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4,09

sur 2014 notes
Dans les années 60 à Rouen naît Laurence Barraqué. Sa naissance aura assombri son père Matthieu Barraqué médecin généraliste qui lui aurait, évidemment, largement préféré un garçon. Elle aura assombri sa soeur qui aurait préféré rester fille unique. Laurence grandit dans une société où naître fille, grandir fille c'est être sous domination masculine. D'ailleurs ne lui rabâche-t-on pas dès son plus jeune âge à l'école que « le masculin l'emporte sur le féminin » ? Quelle injustice ! Comment les écoliers peuvent-ils se construire dans l'égalité en entendant des phrases pareilles ? Laurence s'interroge, à la maison, à l'école, à la danse, partout, ailleurs , et ne comprend pas pourquoi. Elle grandit pourtant, silencieusement et un jour devient maman. Son premier enfant ne survit pas à la naissance et à l'incompétence d'un jeune médecin, fils d'un confrère de son père. Puis, elle devient mère d'une fille à son tour.

Que transmet une fille à sa fille ? Comment élever une fille dans un monde d'hommes ? C'est tout l'enjeu de ce roman, balayer ces 40 ans où la société a été bousculée par les femmes. Une société où les femmes doivent se battre pour être respectées, traitées d'égal à égal, encore et toujours, même si de grandes dates ont changé la condition des femmes de notre pays mais le chemin à parcourir reste long et semé d'embûches. 

Dès notre premier souffle, nous sommes des filles, nous portons cette étiquette autour du cou comme un joug. Fille, un mot aux multiples définitions, aux multiples sens, pas toujours flatteurs et souvent injurieux. L'auteure met en lumière l'importance du mot fille dans notre vie, le dissèque, l'analyse, l'observe et le met en situation. Camille Laurens écrit avec justesse, conviction, lucidité et une certaine brusquerie, un roman féministe. 

Merci à Babelio et aux Editions Gallimard
Lien : http://www.levoyagedelola.com/
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Qui est Laurence qui n'est « Barraqué » que de nom, qui nait « fille » quand on a tant desiré un garçon, héritier du nom, passeur du passé familial, un p'tit gars qui en veut et qui en a, un balèze au futur baraqué (avec un seul r cette fois), bref un mâle.
Il aura fallu 200 pages à Camille Laurens pour accoucher de cette fille secrète, marrante et attachante, soumise aux diktats de l'Homme Libre (avec une grande H et deux petites L) dans toute sa virilité, sa lubricité, ses faiblesses inavouables et ses fautes impardonnables, cet homme qu'elle sait aussi aimer ( ou haïr) tel qu' il est, sans exiger qu'on le dénature.
Quel cadeau que ces quelques pages dédiées à une fille vraie, rieuse et frondeuse, dont d'aucuns préféreraient louer la statue à défaut de lui reconnaitre le statut qui lui revient de droit : l'exacte équation du masculin, l'autre version de « l'être » (neutre par définition), l'essentielle sans complément, « l'Atom heart Mother ».

Témoin muet(te) d'une vie conjugale, parentale et familiale bâtie sur des compromissions, des non-dits, des mensonges, des cachotteries et les pires lâchetés, Laurence sera la « fille » qu'on veut qu'elle soit, à la place désignée de cadette, entre Claude, l'aînée délurée, et Gaëlle, la plus qu'absente puisque morte prématurément.
Victime lucide de ses tyrans mais comptable de ses actes et de ses émotions, Laurence se raconte à tous les temps, de l ‘enfant violentée à l'adolescente muselée, de l'amoureuse qui s'amuse à l'épouse désabusée, de la jeune mère meurtrie à la maman épanouie.
Tristan sera son amour secret, Alice sa merveille.
Elle est une et nous « Toutes en elle », belles et rebelles, inconstantes et indulgentes, crâneuses et gracieuses, éperdues et perdues mais libres dans chaque fibre.
L'écriture est alerte, incisive, sans concession au romanesque : Camille Laurens appuie là où ça fait mal, là où ça fait du bien.
Moi qui fut autrefois cette « Fille », je remercie la vie de m'avoir comblée de ce double bonheur en pensant à ma magnifique « Fille » et ma fabuleuse petite « Fille ».
Et la dernière page tournée, je n'ai honte ni de mes rires, ni de mes larmes.



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Une réussite totale. Il est des auteurs qui jettent leur enfance dans leur premier roman. Et puis, il y a ceux, telle Camille Laurens, qui la révèlent avec pudeur et lucidité, au soir d'une vie bien remplie.
Ça veut dire quoi « être une fille » ? Laurens constate, sans amertume, que c'est une convention, une vilaine habitude. Dans l'histoire de nos civilisations, la fille est un non-garçon, un échec, un regret. D'ailleurs les filles peuvent être des garçons manqués (voir des garçons manquants – comme un chaînon), mais rarement l'inverse. Cette convention, ce trouble, le langage en est le colporteur. Il faut être attentif aux paroles, aux doubles sens. Les maux des filles se cachent souvent dans les mots des garçons. Freud et Lacan ne sont pas loin (en-vie, insecte/inceste, auxquels on rajouterait le célèbre j'ai tout fait/j'étouffais) mais il est salutaire de tenir ces psys à distance, semble nous dire Laurens, parce que ce sont des hommes et qu'on peut donc les suspecter de « mâle-honnêteté ».
« Fille » est un magnifique roman sur la transmission, sur la difficulté d'éduquer les filles, justement. Dans cette entreprise, Laurens, devenue mère, n'échappe pas aux peurs ancestrales, à cette difficulté que nous avons à revoir la signification du genre, à accepter qu'une fille puisse en aimer une autre et qu'elle n'en demeure pas moins « fille ».
La dernière partie de son livre n'est pas un aveu d'impuissance ni même une autocritique mais une déclaration d'amour, une invitation à célébrer la fille sans y voir l'ombre portée du garçon.
Bilan : 🌹🌹🌹
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C'est un roman un peu autobiographique paraît-il. C'est surtout un récit féministe à la Simone de Beauvoir, à moins qu'il ne m'évoque aussi les romans (eux aussi très autobiographiques) d'Annie Ernaux.
1959, Laurence Barraqué naît. Son père trouve « qu'une fille, c'est bien aussi ». Et Laurence nous embarque dans son récit sur plusieurs années, au milieu de ses parents (père médecin, mère femme au foyer), de sa famille (sa grand mère, son tonton aux mains baladeuses ...). Très vite, elle perçoit que les garçons ne sont pas soumis aux mêmes règles que les filles et que c'est un problème. D'ailleurs, cela ne commence t-il pas avant la naissance lorsque l'échographe « ne voit rien » ; c'est donc une fille !
Laurence est curieuse et érudite. Elle cherche la signification des mots que son père emploie régulièrement lors d'envolées absolument incroyables, pleines de certitudes sur les femmes, leur condition et le rôle qu'elles doivent tenir. Un mot retient son attention : garce. le féminin de garçon n'est-il pas garce ! « Garçon c'est un constat. Garce c'est un jugement ». Sans compter que tout le monde sait que le masculin l'emporte sur le féminin.
Mais comment une fille se construit dans cet univers très patriarcal ? Nous avons la réponse de Laurence (est-elle universelle ? Je ne l'espère pas !), puisque nous la suivons jusqu'à ce qu'elle devienne mère et même un peu au-delà.
Livre choc qu'il est difficile de lâcher une fois que l'on est lancé. C'est un livre à la fois intime, puissant, émouvant et révoltant. C'est aussi un livre politique, car les sujets portés par toute une génération de femmes fortes qui ont combattu pour le droit des femmes perdurent. Oui des choses ont bougé, mais il reste tant à faire. Comme le dit si bien Alice, la fille de Laurence, « la différence, maman, entre hommes et femmes, tu vois, c'est que les hommes ont peur pour leur honneur, tandis que les femmes, c'est pour leur vie. le ridicule ne tue pas, la violence, si ».
Alors oui, j'ai parfois eu envie de dire à Laurence « mais répond à ton père, ne le laisse pas dire des inepties pareilles ». Malgré cela, je retiendrai avant tout la force et la qualité de la plume de ce récit sur l'émancipation féminine, et le jeu avec les mots de la langue française qui valorisent tant les hommes.
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L'histoire : Laurence naît après une autre fille, dans une famile où le père espérait pus que tout un fils. Nous allons suivre son enfance, puis son adolescence, et enfin sa maternité jusqu'à ce que sa propre fille devienne doucement une femme.



Mon avis : "fille" désigne à la fois une condition intrinsèque et une position sociale et familiale. A travers ce roman, Camille Laurens explore ces particularités. D'abord Laurence, petite fille dans les années 60 à Rouen, puis mère elle-même d'une petite fille à l'approche de la quarantaine. Son enfance, son adolescence, ses explorations, puis sa condition de future mère (terrible) et de mère déboussolée par les changements, à la fois attirée par les convenances sociales autour de la femme, et consciente des problèmes posés par le patriarcat.

A la fois, donc, un roman où on suit une héroïne crédible, presque banale (et ça fait là tout son intérêt), et une réflexion sur la condition féminine ordinaire des années 60 à maintenant. Un livre très intéressant qui se lit avec une grande facilité, très fluide. Militant sans agressivité, à cheval entre roman et essai, très réaliste, dans le constat, sans jugement direct mais impitoyable quand même, parfois grinçant, parfois triste à pleurer. Et c'est bon à lire, c'est le moins qu'on puisse dire !
Lien : http://ploufsurterre.canalbl..
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Voix de stentor mais cinquante deux centimètres. « C'est une fille! », « Ah, c'est bien aussi ! » le ton est donné par Camille Laurens.
Le roman plonge le lecteur dans la petite bourgeoisie de province d'avant 68, imprégnée de protestantisme, amoureux des règles et respectueux de l'ordre. A partir des quatre sens du mot fille, Camille laurens construit une fiction féministe autour de la vie de Laurence Barraqué, de sa naissance à sa vie adulte.
Le récit s'appuie sur le quotidien de son éducation qui subit le manque d'attention et de reconnaissance. Au fil du temps, cela destructeur par la dépréciation régulière qu'elles subit. Il ne s'agit pas de sévices physiques mais d'un abandon d'affection dans un milieu plutôt aisé. Laurence Barraqué est une fille qui grandit seule, sans amour, avec ces deux surnoms, odieux, donnés le premier par son père, « Gras du bide », et le second « Groc » pour « gros cul » donné par sa soeur aînée ce qui contraste avec la photo de couverture qui suggère une bien jolie petite fille sage.
Laurence Barraqué ne manque de rien sauf d'amour. La froideur du père exprime ses peurs, ses appréhensions et surtout sa misogynie. La figure maternelle est effacée au point qu'elle n'existe que par sa frivolité. Heureusement, deux autres femmes apportent d'autres aspects : de la soumission totale à la liberté et l'indépendance économique.

Laurence grandit entre carcans, liberté et contradictions. Et, même lorsqu'elle subit des attouchements, les femmes de sa famille lui disent « on lave toujours son linge sale en famille » .
Souvent drôle, le récit se fait décalé. Laurence se libère en découvrant la vie dans les livres. La scène où les filles se font expliquer ce qu'est un coït par un schéma fait par leur médecin de père pendant que la mère débarrasse la table est assez étonnante, surtout quand on sait que la jeune Laurence a déjà lu Sade et la grande reçu une foule de lettres de ses amoureux.
Les paroles de la chanson de Sylvie Vartan « Mais, je ne suis qu'une fille « retentissent comme le leitmotiv d'une époque. Avec son magazine préféré, la copine Jeanine rêve de gagner une journée dans la maison de son idole…le charmant Clo-Clo ! Tout y est, la plaquette de pilules prêtée à la cousine, l'avortement clandestin, etc.
Quand la femme redevient une enfant dominée, Barraqué se change en Charpentier. Elle se soumet sous la tutelle d'un mari absent encore remplacé par ce père, omniprésent, qui s'occupe de tout, même du plus intime : la naissance de l'enfant du couple.
Laurence est le portrait d'une femme qui n'accepte pas ses faiblesses car on lui a apprit qu'elles étaient inacceptables. Toute une vie de femme muselée, sans pouvoir extérioriser sa souffrance, ses doutes et dépasser les difficultés de la vie parce qu'elle se sent coupable d'être ce qu'elle est, seulement une fille. Sa conquête de sa liberté et de sa confiance l'amèneront vers une maturité plus épanouie.
Camille Laurens nous livre, peut-être encore, une autofiction. le prénom de son personnage peut le confirmer. En tout cas, c'est ce milieu des années cinquante qu'elle nous dévoile avec justesse où l'année 68 n'a pas fait sa transformation. de légers changements se remarquent mais rien de révolutionnaires.
Dès la quatrième de couverture, Camille Laurens triture les mots et les expressions pour relever le moindre détail de cette langue qui conserve la phallocratie de cette époque. le tutoiement employé pour décrire le combat de l'enfance et de la maturité s'associe au récit avec le pronom « elle » pour présenter un texte souvent magnifique par la magie et le talent littéraire de l'auteure.
Il faut se promener dans ce roman magnifiquement écrit pour comprendre l'évolution menée depuis quelques décennie. L'égalité est toujours à revendiquer mais les femmes ne souffrent plus de la marque infâme de leur sexe, du moins dans notre société occidentale. Même si, par sa recherche littéraire, Camille Laurens nous incite à être vigilant sur le langage employé.
https://vagabondageautourdesoi.com/2020/09/01/camille-laurens/
Lien : https://vagabondageautourdes..
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Dans le reflet des mots
"C'est une fille", une phrase banale, qui évoque dès la naissance les inégalités masculin - féminin. Laurence Barraqué est née en 1959 dans une famille de le petite bourgeoisie. Son père est médecin, sa mère, qui a apporté la dot, est mère au foyer. Elle a une grande soeur. Et arrive dans la vie. Décevant son père. "C'est une fille", sous-entendu ce n'est pas un garçon. Très tôt, elle ne se sent pas désirée, pas aimée, même abandonnée. Sa mère enceinte à nouveau la sèvre rapidement. le Troisième bébé, une petite soeur, encore ! , décédera quelques jours après la naissance. Puis, elle comprend à travers le langage, l'éducation, l'école, la danse, qu'elle est née "fille" et qu'elle est différente d'un garçon qui est lui la fierté de ses parents. La position dominante est masculine. Son père dit "J'ai deux filles" pas "j'ai deux enfants". Son père néglige sa mère, qui prend un amant, qui l'abandonne quand sa femme lui donne un "fils". Puis, elle est victime d'abus sexuel de la part d'un de ses oncles. Mais on lave le linge sale en famille. Car on ne lui dira rien. Longtemps, elle se sentira sale. Puis on lui fait la leçon : elle doit être vierge pour le mariage. Mais elle connaitra l'avortement, puis la perte de son enfant (un garçon malheureusement ! ) Une petite trahison et mensonge de son père…. Un jour, elle devient mère quand même et c'est une fille. Mais une fille différente. Bref, un roman sur la condition des filles et des femmes. Dans ce roman puissant, Camille Laurens déploie le destin d'une femme confrontée aux mutations de la société française de ces quarante dernières années. J'avoue que j'ai eu du mal à me glisser dans ce roman, puis je l'ai fini en une soirée. Je ne l'aurais guère choisie à lire. La Tour Babelio a cela de magique de vous faire découvrir des livres que vous n'auriez pas acheté ou choisi en médiathèques. Je le donne à une médiathèque pour qu'il soit emprunté et découvert. Peut être à Eps Herbeval
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Roman (autofiction? ) autour de l'identité et surtout du genre : nait-on fille ou le devient-on ? Comment se positionner par rapport aux garçons ?

Ce roman m'a énormément touchée dans sa première partie : légèrement plus jeune que Laurence Barraqué, la narratrice, née en 1959, je me suis quand même reconnue dans le portrait qu'elle fait de la place des filles dans la fratrie. Comme elle je suis la deuxième de la fratrie. La ressemblance s'arrête là.
Laurence souffre d'être une fille (son père et sa mère voulaient un garçon) apres avoir eue une première fille Claude. Camille Laurens relève avec humour (et ironie) tous les petits riens qui dévalorisent les filles. Préjugés ordinaires, petite phrases mesquines « une fille c'est bien aussi »

La deuxième partie traite de la vie adulte de Laurence et m'a moins convaincue au début (notamment sa première grossesse)
J'ai trouvé ses relations avec son père et son mari caricaturales.

Enfin la troisième partie qui traite de ses rapports avec Alice, sa fille de la naissance à ses 17 ans m'a à nouveau énormément intéressée et semblé très juste.

Un roman intéressant, je m'interroge sur le fait de ce « milieu de roman » qui ne m'a pas convaincue, peut-être n'étais je pas assez concentrée à ce moment car le reste est réellement très pertinent dans les rapports des filles à leur identité.
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Je remercie l'opération masse critique, Babelio et les éditions Gallimard de m'avoir permis de découvrir ce beau roman de Camille Laurens.
Il est m'est gracieusement tombé dans les mains cet été, c'est donc avec plaisir que je l'ai intégré à mes lectures.
Laurence, la narratrice raconte dans le premier chapitre sa naissance en tant que fille, le reste du livre, en forme de biographie, se centre sur le récit de son enfance, sa jeunesse puis celui de sa vie d'adulte et de mère.
A la lecture de ce livre, on découvre les drames qui ont parsemé sa vie, couplés à une interrogation incessante et obsédante, sur l'identité sexuelle et féminine en opposition au masculin.
Dans l'incipit, la narratrice se focalise sur sa naissance, comme si le personnage-narrateur du livre était né avec la langue qui lui a permis de se nommer et d'écrire ; C'est ainsi que l'histoire commence. La langue donnant ainsi vie à l'histoire. Au début de l'oeuvre, la vie naît de la langue dans un mouvement de va-et-vient incessant entre les deux entités. La langue est primordiale, travaillée, elle fusionne avec la narration. La naissance de « Fille » est définie par la grammaire, c'est l'élément féminin qui naît en opposition au masculin, dans fille, il y'a un e. « C'est un(e) fille », l'auteur le souligne en évoquant une coupure fondamentale entre le féminin et le masculin, comme une brisure, une cassure. La poésie de l'écriture martèle de manière obsessionnelle l'expression « C'est une fille », la narratrice éprouve ce besoin de répétition comme pour se réapproprier son identité mais aussi pour souligner l'anéantissement du fantasme familial sur le désir de pérennisation de la lignée masculine ; « C'est une fille » signifie d'abord « Ce n'est pas un garçon ».
Le Masculin l'emporte sur le féminin, dès la conception de l'enfant, dans les désirs et les fantasmes familiaux. Les espoirs sont alors anéantis lorsque la fille naît, d'autant plus que l'histoire se répète, Laurence, c'est la deuxième fille de la cellule familiale. L'aînée est prénommée Claude, les parents ont tenu à intégrer du masculin dans la féminité. L'enfant à naître devait s'appeler Jean Matthieu prénom combiné entre ceux du père et du grand-père, l'histoire familiale fait peu de place à la fille.
Le début du récit se situe dans le contexte de la fin des années 50, 1959, c'est l'année de la naissance de fille, avant la libération des moeurs, du féminisme, avant le succès de Simone de Beauvoir, avant les revendications de 1968.
C'est en toute logique que son père décide finalement que le prénom de la fille sera « Laurence », en écho à la soi-disant ressemblance du père avec l'acteur Laurence Olivier, un homme. Un prénom qui intègre le fantasme masculin du père, du grand-père aussi, du fils qui n'est pas là.
L'énonciation est singulière, dans le premier chapitre elle est à la deuxième personne du singulier, la narratrice s'adresse à elle-même, comme un alter égo. Des changements de procédés auront lieu dans le roman en modifiant la situation d'énonciation selon les périodes et les événements de sa vie. Tantôt elle parlera d'elle à la première personne, celle du sujet qui prend pleinement en charge la narration, parfois elle reviendra à la deuxième personne, elle utilisera aussi la troisième personne comme un narrateur externe aux événements tout en parlant d'elle.
Plus tard, dans son enfance, à 4 ans, surgit un événement marquant, une troisième fille meurt à la naissance, encore une fille, mais celle-ci s'en va trop tôt comme si le désir du fils l'avait emporté. Laurence se sent alors délaissée par ses parents, sa mère surtout, elle vit dans l'ombre du cadavre. La culpabilité sera plus ou moins consciente chez la narratrice. Elle vit alors dans les yeux de sa grand-mère.
C'est une enfance douloureuse d'être née « fille » Sur une photo sa soeur et elle ont l'apparence de garçons ; elles sont en maillots de bain sans haut, les cheveux sont coupés courts, les épaules sont développées, elles posent à côté de leur père, on dirait trois garçons.
La suite du roman se poursuit dans cette dichotomie Masculin/Féminin ; à l'école on lui explique que le masculin l'emporte sur le féminin, au catéchisme à 15 ans, elle apprend qu'Eve est née de la cote d'Adam, elle répliquera avec humour qu'il fallait bien un brouillon, la narratrice essaye de se débrouiller avec le poids du masculin.
Elle revendiquera fortement sa féminité et s'attachera à mettre en avant l'identité féminine tout en questionnant le masculin. Elle raconte une construction et une douloureuse quête d'identité féminine. C'est un livre résolument féministe sans excès. Les hommes auront une place dans sa vie.
Dans les chapitres suivants, elle raconte plus concrètement les choses, son enfance, sa jeunesse et son rôle de mère ; les souvenirs de vacances avec ses bonheurs et ses malheurs ; ses premières vacances en famille, puis à la campagne chez ses grands-parents où elle subit l'inceste à 10 ans, son grand-oncle l'agresse, sa famille lui recommande de se taire et de ne pas en parler à son père qui est pourtant médecin. On voit encore la domination de la muflerie, le machisme, le masculin. Elle racontera aussi son goût pour la lecture et le savoir, le jeu avec sa poupée, sa précocité intellectuelle, ses amitiés, la jalousie et le mépris de la grande soeur, la découverte du « zizi » des garçons sur lequel l'écriture s'attarde. Quand elle découvre l'origine du mot sexe dont l'origine est « Secare » qui signifie couper, elle s'interroge alors sur la coupure originelle, une fille est alors un avatar du garçon, elle n'existe pas en tant que telle, elle dira : « Une fille c'est un garçon blessé » quelque chose manque à la fille, la complétude sexuelle n'existe pas.
Plus tard, elle évoque aussi ses premiers émois et ses amours d'adolescence, la découverte de la sexualité, elle relate aussi la douloureuse expérience de son premier IVG.
En fin de livre, elle évoque sa vie de mère et la perte douloureuse d'un enfant, la trahison de son père en lien avec cet épisode. Son bonheur d'être à nouveau mère mais avec les angoisses qui l'accompagnent notamment sur la destinée sexuelle de sa fille.
En début de roman, on lit, « une fille c'est bien aussi » en référence au masculin la fille est inférieure au garçon, on lira cette même phrase en toute fin de roman, en référence à la sexualité féminine assumée, me semble-t-il.
Le récit de Camille Laurens est bouleversant, il peut faire écho chez les filles et les femmes qui ont fait l'expérience de ce mépris, ce déni de la féminité, des préjugés sur les filles et les femmes, sur la domination masculine.
Dans ce livre, l'écriture est inclusive, pourtant lorsqu'elle l'évoque auprès de son père, celui-ci, lui dira encore 60 ans après sa naissance : « L'écriture inclusive ? qu'est-ce que c'est que cette connerie ? …La femme est déjà incluse dans l'homme. »
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« C'est une fille », pas sûr que ces trois mots aient fait le bonheur de tous les parents à la fin des années 50.
Lorsque Laurence vient au monde en 1959, ses parents, son père surtout, espéraient un garçon. Il a donc fallu aviser, trouver un prénom dans l'urgence.
Le père a pensé à un film vu récemment « le prince et la danseuse » avec Marilyn et Laurence Olivier : « Marilyn, pas possible, et si elle était moche, privée des atouts féminins pouvant tenir dans la main d''un honnête homme », alors ce sera Laurence.
Laurence grandit dans une famille bourgeoise de Rouen, père médecin, mère au foyer. La fillette comprend rapidement que les filles ne peuvent prétendre à la même place que les garçons dans la société. A l'école, à la bibliothèque ou au cours de danse, ils ont toujours le premier rôle.
A la maison, le père règne en maître, personnage odieux avec son épouse, il n'attire pas la sympathie, c'est le moins que l'on puisse dire. Il donne les ordres et entend être obéi.
A un agent recenseur qui lui demande s'il a des enfants, il répond : « Non, j'ai deux filles. »

J'ai aimé ce roman, même, si sensiblement du même âge que l'héroïne, je ne me suis pas retrouvée dans une situation similaire.
Dans ma famille être une fille, n'a jamais été un handicap, loin de là.
Je me suis cependant sentie proche des souvenirs de Laurence.
Une porte s'est ouverte dans ma mémoire, faisant ressurgir pêle-mêle, ma poupée Bella, Petula Clark ou Thierry La Fronde, comme autant de petites madeleines au parfum d'enfance.
J'ai été moins sensible à la vie de femme de l'héroïne.

Camille Laurens signe un livre engagé sur la condition féminine dans les années 50/60. On a presque oublié qu'à cette époque, les femmes n'avaient pas le droit de travailler sans l'accord de leur mari, pas la possibilité d'ouvrir un compte en banque.

Merci à Babelio et aux Editions Gallimard pour cette découverte.
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