. Cette partie est un tantinet plus poussive, elle comporte quelques longueurs il faut bien le reconnaître mais il y cette fin, imprévisible, qui m'a marquée…Quant au titre du livre, le chameau sauvage, il prend sens à la toute toute fin !

A noter de très belles envolées lyriques sur l'amour qui apportent fraicheur et candeur au livre.
« Je parlais avec elle, elle parlait avec moi. Nous parlions ensemble, nous vivions ensemble, exactement au milieu de tout le reste. Je n'éprouvais pas cette fameuse impression populaire que nous étions seuls au monde, mais plutôt, au contraire, que le monde entier s'harmonisait autour de nous – comme deux atomes qui tournent très vite l'un autour de l'autre, et par rapport auxquels s'organise le système planétaire. J'avais la sensation d'un échange d'énergie, une interaction nucléaire qui diffusait des ondes vers tout ce qui nous entourait ».

Alors je vous recommande vivement ce livre si vous avez envie de vous changer les idées, de passer quelques heures à sourire avec tendresse, voire carrément à rire aux éclats par moment, ce livre est jubilatoire ! touchant ! Et plus profond qu'il n'y parait !

Mille mercis Nicola, sans toi je n'aurais jamais lu ce livre et cela aurait été fort dommage !
Commenter  J’apprécie          7667
Fête du livre de Bron, un samedi matin de grisaille : ma première rencontre avec Philippe Jaenada. le public encore un peu engourdi par la froideur matinale, attend bien sagement l'arrivée de l'auteur qui, en un tour de main, va se charger de mettre de l'ambiance en mettant à mal l'image de l'auteur comblé d'être là devant les lecteurs potentiels de son dernier roman...On ne peut imaginer une interview plus digressive que celle-là. Philippe Jaenada va prendre un malin plaisir à fuir les questions qu'on lui pose pour mieux emmener son public sur les chemins de traverses de propos digressifs qui n'ont rien à voir avec ce qu'on lui demande mais sont en revanche fort drôles !
J'ai retrouvé la même tendance à la digression et aux histoires parallèles dans le chameau sauvage, un roman qui va cahin-caha et dans lequel il serait vain de chercher un fil d'intrigue tiré au cordeau. D'ailleurs d'intrigue, il en est à peine question, hormis le fil ténu qui relie les tribulations rocambolesques de Halvard Sanz à sa belle, Pollux Lesiak. le mot héros n'est pas non plus celui qui convient le mieux pour évoquer Halvard Sanz : un clown triste, une sorte de Buster Keaton solitaire et malchanceux, à qui rien ne réussit , en dehors de l'opportunité (pour le lecteur !) de se trouver face à des situations les plus cocasses qui soient... Jugez plutôt !
Une timide Peau-d'Ane rencontrée, un soir dans une station de métro, dans une détresse absolue, va se transformer en une redoutable harpie... La fameuse Pollux Lesiak lui apparaîtra pour la première fois , pleurant, assise au bord du trottoir, trempée de la tête aux pieds, avec à la main un tabouret cassé. Et comme Philippe Jaenada ne donne pas vraiment dans la modération, certaines scènes sont absolument délirantes, comme celle par exemple où un cul-de-jatte et un unijambiste vont voler au secours d'un manchot et d'un autre homme en détresse sur une barque... Surréaliste et irrésistiblement drôle !
Mais tout n'est pas que drôlerie, loin s'en faut, dans ce roman, jalonné par la mort tragique d'amies du narrateur. Des évocations émouvantes où la plume de l'auteur se fait délicate et chaleureuse. Rien à voir avec les propos résolument machistes sur ce que le narrateur appelle "la connaissance de l'espère féminine" ou les considérations pseudo-philosophiques et très binaires sur les comportements féminins et masculins...
Outre ce bémol sur le personnage du narrateur, j'ai également trouvé certaines scènes très répétitives et la plume de l'auteur assez irrégulière car il ne recule pas toujours devant des facilités d'écriture que j'ai trouvées déconcertantes.
Bref, vous l'aurez compris, il faut souscrire à l'idée de partir à l'aventure en lisant ce roman en acceptant à l'avance de se dire : "là, il y va un peu fort..." pour mieux rire deux pages plus loin !
Commenter  J’apprécie          360
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Halvard Sanz, le narrateur, n'est pas chanceux, c'est même un looser de la pire espèce. Un homme qu'il est préférable de fuir avant d'être contaminé.
La scoumoune, la poisse, sont son quotidien, mais il ne semble pas en être perturbé outre-mesure, presque protégé par une sorte de naïveté.
Mais ce brave Halvard est aussi un homme courageux qui n'hésite pas à se porter au secours de son prochain, lorsqu'il est témoin d'un acte de violence.
Mal lui en prend car c'est lui qui se retrouve au commissariat accusé par la victime alors que le voyou s'est enfui en sifflotant.

Imaginez donc ce qu'il en est le jour où il croise la femme de sa vie, Pollux Lesiak ? A peine vue, elle disparaît « comme une bulle de savon ».
Dès lors, Halvard consacre sa vie à tenter de la retrouver. Il la cherche, croit la voir partout, obsédante. Cette quête est prétexte à des rencontres farfelues, des aventures dramatiques contées sur le ton de l'humour.

Cette histoire d'amour car c'en est une, est entrecoupée de conseils, de mises au point, sur un ton sarcastique, cynique et intensément drôle.
Pour ma première découverte de l'auteur, je salue un roman pertinent, plein de charme qui se lit le sourire aux lèvres.
Le héros de l'histoire attachant et attendrissant dans sa maladresse m'a fait penser à Pierre Richard dans ses meilleurs rôles.
Commenter  J’apprécie          350
Comment ne pas s'attendre à une histoire étrange et loufoque dès le premier regard posé sur ce livre ? D'abord il y a ce titre : le chameau sauvage (j'ignorais qu'il y avait encore des chameaux sauvages...) et cette illustration qui ne semble pas illustrer quoi que ce soit puisqu'on y voit un cow-boy en ombre chinoise chevauchant un requin chasseur de sardines.

Cette impression se confirme dès les premières pages. On découvre le personnage principal, Halvard Sanz, un anti héros délicieux. On ne peut pas connaître homme plus malchanceux que lui, mais il reste toujours très serein, flegmatique et finalement plein d'espoir...
L'auteur nous conte ses aventures, ses états d'âme, ses conseils (si, si, c'est un homme plein d'idées et de ressources) dans un style très personnel et drôle.
Logiquement je n'aime pas les longues phrases qui n'en finissent pas et qui me perdent en cours de route. Mais il semble écrire comme il nous raconterait de vive voix, il ouvre des parenthèses, met des parties entre tirets et nous promène exactement là où il veut en dessinant sur le visage de ses lecteurs de larges sourires.
A travers les aventures de ce looser si attendrissant on touche du doigt des sujets beaucoup plus profonds, il nous entraîne dans ses réflexions sur les autres, l'amour, la mort, la vie...

Je ne pensais pas au début de ma lecture que je finirai par me sentir aussi proche de cet Halvard tellement à côté de ses pompes... Mais c'était sans compter sur le talent de Philippe Jaenada.
Commenter  J’apprécie          346
J'ai découvert et apprécié Philippe Jaenada dans ses biographies relatives à des personnages oubliés de l'Histoire. La vie de ces gens m'avait intéressé mais je m'étais surtout régalé avec les petites digressions qu'incluait l'auteur dans le récit. J'ai souri et même ri avec ces courts moments de vie personnelle. Alors lorsque l'auteur m'a confirmé, lors d'une rencontre, que ses romans précédents avaient une grande part d'autobiographie et qu'ils étaient dans la même veine, j'ai sauté sur le premier d'entre eux. Et me voilà donc lancé dans « le chameau sauvage ».

Sans attendre, je me retrouve donc à suivre les pas de Halvard Sanz, un loser de grand calibre. Car dès la première scène, on comprend que ce personnage va nous entraîner dans les tréfonds de la défaite. Il rate tout ce qu'il entreprend et enchaîne les mauvais choix. Il a surtout l'art de rencontrer les personnes les plus loufoques et les plus extravagantes qui soient. Toutes ces tribulations vont donner lieu à des scènes particulièrement cocasses où ses différents rendez-vous vont devenir le prétexte à de grands moments de délire. Je me suis bidonné avec cet énergumène qui est tout à la fois pathétique et attachant.
Mais derrière cette bouffonnerie revendiquée, Philippe Jaenada nous offre une réflexion sur sa vie, sur ses amis, sur ses amours et sur le deuil. le dernier tiers du roman est d'ailleurs beaucoup plus mélancolique. Il ternit un brin la gaieté générale de l'aventure, mais l'ensemble reste désopilant.

Pour conclure, Philippe Jaenada m'a enthousiasmé avec ce texte d'un très bon niveau littéraire, drôle, dans lequel il exploite avec talent sa verve jubilatoire. Si vous cherchez une lecture qui vous change les idées et vous fait oublier vos soucis, je vous conseille ce livre vraiment distrayant. Vous allez passer un bon moment de rigolade, où vos problèmes quotidiens paraîtront moins importants.
Je suis donc officiellement un nouveau fan de cet auteur et reviendrai à ses autres romans quand j'aurais besoin de me distraire.
Lien : https://leslivresdek79.wordp..
Commenter  J’apprécie          270


critiques presse (1)
Lexpress
28 décembre 2018
Le tout est terriblement bavard, mais chez Jaenada, c'est une qualité, car le roman est porté par une irrésistible vis comica.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
CONSEILS POUR PARAÎTRE À L'AISE DANS UN ASCENSEUR

Passer un moment dans un placard avec un inconnu est embarrassant. Face à notre prochain, nous sommes timide et confus, nous ne savons pas où mettre les yeux, nous avons envie de nous faire tout petit (et, chose curieuse, l'autre paraît toujours serein et fort, comme s'il ne se rendait pas compte de l'incongruité de la situation). Alors quelle attitude adopter pendant le trajet pour surmonter notre malaise ?

Faire l'impatient et tapoter du pied donne l'air ridicule d'un businessman surexcité. D'un autre côté, regarder l'autre dans les yeux, face à face à quelques centimètres, l'inquiète. Quant à vouloir engager la conversation avec lui c'est une erreur : même pour une discussion très banale, le temps de voyage est trop court.

– Bonjour.

– Bonjour Monsieur. La politique politicienne, j'en ai ras le bol.

– Oui, ils nous prennent pour des abrutis.

– Allez, bonsoir.

Enfin, rester comme pétrifié après avoir appuyé sur le bouton, les yeux sur ses chaussures ou sur une paroi lisse, laisse supposer que la présence de l'autre nous effraie. Ce qu'il faut éviter absolument. Car en ascenseur, tout est basé sur le rapport des forces. Il est impératif, dès la mise en présence, de prendre l'ascendant sur notre prochain. Plus qu'une simple attitude à adopter, il s'agit donc d'effectuer un travail progressif, dont le but est d'amener l'adversaire en position d'infériorité. Car deux personnes ne peuvent se sentir simultanément à l'aise dans un ascenseur. On peut le regretter, mais c'est ainsi.

Tout d'abord, il faut s'empresser de demander "Quel étage ?" avec désinvolture, avant même d'être tout à fait à l'intérieur. Si nous traînons trop, il nous devancera sans scrupule – or cette question est primordiale, car elle nous place d'emblée comme le patron de l'endroit. "Un habitué", songera-t-il. Mais rien n'est encore gagné, bien sûr. Il est maintenant indispensable de se placer le premier près du panneau à boutons, et d'attendre qu'il quémande. "Quatrième, s'il vous plaît." Ensuite, un nouveau point sera marqué si nous appuyons précisément, d'un geste souple et sûr, sur le bouton qui correspond pile à son étage (ce n'est pas sorcier, comme manœuvre, mais cela impressionne toujours – "Il connaît l'emplacement exact des boutons, un habitué..."). Ensuite, tout est simple : il suffit de conserver l'avantage ainsi acquis, en profitant du léger éblouissement causé par notre "ouverture", pour entamer avant lui, avant qu'il ne se ressaisisse, notre "développé". Le développé est la matérialisation de l'attente placide, l'attitude que prend naturellement un homme sûr de lui entre le rez-de-chaussée et le quatrième, et peut revêtir plusieurs formes : un air que l'on chantonne à mi-voix, un doigt qui caresse avec nonchalance le panneau à boutons, un coup de peigne dans la glace. A nouveau pris de vitesse, il est coincé : on imagine mal deux étrangers chantonner ensemble dans un ascenseur (ou pire, se recoiffer côte à côte, ou caresser ensemble le panneau à boutons). Il ne peut pas non plus se mettre à chantonner pendant que nous nous donnons un coup de peigne : une personne décontractée dans un ascenseur, ça passe merveilleusement, mais deux, ça frise le burlesque. "Ils n'ont qu'à se mettre à danser, tant qu'ils y sont." Non, il ne pourra que rester figé et muet, dominé, embarrassé. C'est dur, mais l'heure n'est pas aux états d'âme. Il a perdu. Il voudra se cacher dans un trou de souris, tandis que nous serons parfaitement à l'aise. Il ne restera plus alors qu'à conclure (la "fermeture") : lorsqu'il sort, vaincu, et marmotte timidement "Au revoir", nous nous contenterons d'un léger signe de tête et d'un sourire distrait, qui achèveront de l'accabler. Ouverture, développé, fermeture, l'affaire est réglée. Resté seul pour un ou deux étages encore, nous nous sentons gai et léger : le trajet s'est parfaitement bien passé pour nous.
Commenter  J’apprécie          300
J'ai pris soin de disjoncter le courant (bien entendu) puis je suis monté sur une chaise avec grâce et souplesse pour aller fouiller dans les fils. Des tas de fils de toutes les couleurs entremêlés, bleu rouge jaune, des soudures et des plaquettes, que je dérangeais au hasard du bout des doigts, que j'agitais distraitement comme un médecin qui voudrait guérir son patient de la grippe en le secouant un peu par les épaules - mais je me disais : les magiciens de la vie arrangent tout sans mode d'emploi, clic, souvent même sans y penser : la bagnole n'avance plus, attends je vais jeter un coup d’œil sur le moteur, voilà ça redémarre ; Gérard ne veut pas venir ce soir, je lui passe un coup de fil, voilà il arrive ; le radiateur est cassé, je te répare ça, voilà ça chauffe. Je suis descendu serein de ma chaise - le petit bond léger du technicien de haut vol qui vient de remplir sa mission en sifflotant - pour aller remettre le courant. Non, ça ne fonctionnait pas. Étrange.
Commenter  J’apprécie          4214
Je ne pouvais plus me dérober. Sale temps. L'heure était venue de faire face, et de choisir : décortiquer la crevette grise minuscule au risque de passer pour un grand névrosé (comme quelqu'un qui enlèverait la peau des petits pois), ou la lancer d'un coup au fond de ma gorge, avec les antennes et tout ça, au risque cette fois de passer pour un monstre (celui qui avale une souris en la tenant par la queue) ou un ignare fraichement sorti de son placard (celui qui mord à belles dents dans une orange sans avoir eu l'idée de l'éplucher). J'étais en train d'osciller fiévreusement entre ignare et névrosé lorsqu'elle s'est levée pour aller chercher un cendrier dans la cuisine. Une idée m'a traversé l'esprit comme un TGV traverse un hameau de trois habitants, mais elle s'est éloignée aussi vite. Non, si elle pivotait brusquement, saisie d'un doute, et me surprenait à voler une poignée de crevettes, mon compte était bon.
Commenter  J’apprécie          3116
J'étais assis face au commissaire, je crois. J'aurais aimé écrire : le commissaire était un grand homme tout en os, au regard clair, aux tempes grisonnantes, portant une veste de tweed et des lunettes à monture d'écaille. Mais ce serait mentir. Le commissaire était une masse adipeuse et rougeaude engoncée dans un costume en solde. Tout débordait par le col, vers une pauvre tête bouffie, congestionnée, noyée dans le surplus de gras que rejetait le costume et recouverte de quelques cheveux visqueux, que l'on devinait imbibés plutôt que sales, victimes de la formidable pression d'huile. Il illustrait parfaitement le principe du raffinage : une tonne de graisse brute à la base, le visage qui rejette la sueur, de l'huile pure qui suinte des cheveux.
Commenter  J’apprécie          3010
01 - Un jour, ce n'est rien mais je le raconte tout de même, un jour d'hiver je me suis mis en tête de réparer le radiateur de ma salle de bains, un appareil à résistances fixé au-dessus de la porte. Il faisait froid et le radiateur ne fonctionnait plus (ces précisions peuvent paraître superflues : en effet, si le radiateur avait parfaitement fonctionné, un jour de grande chaleur, je ne me serais sans doute pas mis en tête de le réparer - je souligne simplement pour que l'on comprenne bien que ce premier dérapage vers le gouffre épouvantable n'était pas un effet de ma propre volonté, mais de celle, plus vague et pernicieuse, d'éléments extérieurs comme le climat parisien ou l'électroménager moderne : je ne suis pour rien dans le déclenchement de ce cauchemar). Dans le domaine de la réparation électrique, et d'ailleurs de la réparation en général, j'étais juste capable de remettre une prise débranchée dans les trous. Pas de prise à ce radiateur, évidemment. Mais je ne sais pas ce qui m'est passé sous le crâne ce jour-là, je me suis cru l'un de ces magiciens de la vie pour qui tout est facile (il faut dire que jamais encore je n'avais été confronté à de réels obstacles, ni dettes faramineuses, ni chagrins d'amour, ni maladies graves, ni problèmes d'honneur avec la pègre, ni pannes de radiateur, rien, peut-être un ongle cassé - alors naturellement, j'étais naïf).

07 - En trois mots trois virgules, je venais de proposer à une fille que je connaissais pas de venir se déshabiller chez moi. Tu viens chez moi et tu te déshabilles. Qu'on me les montre, les tombeurs capables de ce genre de prouesse. Évidemment, je m'avançais un peu, car pour qu'il y ait prouesse il fallait d'abord qu'il y ait réponse de la partenaire (il doit y en avoir des tonnes, des séducteurs de pacotille qui proposent à des femmes de venir se déshabiller chez eux et qui essuient un échec). Tout à l'euphorie intime suscité par ma phrase, je ne doutais plus de rien, je me voyais en crack.
Commenter  J’apprécie          90

Videos de Philippe Jaenada (64) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Philippe Jaenada
Son rapport à la famille, au VIH SIDA, sa réussite personnelle, la plus belle remarque qu'on lui a faite sur son livre, découvrez l'entretien avec Anthony Passeron, dixième et dernier épisode de cette première saison Filature.
Anthony Passeron enseigne les lettres et l'histoire-géographie dans un lycée professionnel. Il est né à Nice en 1983, une région qui est au coeur de son premier roman, paru aux éditions Globe, dans lequel il revient sur l'histoire familiale et la figure de son oncle Désiré, mort prématurément du sida et dont le destin tragique a longtemps été occulté. Une véritable révélation littéraire.
Filature, la nouvelle série du Média de la Fête du Livre de Bron présente 10 podcasts où Florence Aubenas, Sébastien Joanniez, Victor Hussenot, Jeanne Macaigne, Corine Pelluchon, Michka Assayas, Kamel Benaouda, Seynabou Sonko, Philippe Jaenada, Anthony Passeron se laissent aller au fil des mots. 10 formats courts de 4 minutes à écouter sur le Média et les réseaux sociaux de la FdLB.
© Collectif Risette/Paul Bourdrel/Fête du Livre de Bron 2023
+ Lire la suite
autres livres classés : romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (902) Voir plus



Quiz Voir plus

Compléter les titres

Orgueil et ..., de Jane Austen ?

Modestie
Vantardise
Innocence
Préjugé

10 questions
20278 lecteurs ont répondu
Thèmes : humourCréer un quiz sur ce livre

{* *}