PÈRE UBU : Allons, tais-toi, bouffresque. Nous allons maintenant, mes-sieurs, procéder aux finances.
FINANCIERS : Il n’y a rien à changer.
PÈRE UBU : Comment ! Je veux tout changer, moi. D’abord, je veux garder pour moi la moitié des impôts.
FINANCIERS : Pas gêné !
PÈRE UBU : Messieurs, nous établirons un impôt de dix pour cent sur la propriété, un autre sur le commerce et l’industrie, et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les célibataires et un cinquième sur les décès, de quinze francs chacun.
FINANCIERS : Mais, c’est idiot, Père Ubu.
DEUXIÈME FINANCIER : C’est absurde.
PREMIER FINANCIER : Ça n’a ni queue ni tête.
PÈRE UBU Vous vous fichez de moi ! Qu’on m’apporte une casserole : je vais inventer en votre honneur la sauce financière.
MÈRE UBU : Mais enfin, Père Ubu, quel roi tu fais, tu massacres tout le monde. (p29)
(Ubu sur la butte)
Où allons-nous, mère Ubu ? « Quo vadimus ? »
C’est bien simple : en France :
La France réunit pour nous tous les attraits :
Il y fait chaud l’été, l’hiver il y fait frais,
Les institutions sont mises sous vitrine :
Défense de toucher au clergé, la marine,
Au sceptre immaculé des gardiens de la paix,
Au dur labeur des bureaucrates occupés.
L’expérience de ma trique me décide
À croire qu’en effet tout ça n’est pas solide,
Et que l’on ne saurait trop mettre en du coton
La finance, l’armée et la magistrature,
Fragiles bibelots que fêle mon bâton.
L’âge d’or luit encor, plus doré que nature :
Un suffrage éclairé nomme des députés
Dont les programmes sont toujours exécutés ;
Et le char de l’État est du même système
Que si le père Ubu l’avait construit lui-même.
La France est le pays des lettres et des arts :
Le nombre de ceux-ci s’élève jusqu’à « quatre » :
Aussi la nomme-t-on le pays des Quat’s-Arts,
Antique cabaret célèbre dans Montmartre !
(p47) (Ubu sur la butte)
PÈRE UBU : Eh merdre ! Dans la trappe ! Amenez tout ce qui reste de personnages considérables ! (Défilés d’actualités et texte « ad libitum ».) Toi qui ressembles étrangement à un célèbre piqueur de l’Élysée, dans la trappe ! Et vous, préfet de police, avec tous les égards qui vous sont dus, dans la trappe ! Dans la trappe, ce ministre anglais, et pour ne pas faire de jaloux, amenez aussi un ministre français, n’importe lequel ; et toi, notable antisémite, dans la trappe ; et toi le juif sémite et toi l’ecclésiastique et toi l’apothicaire, dans la trappe, et le censeur et toi l’avarié, dans la trappe ! Tiens, voici un chansonnier qui s’est trompé de porte, on t’a assez vu, dans la trappe ! Oh ! Oh ! celui-ci ne fait pas de chanson, il fait des articles de journal, mais ce n’en est pas moins toujours la même chanson, dans la trappe ! Allez, passez tout le monde dans la trappe, dans la trappe, dans la trappe ! Dépêchez-vous, dans la trappe, dans la trappe ! (p30)
(Ubu sur la butte)
PÈRE UBU : Tiens, pochard, soûlard, bâtard, hussard, tartare, calard, cafard, mouchard, savoyard, polognard !
LE ROI : Au secours ! Je suis mort !
PÈRE UBU : Tiens, capon, cochon, félon, histrion, fripon, souillon, polochon ! Est-il bien mort ? Eh aïe donc ! (Il l’achève.) Me voici roi maintenant ! (p20)
(Ubu sur la butte)
LE MOUTARDIER : Tais-toi, Guillaume ! Les premiers seront les derniers, comme dans l’Évangile.
L’AMBASSADEUR BELGE : Ouaïe ! Alors quel ordre est-ce que tu prends, dô ?
LE MOUTARDIER : Attendez ! Tiens, c’est bien simple ! De l’alpha jusqu’à l’oméga. Dans l’ordre alphabétique !
L’AMBASSADEUR BELGE : Tu es farce !
L’AMBASSADEUR ALLEMAND : Et inzolent ! Et l’alphabet en quelle langue, donnervetter ?
LE MOUTARDIER : En français, langue diplomatique ! (p67)
(Le moutardier du pape)
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Quelle pièce de théâtre nous montre le pitre le plus grotesque jamais imaginé dans une étourdissante fête du langage et s'ouvre… sur un gros mot ?
« Ubu Roi » d'Alfred Jarry, c'est à lire en pochez chez Etonnants Classiques.