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EAN : 9782080239204
192 pages
Flammarion (24/08/2022)
3.54/5   200 notes
Résumé :
La Plage est le nom de la boîte de nuit d'une petite ville en bord de Loire.
C'est là qu'Arthur, dès l'adolescence et pendant plus de vingt ans, se rend avec frénésie. Dans ce lieu hors du temps, loin des relations sociales ordinaires, il parvient curieusement à se sentir proche des autres, quand surtout ailleurs sa vie n'est que malaise et balbutiements. Sur la piste de danse, il grandit au gré des rencontres - amours fugaces, amitiés violentes, modèles mas... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (81) Voir plus Ajouter une critique
3,54

sur 200 notes
En refermant ce roman, j'ai eu un coup de blues. Bien que l'histoire se déroule majoritairement dans une discothèque, par principe lieu de divertissement où l'on fait la fête entre potes, il en ressort une profonde mélancolie.

Dès les premières pages, s'installe une sorte de spleen. Arthur n'est pas un ado heureux. On le suit dans ses efforts pitoyables pour ressembler aux autres. Au rythme de la Play List, on partage ses pensées les plus intimes. Car Arthur est le narrateur de cette vie gâchée à courir après ses fantasmes de vie amoureuse et sociale.
Cette discothèque, « un grand bâtiment jaune et rectangulaire qui ressemblait à un container » se nomme « La plage » et c'est là qu'Arthur, adolescent timide et encombré de son corps trop maigre, se contente d'admirer les autres, les décomplexés qui dansent, chahutent et draguent avec naturel. Comme Vincent, le copain trop cool qu'il envie. Mais lui, l'inadapté à toute vie sociale, s'enfonce dans sa solitude à mesure que passent les années.
Partout où il passe, Arthur a du mal à s'intégrer. Même dans sa famille où l'on ne comprend pas cette frénésie à sortir plusieurs fois par semaine pour passer ses nuits dans une boite bruyante et bondée.

Peu à peu, le garçon timide a mué, du moins en apparence. Il sculpte son corps en pratiquant la musculation et il danse à présent sans retenue, mais c'est toujours le vide dans sa vie, et ses rencontres à « La plage » avec ces Dylan, Wassim, Marlène ou Isabelle ne sont que feu de paille.
« Je rêvais d'une petite amie, d'une personne à qui tenir la main, avec qui aller au cinéma, faire des promenades et l'amour en plein après-midi. Je n'en trouvais pas ici. »
Les années passent et Arthur toujours aussi seul, continue de fréquenter assidûment « La plage », son lieu d'ancrage qui lui tient lieu de famille, même si la clientèle change et ignore ce presque quadra qui mime les jeunes. C'est pitoyable et on se prend de compassion pour ce solitaire, toujours à contretemps dans sa vie, sauf sur le dancefloor.
« Je commençais à entrevoir la durée effective d'une existence, à en pressentir les contours, à comprendre que tout irait plus vite que prévu et qu'en conséquence, il valait mieux se presser un peu pour ne pas mourir seul »

Victor Jestin a su avec justesse cerner son héros, immature et solitaire. Son écriture fouille, éclaire au rayon laser cette vie faite de faux-semblants et d'artifices sous les néons et les boules à facettes.
Un second roman réussi.




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Dans une petite ville du bord de la Loire, Arthur, un garçon maladivement timide, introverti et asociable, fait ses premiers pas dans la boîte de nuit La Plage à dix ans, à l'occasion d'un goûter d'anniversaire d'un camarade, dont l'oncle, Guy, est le propriétaire. Il est d'abord tétanisé par l'endroit et lorsque Guy propose de danser, il ne bouge pas. Pourtant, progressivement, sur une période de trente ans, il va faire de cet endroit le centre de sa vie. ● J'avais aimé La Chaleur et je trouve que Victor Jestin réussit son deuxième roman, en accomplissant l'exploit de nous donner à voir une existence vide et solitaire, répétitive, sans nous ennuyer une seule seconde. ● Arthur est un garçon différent, toujours à contretemps, très mal à l'aise dans les relations sociales, et cela, l'auteur le montre très bien par le récit (et non par la description). « Voilà. J'étais moyen », nous dit Arthur. « J'avais du mal, par exemple, à tenir une conversation. Tout ou presque dépendait de ça. Certaines personnes le faisaient naturellement, trouvaient des choses à dire sans cesse et sans réfléchir ; je n'en avais qu'un petit fond, toujours le même dans lequel fouiller pour boucher les silences : Ça va ? Ça fait longtemps que t'es là ? Tu penses qu'il va pleuvoir ? Et puis je m'essoufflais. Je n'arrivais pas à rebondir sur les réponses. Je n'étais pas intéressant, intéressé à peine, puisque je ne prenais pas le temps d'écouter, trop occupé à réfléchir, à chercher des choses à dire, en vérité pas même des choses mais des phrases, des mots, des bruits. Ce devait être embarrassant. Les gens préféraient m'éviter. » ● Pour autant, Arthur ne semble pas souffrir d'une maladie mentale : « Ces difficultés, quoique fréquentes, n'étaient pas assez fortes pour suggérer chez moi un handicap ou un alibi de ce genre. Il s'agissait tout bonnement de mon caractère. » ● La danse, qu'il met si longtemps à apprivoiser, est la seule activité où il peut se sentir vivant, car, après l'avoir tant effrayé, elle le rassure, dans la codification qu'elle propose des rapports humains : « C'est là que j'ai ressenti précisément pourquoi j'aimais tant ça. Je le savais depuis longtemps sans jamais me l'être formulé : dans la danse, la vie s'ordonnait, se réglait en un système de rythmes et de mouvements dont même les ruptures répondaient à une logique ; c'était comme un quadrillage géant, un filtre familier posé sur ce qui partout ailleurs relevait pour moi de l'immaîtrisable. » ● Il n'est pas étonnant dans ces conditions qu'Arthur soit inapte au bonheur : « Je craignais d'entrevoir trop violemment le bonheur ou quelque chose du genre. J'aimais mieux m'en tenir à ce qui était à ma portée. » ● le roman propose aussi une certaine vision de la masculinité aujourd'hui. Il a un vrai ton, une vraie sensibilité. J'ai beaucoup aimé, je conseille !
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Le décor est simple : La Plage, une boîte de nuit, ouverte dans les années 90. Les premiers pas humiliant sur la piste de danse auraient pu le dissuader à vie d'y revenir . Et pourtant, peu à peu, dans le vide de son existence le narrateur s'accrochera à cette vie nocturne et ses artifices, au point d'en devenir un ancrage sécurisant.

Malgré tout, la solitude hante les pages ; Arthur ne parvient pas à créer des liens durables avec ses congénères et en particulier avec les filles. le roi de la danse reste désespérément seul.

Avec les années qui passent, on sent qu'au-delà des néons et de la déco minimaliste, à l'extérieur des minces frontières de la boite, les temps changent. Les êtres croisés apportent avec eux les indices qui témoignent de cette évolution.

Beaucoup de sensibilité dans ce texte intime, qui retrace l'itinéraire d'un solitaire, en quête permanente d'une place légitime, jamais à l'aise dans la relation, toujours à contretemps dans sa façon d'être.

Très belle écriture, précise et authentique. Belle réussite après La chaleur.


192 pages Flammarion 24 Août 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Ultra moderne solitude

Victor Jestin confirme avec ce second roman tous les espoirs nés avec La chaleur. En suivant Arthur, qui passe presque toutes ses nuits en boîte, il explore le mal-être de toute une génération.

C'est à la fête d'anniversaire d'un copain de classe, à laquelle il est invité après un désistement, qu'Arthur découvre La Plage. La boîte de nuit, privatisée pour l'occasion, ne va cependant pas lui laisser un souvenir très agréable puisqu'il va se retrouver bloqué au moment d'inviter sa cavalière sur la piste de danse.
Ce n'est donc pas de gaîté de coeur que huit ans plus tard, il y retourne. le lieu est alors l'endroit où les garçons doivent choper les filles, c'est-à-dire parvenir à les embrasser et plus si affinités. Mais là encore – par crainte et maladresse – Arthur va être incapable de suivre cette injonction. Mais il suit avec curiosité ses amis et cherche le moyen de dépasser sa timidité maladive. En s'inscrivant dans un club de sport, il se dit qu'il pourra transformer son physique chétif, mais il va surtout finir par trouver un emploi à l'accueil, ce qui va lui permettre de dégager du temps pour ses sorties à La Plage et financer ses rendez-vous qui se multiplient jusqu'à devenir réguliers, du jeudi au dimanche.
Entre temps il aura pris des cours de danse et croisé la route de quelques jeunes filles. Mais s'il n'est plus puceau, il est incapable de construire une liaison stable et va faire de la piste de danse le lieu de son exutoire.
En retraçant en de courts chapitres la chronologie de cette addiction, Victor Jestin trouve l'angle idéal pour raconter l'ultra moderne solitude chantée par Souchon:
Pourquoi ce mystère
Malgré la chaleur des foules
Dans les yeux divers
C'est l'ultra moderne solitude

Pourquoi ces rivières
Soudain sur les joues qui coulent
Dans la fourmilière
C'est l'ultra moderne solitude

Dans ce lieu construit pour faciliter les rencontres, ce n'est pas la chaleur humaine que croise Arthur, mais le clinquant et le factice. Ce n'est pas la vraie vie, qu'il aspire à remplir, qui l'attend à la plage mais un monde sublimé que l'alcool et la musique transforment pour quelques temps en un cocon, une parenthèse enchantée. Sauf que la gueule de bois est inévitable et qu'au fil des années elle va se faire de plus en plus insupportable.
Dans ce drame de la vie ordinaire, le romancier se fait aussi sociologue, nous raconte la fin de ce type d'établissements supplantés par les sites de rencontre et les applications censées mieux faire matcher les profils. Une nouvelle arnaque?
Ce second roman confirme le talent de Victor Jestin. Après La chaleur, qui avait notamment été couronné par le Prix de la vocation, ce second roman vient de se voir attribuer le Prix Blù Jean-Marc Roberts par un jury exigeant. Gageons qu'il n'en restera pas là!

Lien : https://collectiondelivres.w..
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"Peut-on faire une vraie rencontre en boîte de nuit ?". Et notre narrateur, il en faut des rencontres : un chapitre, une nouvelle personne. Et, au bout du compte ? Il est fidèle, la discothèque en addiction sur des années. Y aller pour danser. Pas pour boire, ni se droguer, ni draguer, ni baiser. Danser. Les journées passées à attendre le nouveau passage de l'entrée, du videur, du vestiaire, et cette salle qui emmène. Ce livre me rappelle évidemment un ancien métier mais vu de l'autre côté ; j'en ai croisé tant et tant, souvent me demandant aujourd'hui ce qu'il ou elle est devenu(e). Tous ces gens qui dansent, bien ou pas, peu importe, avec toujours ma tendresse et une certaine curiosité pour celui qui dansait différemment, pas toujours en rythme, mais avec un telle joie qu'il attirait le regard. Souvent je m'imaginais tous ces corps mais sans musiques, ça devenait alors drôle mais pas risible. Ce roman écrit avec une grande simplicité est réussi : à travers ce prétexte de clubbing, ce sont les années qui passent, les rencontres sans lendemain, les "amis" de soirées qu'on ne connait finalement pas, et le monde de la nuit qui a bien changé. C'est aussi une nostalgie, celle des discothèques dites généralistes, des discothèques de campagne, le moment des slows, le rendez-vous de la semaine, les dragues en direct ; les applications de rencontres venant détruire cette spontanéité là, la séduction par le mouvement ; et plus la nuit passait, et plus le mouvement était remplacé par l'ivresse, et la séduction par la nécessité. Et puis, la lumière s'allumait, la magie en moins, la réalité brutale, la solitude entre deux, avant la prochaine nuit. La nuit plus forte, plus importante, plus vivable même que le jour. Merci pour ces souvenirs monsieur l'auteur. Spotlight !
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critiques presse (4)
Liberation
18 novembre 2022
La boîte de nuit, repaire de fêtes, de déboires et de rencontres. Après un camping dans les Landes, c’est une petite discothèque en bord de Loire, la Plage, que choisit Victor Jestin pour son deuxième roman, L’homme qui danse. L’auteur de 28 ans, habitué aux phrases courtes et au vocabulaire épuré, revient avec un texte frappant sur la solitude, dans un monde où l’on ne se sent pas forcément à sa place.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeFigaro
22 septembre 2022
Avec un génie délicat, impalpable et un sens naturel des images, l'auteur nous fait saisir l'impossibilité où est son personnage d'entrer dans la vie.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeFigaro
05 septembre 2022
Attention, chef-d’œuvre: L’Homme qui danse de Victor Jestin, c’est L’Étranger au Macumba Club.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaLibreBelgique
25 août 2022
La plume aiguisée de Victor Jestin pour dérouler la morne vie d’Arthur, "L’homme qui danse".
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Au petit matin les boîtes de nuit trahissent.
Elles révèlent d'un coup la laideur et la saleté. Les lumières s'allument, la musique s'éteint; l'air sent la sueur et l'usine, le sol colle, le palmier est en plastique. Il y a des murs et un plafond, la pièce a des dimensions. Pire, tout le monde s'en va.
Restent les plus saouls, les plus désespérés, comme des enfants qui refusent d'aller au lit. Le videur les chasse. La fête est finie. Il n'y a plus que le bâtiment vide, et moi, oublié sur la banquette du fond.
Les yeux me piquent d'avoir pleuré, mon crâne est chaud, mon corps allongé sur le côté, la tête contre le cuir. Je ne sais pas à quelle heure je me suis endormi.
Ce devait être triste et drôle. J'aurai bientôt quarante ans, c'est vieux pour ici, c'est presque mort. Je suis périmé. Il est temps de partir. Mais je ne sais pas où aller.
J'entends le barman qui lave ses verres. Il ne me voit pas. Tout va bien. Je peux gagner du temps. Je peux même, en regardant la piste et en plissant les yeux, imaginer des gens dessus, la foule qui danse, la nuit qui continue, encore un peu.

1990
La première fois que je suis venu ici, j'avais dix ans.
Je me souviens, j'étais assis sur mon banc dans la cour de récré, les pieds dans le vide, seul comme un nouveau, mais je n'étais pas nouveau, c'était la même école et les mêmes gens depuis le CP. Ils jouaient au foot à un mètre de moi. Pour qu'ils me prennent dans une équipe, n'importe laquelle, je les regardais en souriant.
C'est alors qu'Anthony est venu me parler.
— Dimanche je fais mon goûter d'anniversaire dans un endroit spécial. Il faut qu'on soit autant de garçons que de filles et il y en a un qui peut pas venir, est-ce que tu veux le remplacer ?
Sa proposition m'a touché.
— D'accord.
Il m'a donné une enveloppe bleue puis il est reparti jouer.
Mes parents n'étaient pas habitués à m'emmener à des goûters d'anniversaire. Il y en avait eu déjà quelques-uns, mais toujours des invitations d'amis de la famille ou de voisins. Celle d'Anthony était plus authentique. Quand je leur ai montré l'enveloppe, ils m'ont félicité comme si c'était mon anniversaire à moi. Le dimanche à quinze heures, nous nous sommes donc rendus au point de rendez-vous.
C'était un parking au centre duquel trônait un grand bâtiment jaune et rectangulaire qui ressemblait à un container. Les invités étaient rassemblés devant.
L'oncle d'Anthony nous a accueillis. Il s'appelait Guy. Blond, musclé, bronzé, il avait l'air d'un maître-nageur ou d'un animateur de camping. Il nous a expliqué fièrement que le bâtiment s'appelait La Plage et qu'il en était le propriétaire. Il s'agissait d'une « boîte de nuit ». Je ne savais pas ce que c'était.
Mes parents en revanche ont paru troublés. Ils m'ont demandé si j'étais d'accord pour y aller, j'ai dit oui pour ne rien compliquer et ils m'ont laissé avec Guy, qui m'a fait rejoindre les autres. J'en connaissais la plupart, ils étaient dans ma classe. J'ai voulu leur dire bonjour mais Guy a tapé dans ses mains :
— Alors les terreurs, vous voulez voir comment c'est à l'intérieur ?
Tout le monde a crié « Oui ! ». Je l'ai dit aussi, à voix plus basse, et nous sommes entrés.
Nous avons cheminé en file dans un couloir sombre. Il y avait une odeur de peinture et de poussière, de travaux pas finis. Guy a ouvert une deuxième porte et nous avons débouché dans une grande pièce vide, une sorte de salle polyvalente éclairée par des néons. Des tables et des chaises étaient disposées le long des murs. L'espace semblait avoir été dégagé pour que quelque chose s'y passe.
— Vous voulez danser ?!
Tout le monde a encore crié « Oui ! ». J'ai voulu le faire aussi mais cette fois rien n'est sorti. À partir de là, les événements m'ont dépassé. Guy s'est installé à une table sur laquelle était posée une machine reliée à des fils électriques. Il a appuyé sur un bouton et les lumières se sont éteintes, remplacées par une boule à facettes multicolore suspendue au plafond.
L'ambiance s'est tendue d'un coup. Nous sommes tous devenus plus beaux.
— Les garçons d'un côté, les filles de l'autre.
Quand je mets la musique, les garçons, vous invitez une fille à danser !
Les deux groupes se sont alignés. Pris de court, j'ai suivi. En quelques secondes je me suis retrouvé face aux filles, séparé d'elles et du même coup sommé de les rejoindre.
Madonna – Like a Prayer
Personne n'a bougé.
— Allez, les garçons, un peu de courage !
Anthony a fini par se décider. Il a traversé la piste vers une fille. Les autres ont suivi, les duos se sont formés. La musique est montée d'un cran, et alors d'un même élan, comme si tous avaient répété, ils ont commencé à danser. Leurs bras et leurs jambes se sont mis à enchaîner des mouvements, débordant d'idées, tournoyant par paires sur le sol soudain mouvant lui aussi, parcouru de ronds de lumière. Je me suis
retrouvé seul, à ce détail près qu'en face de moi se tenait une fille plus seule encore, la restante, Aurélie.
Elle avait gardé son pull par-dessus sa robe. Dépassant à partir des genoux, ses jambes subitement fines la faisaient ressembler à un flamant rose. Elle me regardait d'un air apeuré ; craignait-elle que je l'invite, ou que je ne l'invite pas ?
— Manque plus que toi ! m'a crié Guy.
J'ai voulu me lancer mais je suis resté bloqué. L'espace était devenu vaseux. J'étais englué. J'ai réessayé à plusieurs reprises, de toutes mes forces, de toute ma bonne volonté, mais à chaque fois quelque chose en moi se ravisait, comme si j'hésitais au bord d'un plongeoir.
Guy a quitté sa table pour venir me voir. La musique a continué sans lui, les autres aussi. Tout avait l'air automatique.
— Alors, Arthur, tu ne veux pas danser ?
— C'est pas ça...
— Tu n'as pas envie de danser avec elle ?
— C'est pas ça...
— Tu as peur du regard des autres ?
— C'est pas ça...
— C'est quoi, alors ?
J'ai cherché les mots pour expliquer.
— Je suis bloqué.
— Mais non, tu n'es pas bloqué.
— Je vous jure que si.
— Donne-moi ta main.
Il a pris ma main et m'a emmené vers Aurélie. Je sentais mes pieds râper le sol comme une armoire tirée sur le parquet, et pourtant je marchais, un pas après l'autre.
— Tu vois, tu n'étais pas bloqué.
Il m'a lâché devant Aurélie.
— Maintenant, invite-la.
Elle regardait ses chaussures et je regardais les miennes.
— Invite-la, tu vois bien qu'elle est gênée.
Je le voyais et j'en étais désolé. Je n'avais rien contre elle. J'aurais fait sa connaissance avec plaisir dans d'autres circonstances. Simplement, je n'arrivais pas à danser. Mais il le fallait. Les autres me regardaient. La honte montait en moi. J'étais malpoli, je gâchais la fête. On ne me réinviterait pas.
Je suis parvenu à lever une main et à la maintenir quelques secondes à mi-hauteur, entre Aurélie et moi. Elle l'a saisie d'un coup. Je l'ai serrée. Nous étions accrochés.
— Et maintenant, fais-la danser.
Je ne savais pas comment faire. On ne m'avait jamais montré. Il me manquait une impulsion pour démarrer. Chaque idée de mouvement portait en elle toutes celles auxquelles il fallait renoncer. J'ai essayé plusieurs fois, comme une voiture qui cale. Mes efforts étaient invisibles. On pouvait croire que je faisais un caprice.
— Mais enfin, c'est pas si compliqué ! Il suffit de se lâcher ! Regarde !
Et Guy a commencé à danser, levant ses cuisses l'une après l'autre, claquant des doigts avec un grand sourire. Je l'ai trouvé moche. Il voulait que je danse, ça l'obsédait. Que se passerait-il si je continuais à désobéir ? Se mettrait-il à crier ? Moi, je pouvais pleurer. Je n'avais plus que ça pour me faire entendre, on me laisserait tranquille à cette seule condition. Mais ça ne venait pas. Ma colère prenait toute la place.
J'ai lâché la main d'Aurélie.
— Bon, a soupiré Guy, ça suffit. Ici c'est une boîte de nuit, c'est fait pour danser. Tu imagines si tout le monde faisait comme toi ? Danse avec moi, je vais te montrer.
Il m'a attrapé la main, sèchement. Soudain j'ai crié «Non!», et avec mon autre main j'ai tapé sur la sienne. Le bruit a résonné. Je l'ai regardé en serrant les dents et vraiment cru qu'il allait hurler. Au lieu de ça, il m'a donné une claque, une grande claque qui a résonné en retour et mis ma joue en feu. Mes larmes sont sorties. Guy s'est pris la tête dans les mains en gémissant. Les autres se sont figés. Seules la musique et la lumière ont continué, comme pour insister encore : allez, Arthur, rien qu'un petit pas, le reste suivra...
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– Je finis mon verre et je vous rejoins! ai-je crié. La banquette sans accoudoirs m’a paru d’un coup trop grande. J’ai aspiré le fond de mon verre et la paille a fait des bulles dégoûtantes. Je me suis allumé une cigarette. Encore quelques minutes et je me lance, ai-je décidé. La piste s’étalait comme une mer à mes pieds. Là se trouvaient donc les filles à aborder. C’était un bal. Ça ne valsait pas mais en fait c’était tout comme un bal, archaïque et cruel. Chacun se cherchait un partenaire. Si jamais cette foule formait un nombre impair, l’un de nous se retrouverait seul au bout du compte, et cela risquait bien d’être moi, comme aux chaises musicales de mon enfance. Les gens se pressaient. Ils se ressemblaient. Tous se confondaient dans cette lumière, jetée sur eux pour lisser leurs visages, gommer leurs boutons, effacer leurs formes et leur en inventer d’autres. C’était une ambiance excitante, dangereuse aussi, car tous ici, devenus plus beaux, devaient redoubler d’attentes, saturer la boîte de désir, plus qu’elle n’en pouvait contenir. Il existait certainement quelque part un interrupteur pour rallumer les néons du plafond, faire que tout le monde sursaute, se réveille soudain dans les bras d’inconnus rouges et suants.
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Au petit matin les boites de nuit trahissent. Elles révèlent d'un seul coup la laideur et la saleté. Les lumières s'allume, et la musique s'éteint ; l'air sent la sueur et l’usine, le sol colle, le palmier est en plastique. Il y a des murs et un plafond, la pièce a des dimensions. Pire, tout le monde s'en va. Reste les plus saouls, les plus désespérés, comme des enfants qui refusent d'aller au lit. Le videur les chasse. La fête est finie. Il n'y a plus que le bâtiment vide, et moi, oublié sur la banquette du fond.
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Ça a recommencé huit ans plus tard.

-Les mecs, on va en boîte ?

Je fumais sur le canapé chez Vincent, avec deux autres garçons dont je ne me souviens pas, des figurants. Je me souviens de Vincent. Il était imposant, vêtu toujours de T-shirts blancs et de jeans sales, parfois sentant fort, mais son odeur même jouait pour lui, façonnait comme tous ses gestes une virilité mûre avant la nôtre, un corps d’homme. Il était droitier mais fumait de la main gauche. J’aimais cette manière qu’il avait de chercher son briquet dans sa poche, une cigarette à la bouche, de l’allumer tête inclinée, de ponctuer ses phrases par une longue latte qui nous laissait suspendus à ses lèvres, de jeter enfin son mégot pour signaler la fin d’une conversation. Assis à côté de lui, une fesse dans le vide, je me concentrais pour ne pas crapoter, bien inhaler comme aux répétitions dans ma chambre. J’en espérais un peu de plaisir, rien qu’un peu pour qu’il se voie sur mon visage, mais c’était immonde, un goût de poussière et de mort qui me brûlait jusqu’aux larmes. Je disais que j’étais allergique au canapé. J’aurais tout fait pour rester là, dans le nuage commun, en sursis. En vérité, je n’étais qu’à moitié leur ami. J’étais une option, une pièce rapportée, greffée à la bande par la force du temps, à l’usure, le genre d’ami dont la présence et l’absence pèsent le même poids négligeable.

– On va en boîte, ou quoi ? a répété Vincent.
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« -Et ça ne te lasse jamais? Les soirées ne se res-
semblent pas trop? »
T'ai fait non de la tête et cherché des arguments.
J'aurais pu lui parler de la pauvre routine de mes journées, de mon ennui au travail et de tous les petits gestes répétés du matin au soir, se lever, s'habiller, partir de chez soi en prenant les clefs, revenir et se recoucher, tout cela mécaniquement, à l'aveugle, comme on sinue sans se cogner dans l'obscurité d'une chambre connue par cour. Mais je me suis ravisé pour ne pas plomber l'ambiance.
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