Excellent ouvrage, écrit d'abord pour la collection "Les journées qui ont fait la France" par l'historienne seiziémiste Arlette Jouanna. Le récit des événements est complet et bien mené, n'oublie ni l'explication d'ensemble, ni les détails, ni les débats interprétatifs, et recourt à des témoignages individuels de rescapés d'un grand intérêt. Cette fin du XVI°s voit l'accouchement atroce et convulsif d'une idée et d'une politique qui sont nôtres aujourd'hui encore, fondées sur la séparation de l'identité religieuse et des devoirs du citoyen. L'unité médiévale du sujet croyant, où le politique et le religieux ne faisaient qu'un, se brise définitivement grâce à la Réforme en France. En France plus qu'ailleurs, puisque le pays est bi-confessionnel en 1560, alors que l'Angleterre, les Pays-Bas ou l'Empire allemand refont l'unité de la foi et de la citoyenneté au profit de l'une ou de l'autre confession. On voit aussi naître ou renaître des projets politiques audacieux : chez les protestants et les "monarchomaques" (ceux qui se battent contre le monarque), l'idée d'une monarchie contractuelle, où le pouvoir royal ne se légitime que de l'accord des sujets. Dans l'autre camp, celui des catholiques fidèles aux Valois, la sacralisation extrême du Roi, qui annonce les liturgies de Versailles un siècle après. Voilà donc un essai historique lumineux, bien écrit et qui ouvre de passionnantes perspectives : aujourd'hui, cette question laïque n'est pas close, puisque notre pays se peuple de nouvelles communautés qui ne font aucunement la séparation entre le sujet politique et le sujet croyant, et n'ont pas l'intention de la faire. Leur présence pose à nouveau ce même dilemme qui fit couler tant de sang il y a quatre siècles.
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Livre intéressant dans la partie descriptive de l'évènement. Cependant les conclusions que tirent l'auteure ne semblent pas devoir s'y appliquer précisément.
Dommage que le style soit trop scolaire et pas assez vivant.
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1572 : mariage de Marguerite de Valois et d'Henri de Bourbon.
Marier les adversaires et unir les contraires : le pouvoir de séduction de cet idéal provenait de la place qu'il occupait dans la vision du monde prédominante au XVI°s. Dans l'imaginaire cosmologique du temps, le miraculeux équilibre de l'univers tait fondé sur la conjonction d'éléments dissemblables, eau, terre, air et feu, "estant (comme l'affirmait le juriste et philosophe Louis Le Roy) les choses legeres empeschées par les pesantes de s'eslever, et au contraire suspendues les pesantes qu'elles ne tombent". Les mêmes règles étaient censées régir la communauté humaine, dont l'ordonnance reflétait celle du cosmos grâce à de secrètes correspondances. Chez les hommes, c'était notamment au mariage qu'il incombait de sceller le rapprochement des adversaires. Cette idée s'alimentait aux sources chrétiennes : le sacrement crée un lien indissoluble, sanctifié par la grâce de Dieu et capable de surmonter tous les facteurs de rupture. Elle s'enracinait également dans la conception lignagère de la société qui prévalait alors : l'union de deux individus alliait aussi leurs lignées, voire leurs Etats, apaisant ainsi leurs éventuels conflits.
p. 76
(Après la Saint-Barthélémy).
L'allégresse ressentie par les militants de l'unité religieuse finira, devant la résistance de l'hérésie, par céder la place à un profond désenchantement, suivi de la résurgence d'un sentiment de culpabilité : si Dieu a relevé trop tôt le fléau de sa vengeance, n'est-ce pas que les fidèles se sont montrés trop tièdes, trop peu soucieux de sa gloire, trop attachés à leurs intérêts matériels ? Ce retour des catholiques sur eux-mêmes, effectué non pas pour regretter la fureur des matines parisiennes mais pour attribuer à leurs propres péchés l'inachèvement de la "grande purification", se traduira chez les ligueurs, après 1576 et surtout après 1585, par un vaste mouvement pénitentiel d'expiation collective : ils tourneront alors leur violence contre eux-mêmes plutôt que contre les hérétiques, notamment lors des flagellations des pénitents encagoulés menés en procession dans les villes et animés du désir pathétique de parvenir à la réconciliation avec Dieu.
p. 286
(Attentat contre Coligny, 22 août 1572).
Aucune des suppositions émises par les contemporains sur le ou les commanditaires du guet-apens ne réunit des preuves assez plausibles pour les étayer ; toutes, au contraire, se révèlent fragiles. Mais, avant d'aller plus loin, ne faudrait-il pas s'interroger sur cette obstination à rechercher les instigateurs du crime parmi les souverains ou les grands ? Préoccupation compréhensible chez les contemporains, pour qui il était inconcevable qu'un acte aussi hardi ait été l'oeuvre de petits personnages, mais plus difficile à expliquer chez les historiens d'aujourd'hui. L'histoire offre assez d'exemples d'attentats commis précisément au moment où des négociations de paix semblaient aboutir, dans le but de les saboter et de relancer la guerre, pour qu'on ne puisse pas imaginer que tel ait été le cas le 22 août 1572. Pour saborder la paix célébrée de façon si éclatante - et si provocante - lors des noces d'Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, point n'a été besoin de rechercher l'aval d'un grand ; la fureur meurtrière des catholiques parisiens les plus enflammés a pu fournir une incitation suffisante aux auteurs de l'entreprise. Le fait que Maurevert, Villemur et Chailly aient appartenu aux réseaux guisards prouve seulement que ces réseaux ont bien fonctionné et ont fourni l'indispensable logistique. Rien ne dit qu'Henri de Guise ou son oncle Aumale aient été tenus au courant ; peut-être même a-t-on voulu, en les impliquant malgré eux, les obliger à sortir d'une inaction jugée scandaleuse par leurs partisans. Car l'issue de l'attentat ne faisait guère de doute : la colère des protestants allait se retourner contre les Lorrains et la guerre allait reprendre, entraînant cette fois l'éradication définitive de l'hérésie, comme pouvaient l'espérer les plus radicaux des catholiques, fomentateurs probables du complot contre l'amiral.
pp. 140-141
"Tuez les tous et qu'il n'en reste pas un seul pour me le reprocher" (Charles IX)
Arlette Jouanna - Montaigne