Il arrive parfois qu'un livre réveille en vous quelque chose..... J'avais abandonné
Ni toi ni moi de cette auteure il n'y a pas très longtemps (et je ne l'avais d'ailleurs pas chroniqué) et moyennement apprécié
Celle que vous croyez et celui-ci je l'ai lu, voire dévoré, j'ai eu l'impression que
Camille Laurens avait été témoin de nombreux épisodes de ma vie et je me suis sentie bien, en confiance, rassurée de ne pas me sentir seule et inquiète de savoir que nous avions été si nombreuses, enfin quelqu'un qui évoquait les maux en mots d'une enfance féminine.
Un enfant naît : il peut être source de joie, d'avenir, "C'est un garçon !" ou source de regrets, de résignation, "C'est encore une
fille..." et même si elle ne manque pas d'affection, elle doit, malgré tout trouver et faire sa place, sa vraie place. Cela tient parfois à peu de choses : une phrase, une expression, un mot qui se gravent à jamais dans la mémoire ou alors une impression, un sentiment, une sensation qui vous imprègnent pour toujours.
Année 1950 - Famille Barraqué je demande le fils : mauvaise pioche, ici il n'y a que des
filles au grand désespoir du père. Il y a Claude, l'aînée, mais déjà avec un prénom épicène (merci
Amélie Nothomb d'avoir porté à notre connaissance ce terme), puis Laurence, comme Olivier, l'acteur anglais, mais là c'est une
fille, la narratrice, qui portait pourtant tous les espoirs de la famille d'avoir enfin un fils.
Dans un milieu plutôt favorisé, père médecin, mère au foyer,
Camille Laurens retrace avec minutie et précision dans les mots l'itinéraire des
filles, elle leur donne la parole, employant le "Tu", faisant de sa narration un texte universel, nous apostrophant parfois, nous lectrice, de ne pas voir l'importance de certaines attitudes, de certains mots ou faits, mêlant ses propres souvenirs et vécus avec le "Je". Il y a de la colère, de la révolte, de l'indignation dans des événements, des mots qui pourraient paraître des petits riens et qui au fil des pages on fait remonter en moi bien des souvenirs.
Un parcours d'enfance et de femme comme il en existe tant, tellement ancré dans les moeurs, dans les habitudes et traditions qu'il est bon de passer au crible les faits, les mots, les expressions utilisés sans compter les silences et avec le recul, on se rend compte de l'importance qu'ils ont eu sur ces femmes. Et cela,
Camille Laurens le fait parfaitement s'attachant à analyser, décortiquer ce qu'était l'accueil et l'éducation d'une enfant de sexe féminin dans une société où le sexe masculin était porteur de longévité du nom, symbole de réussite et de fierté.
Etre
fille hier, et même parfois encore maintenant, n'est pas toujours chose facile et le chemin pour parvenir à être femme et surtout femme heureuse, épanouie, est parfois semé d'embûches et
Camille Laurens enfonce le clou, là ou cela peut faire mal à travers un roman très vrai et documenté, très ancré dans une époque pas si éloignée de nous, où l'on a le sentiment que les choses n'évoluent guère.
C'est fort, puissant, vrai, c'est un roman mais cela pourrait être un essai tellement il fourmille de références, de vécus passés au crible. Alors certes l'écriture est sèche, faite de courtes phrases, écrites dans un élan, dans un souffle, mais elle sait également devenir émouvante quand elle s'imprègne d'événements, je pense, personnels à l'auteure. C'est un roman, oui, mais c'est cela pourrait être également le témoignage de tellement de femmes.....
A lire pour comprendre pourquoi et comment les femmes ont été ou sont entravées parfois par une enfance ou par une éducation où le fait d'être
fille est un handicap ou vous handicape pour vous construire, vous épanouir et à mettre entre les mains des
filles, des pères, des mères ou des femmes (et des hommes) pour en prendre conscience.
J'ai aimé le ton, même la violence sous-jacente, la richesse des détails qui relèvent d'un vécu personnel mais devient universel, retraçant une vie féminine dans un monde où le masculin l'emporte encore trop souvent sur le féminin mais surtout j'ai été époustouflée par la précision de l'écriture, de l'analyse parfois de chaque mot, pour ne rien laisser passer, pour être la plus précise possible, pour aller à l'essentiel, au vital et comment les préceptes ont imprégné le langage.
J'ai beaucoup aimé et j'en suis sortie à la fois plus forte, émue et admirative pour avoir su si bien parler de nous les
Filles...
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