De lancinants petits riens. Il ou elle siffle, ronfle ; il ou elle bouge, tressaille ; il ou elle prend trop, mal la place ; il ou elle se lève, se couche trop tard ou trop tôt ; il ou elle préfère la couette, la couverture, le drap tendu ou pas tendu ; il ou elle laisse, ne laisse pas la lampe de chevet ; il ou elle range, ne range pas sa table de nuit ; il ou elle, conséquemment, fait, fera, devra faire chambre à part … Il ou elle, on l'aura compris, s'ausculte, se conserve et surtout souhaite dormir, dormir… le devoir de se faire plaisir semble s'être aujourd'hui irrémédiablement substitué à tout autre. Heureusement, l'amour qui transforme permet, nous dit Jean-Claude Kaufmann, par une sorte de miracle, d'oublier tous les petits rituels, les manies … Ouf ! Mais, par malheur, l'âge, les années de vie commune semblent y ramener insensiblement !
Ces deux cent soixante pages absolument répétitives, synthèse de plus de deux cent témoignages interchangeables additionnés de quelques resucées d'ouvrage précédent, permettent-elles de rendre-compte des pratiques actuelles du dormir ensemble ? Est-il encore question avec « Un lit pour deux » de l'étude d'une activité sociale quelconque, de sociologie de la vie quotidienne ? La retranscription scrupuleuse, et malheureusement si prévisible, de secrets d'alcôve glanés au hasard (blog de l'auteur), semble s'apparenter d'avantage à un exercice journalistique pour magazine féminin qu'à un travail scientifique véritable. le prestige qui auréole Jean-Claude Kaufmann ne change rien à l'affaire. Ainsi, il n'aura pas échappé au célèbre sociologue, féru d'enquêtes qualitatives et compréhensives, que ses « témoins » sont tous faits du même bois. Tablette et lecture au lit, travail au foyer, temps disponible après le réveil, prétentieux pseudos, etc., etc… sont d'évidents marqueurs sociaux. Il n'est à aucun moment questions d'indispositions dues aux odeurs (il y a des choses dont on ne parle pas chez ces gens-là). le thème, la méthode « d'enquête » ont indéniablement sursélectionné les sujets. L'individu type du livre de Kaufmann, prédisposé à parler toujours et encore de lui-même, est quelqu'un qui dans la vie « s'est choisi ». Un lien entre préoccupation de soi et milieu social, entre conditions matérielles et embarras reste donc à analyser.
« Jamais nous n'avons tant rêvé d'être seul et seul sujet de notre existence » nous dit Jean-Claude Kaufmann. Ce « nous » (gentry des métropoles ?), si peu sociologique, est le point aveugle de ce livre. Egoïsme, impudeur… toutes ses dérives qui travaillent une partie de nos sociétés ne représentent heureusement pas la totalité de la vie sociale mais sa face noire, elles manifestent son état d'imbécillité et d'angoisse. A la lecture de ce « Un lit pour deux », il vous vient, pour tous les « Festivus Festivus », des pensées à la Philippe Muray. Max Weber soulignait qu'il n'y a rien de plus abjectes que deux bourgeois, sans enfant, qui mangent seuls. Faudrait-il étendre ce raisonnement aux dormeurs kaufmanniens ?
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C'est précisément ce qui s'est passé pour la généralisation des couettes dans les hôtels. Or il me semble que sur ce point il y a eu un petit dérapage. Car aimer la couette en été n'a pas la portée d'une valeur universelle. Les hommes en particulier n'apprécient guère. Pourtant, ils se plaignent très peu. Je vous l'ai dit, les hommes apprennent de plus en plus auprès des femmes, même cette vertu suprême : savoir souffrir en silence.
(p.27)
mieux vaut de bonne journée ensemble que de mauvaises nuits en commun (p128)
Jamais nous n'avons autant rêvé de vivre à deux. Jamais nous n'avons tant rêvé d'être seul et unique sujet de notre existence.
https://www.laprocure.com/product/1073037/kaufmann-jean-claude-petite-philosophie-de-la-chaussette
Petite philosophie de la chaussette
Jean-Claude Kaufmann
Éditions Buchet-Chastel
« La chaussette, c'est sans doute l'accessoire de notre vestiaire le plus discret, le plus anodin, parfois même le plus invisible, et c'est un défi que relève dans ce livre Jean-Claude Kaufmann : nous présenter une Petite philosophie de la Chaussette pendant deux cents pages. C'est vraiment un livre passionnant, parce qu'on découvre que la chaussette cristallise en fait bien des aspects de notre époque contemporaine, notre rapport à la mode, notre rapport à l'argent, notre rapport aussi au couple... »
Guillaume, libraire à La Procure de Paris
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