Puisque aucune foi ni aucune loi ne me retient sur terre de force et ne m'empêche de prendre la mesure du vide, de l'absence totale qui m'attend, puisque seule l'interdiction que je m'impose à moi-même me tient lieu d'assurance sur l'avenir, ne pas décider de disparaître avant mon père et ma mère, serment que je respecterai aussi longtemps qu'il est en mon pouvoir de rester en bonne santé, puisqu'il est exclu de choisir le rien à la place du pas grand-chose, de se poser même la question, de peser même le pour et le contre, pour quelques années encore, puisque j'ai demandé au hasard et à mon usine souterraine d'orienter mes choix et rencontres fortuites vers une possibilité de connaître l'amour, ne serait-ce qu'une fois, de traverser cette vallée-là, d'y séjourner le temps de sentir dans ma chair que la vie, même sans sens, vaut, j'accepte à l'avance les déconvenues, leurres, chausse-trapes, y survivrai, car il s'agit de rester encore, et, tant qu'à faire, ménager la possibilité d'être prêt le jour où ce paysage espéré s'ouvrira devant moi. Aujourd'hui, Estelle, j'escalade avec confiance les derniers hectomètres de rochers qui me séparent de la vue sur ce qui suit, j'accepte à l'avance ce que je vais découvrir derrière le sommet que j'aperçois, je ne cherche pas à l'imaginer, tout juste m'y rends, disponible.
+ Lire la suite