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EAN : 9782845974937
139 pages
Textuel (30/11/-1)
4.25/5   2 notes
Résumé :
Dans les dîners de famille comme dans le débat politique, la question religieuse fait partie des sujets que l'on redoute car ils font rapidement monter le ton. Il s'agit pourtant pour la gauche d'un sujet incontournable. D'abord parce que ses adversaires, droite et extrême droite, en ont fait une arme politique et n'hésitent plus à se poser en défenseurs de la laïcité et de l'identité chrétienne de la France, soi-disant menacée par l'Islam. Ensuite parce que'en inte... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'imaginaire religieux ne se laisse ni enfermer ni réduire dans les religions
Comme l'écrit Maxime Rodinson : « Sur terre, les luttes se déclenchent et se déroulent pour des buts terrestres, mais sous l'étendard des idées ». Il ajoutait que le rôle d'une religion en tant qu'idéologie (mobilisatrice ou non) ne peut-être pensé indépendamment des rapports sociaux et de leurs perceptions (voir Maxime Rodinson : Islam & capitalisme, réédition Demopolis 2014)Les analyses de Stéphane Lavignotte ne sont pas tout à fait du même ordre. Il propose de penser politiquement les faits religieux, d'en avoir une approche laïque et dans le même temps, il invite à prendre en compte des éléments subversifs des religions.

Je ne discuterai pas ici du vocabulaire choisi. J'ajoute qu'habituellement je n'utilise qu'avec méfiance le terme « laïcité » (très franco-français), préférant parler de sécularisation, de séparation de « l'Église et de l'État », de liberté de conscience et de pratique (ce qui implique, entre autres, des lieux de prières décents dans la ville et des salles de prières dans les entreprises, que les principales fêtes religieuses juives et musulmanes soient fériées à l'instar de celles des chrétien-ne-s, que les parures vestimentaires ne soient des obstacles ni à l'éducation ni au travail). Enfin, contrairement à l'auteur je n'aborderai pas les « croyances » par stricte incompétence.

Une partie de la droite se fait défenseur de la laïcité, en ayant par ailleurs une lecture biaisée de la loi de 1905 et de l'identité chrétienne de la « France », naturalisant une construction politique historique des territoires appelés France. Un pays n'est pas un-e individu-e, ni la somme d'individu-e-s, il ne saurait avoir d'identité ni au singulier ni au pluriel. Stéphane Lavignotte souligne que l'objectif de cette double référence est de créer un « eux » et un « nous », d'un coté les « blanc-he-s chrétien-ne-s », de l'autre les musulman-ne-s étranger-e-s. Focaliser ainsi sur les religions, c'est oublier qu'elles sont « des faits sociaux » historiquement situés, contradictoires et qu'elles ne gouvernement jamais la totalité des actes et des pensées de celles et ceux qui s'en réclament.

Mais il s'agit bien d'un marquage que les courants de l'émancipation sous-estiment. Pour le dire autrement, ceux-ci négligent les différenciations entre dominé-e-s, celles et ceux appartenant (ou se reconnaissant) aux différents groupes dominants ou majoritaires, que cela soit d'un point de vue de genre, de la langue, de la culture, de la religion, de la sexualité, etc., et celles et ceux n'y appartenant ou ne s'y reconnaissant pas. Cette mise à l'écart, cette mise « hors norme » des autres, est plus qu'une souffrance pour les personnes concernées, c'est un déni d'égalité. Il y a beaucoup à apprendre des travaux féministes sur le sujet. Des hiérarchies, de fait, se reconstruisent et divisent profondément celles et ceux qui sont objectivement toutes et tous des dominé-e-s.

L'auteur a donc raison d'insister sur la nécessité de cesser d'aborder « la question religieuse de manière religieuse », de parler de construction sociale, de penser « les religions comme des faits sociaux et non comme des réalités naturelles et transcendantales »

Le livre est divisé en quatre chapitres :

Pour une approche laïque du fait religieux
Les religions, ça peut-être réac…
Les religions, ça a pu être subversif : préhistoire et histoire de la gauche ?
Subversions religieuses actuelles : la gauche croyante ?
Je n'aborde que quelques points.

Stéphane Lavignotte analyse les constructions sociales, la diversité des religions, leur « fougue initiale », et parle aussi du mystique « virtuose solitaire ». Il insiste sur la nécessité en France de « dé-catholociser notre approche ». Je partage l'idée que la laïcité est en France de fait une « catho-laïcité ».

L'auteur souligne, entre autres, « le monde religieux n'est pas monolithique mais traversé par les antagonismes sociaux ». Dire les catholiques, les juifs/juives, les musulman-e-s, les protestant-e-s, ne donne que peu d'indications sur les êtres humains dont on parle, et encore moins sur la complexité de leurs pratiques sociales.

Comme l'auteur je ne doute pas que des pensées religieuses soient tendues vers ce que Ernst Bloch nomme « images-souhaits sociales », « non-encore-être », « pas-encore-existant », à l'instar d'autres pensées d'espérance.

Les seconde et troisième parties sont riches de références, de plongées instructives dans l'histoire et les pratiques sociales, d'analyses des courants religieux… Reste que la formulation réac et/ou subversive ne me semble pas adéquate, car les religions sont à la fois des textes et des appréciations, des hiérarchies et des représentants, des institutions dominées très largement par des hommes, des pouvoirs et des obligations étatiques, des pratiques et des croyances…

Certes comme l'indique l'auteur le « littéralisme » est impossible, mais il faudrait en convaincre ceux ou celles qui le professent, certes il n'y a pas d'ordre naturel, mais cette idée est largement répandue dans les sociétés et pas que dans les milieux religieux, certes la charité ne remet pas en cause les mécanismes de création et de reproduction des inégalités, certes la bureaucratisation de toutes les institutions est un danger permanent…. mais en quoi est-ce spécifique aux religions et comment aborder ces questions sans en déplacer le périmètre ?

Certes de nombreuses dissidences et révoltes ont eu des inspirations religieuses, les réformes anglaises et allemandes ont des dimensions « théo-politiques », des croyant-e-s ont élaboré des doctrines socialisantes, nous pouvons apprendre des théorisations et des pratiques du mouvement de la théologie de la libération, sans oublier la nécessité de combattre les religions du monde séculier, dont celle du marché… Mais que veut dire « gauche croyante » ?

Construire une gauche d'émancipation inclusive, sortir de l'entre-soi est une nécessité ; s'appuyer sur des imaginaires en partie opposés, une possibilité. Et comme Stéphane Lavignotte le souligne, les séparations ne sont pas entre croyant-e-s et non-croyant-e-s (encore que le second terme n'a de sens que pour des croyant-e-s !).

Certaines analyses me semblent très discutables, comme la valorisation de la politique du PCF de la « main tendue » aux chrétien-ne-s, partiellement liée aux adaptations de celui-ci aux politiques familiaristes, au respect de l'ordre dominant, à des positionnement anti-féministes ; les possibilités d'alliance avec des courants dit islamistes (voir sur ce sujet les remarques souvent réitérées de Gilbert Achcar) ; sans oublier le fantasmatique « communisme intégral » des débuts de l'Église chrétienne, les « troubles religieux dans le genre » et les lectures peu critiques des théorisations « queer »…

Quoiqu'il en soit, ce livre permettra à celles et ceux qui n'ont aucune ou peu de connaissances sur certaines dimensions religieuses de dépasser des a-priori, d'apprécier plus objectivement les réalités des religions-religieux/religieuses-croyant-e-s pour casser les barrières qui freinent les élaborations et les pratiques émancipatrices à vocation majoritaire…

Et, en revenant une fois encore à Maxime Rodinson, je rappelle que des modifications radicales ne peuvent être obtenues que par l'action collective des dominé-e-s et que cela a et aura des impacts sur leurs dispositions mentales/psychiques. Que cela inclut des mobilisations d'aspirations religieuses pour certain-ne-s, cela me semble indéniable. Mais l'inverse est aussi vrai. Pour certain-e-s cela passera par la rupture avec les cadres fournis par des institutions religieuses… Et cela ne doit être ni un sujet de dispute, ni de séparation entre un « nous » et un « eux »… D'où une grande interrogation sur ce que pourrait signifier une adresse aux croyant-e-s en tant que croyant-e-s.


Lien : http://entreleslignesentrele..
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Stéphane Lavignotte est à la fois pasteur, théologien et journaliste engagé à gauche. Son petit livre pose une question pertinente. La réponse donnée par l'auteur est résumée dans le quatrième de couverture: « Oui, le fait religieux est souvent porteur de conservatisme voire d'obscurantisme. Non, cela n'est pas une fatalité ».

Grosso modo, le livre suit le plan annoncé ci-dessus. La volonté de durer a conduit la toute jeune Eglise à "s'institutionnaliser" irréversiblement. Dans le catholicisme, le pape a acquis et conservé une autorité normative et conservatrice. Même la laïcité française (actuelle) doit être interrogée à la lumière de la culture catholique traditionnelle. Dans cette analyse, Max Weber, Engels, Marx, Gramsci et d'autres penseurs sont convoqués. Par ailleurs, la théologie de libération (au XXème siècle), mais aussi la révolte des paysans (au temps de Martin Luther), le "communisme" des premiers chrétiens, ainsi que les innombrables sectes d'origine chrétienne plus récentes sont évoqués longuement. Il s'ensuit une discussion intéressante et stimulante, placée sous l'égide de la sociologie et de la politique.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
les religions comme des faits sociaux et non comme des réalités naturelles et transcendantales
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Le monde religieux n’est pas monolithique mais traversé par les antagonismes sociaux
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Vidéo de Stéphane Lavignotte
Stéphane Lavignotte, pasteur, théologien, militant écologiste, coordinateur de la Maison Ouverte, lieu de partages et d’engagements à Montreuil (93).
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