A force de visiter les abbayes bourguignonnes et les Maîtres de la Renaissance comme Fra Angelico, je ne pouvais pas ne pas m'intéresser à
la Légende Dorée, ce recueil fameux des vies de saints écrit au XIIIème siècle, et souvent présenté comme un catalogue hagiographique fourre-tout. Et voilà que cet essai savant, dense et court, mais écrit dans un langage limpide et surtout accessible à toute personne dénuée de culture religieuse approfondie, nous replonge avec sagesse dans l'esprit de ce temps qui fut un siècle de stabilité et de forte croissance économique.
Un mot sur l'auteur :
Jacques le Goff (né en 1924) est l'un des spécialistes les plus éminents du Moyen-Âge. Assistant de
Fernand Braudel, il dirigea, avec
Emmanuel le Roy Ladurie et
Marc Ferro « Les Annales ». Tout est dit ! Il s'intéresse à l'histoire des mentalités, qui « mue par des mouvements profonds et continus, elle ne connaît pas de rupture brusque ». du XIIIème siècle on retiendra l'attitude à l'égard de la femme, l'appréciation de la positivité du travail et l'omniprésence de la religion.
Qu'est-ce que
la Légende Dorée ? D'abord le « best-seller » d'une époque où chaque livre est recopié à la main. de cet ouvrage, on recense encore aujourd'hui plus de mille copies ! Il fut écrit en 1262-1264 et comporte, à travers 178 chapitres, les notices de 153 saints, classés selon l'ordre chronologique de leur célébration dans le temps liturgique, de l'Avent (4 semaines avant Noël) à la fin novembre. Pourquoi 153 ? Parce que, lors de la pêche miraculeuse, Pierre sortit de l'eau 153 gros poissons…
La Légende Dorée fut compilée par Iacopo da Varazze, que nous appelons
Jacques de Voragine, moine dominicain (ordre prêcheur), devenu évêque de Gènes, comme un ouvrage servant à la préparation des sermons par les prédicateurs.
L'essai de Jacques le Goff est une merveilleuse explication de texte. C'est d'abord une défense et illustration de la compilation qui sait aussi devenir véritablement création.
Jacques de Voragine cite ses multiples sources, choisit celle qui lui semble la plus pertinente, même parmi les ouvrages non reconnus officiellement par l'Eglise – les évangiles apocryphes par exemple, considérés comme pourvoyeurs d'informations historiques.
La clé de l'immense succès de ce livre dès sa parution : un engouement comparé par
Jacques le Goff à celui des films d'aventure par l'efficacité des récits et de « faits divers » merveilleux qui entourent la destinée des saints. La personne du saint est propre à la religion chrétienne. Sa caractéristique est d'avoir été choisi par Dieu pour se manifester sur terre à sa place comme instrument ou intermédiaire, par des miracles, des vertus ou un comportement exceptionnellement religieux dans son existence terrestre. Je comprends aujourd'hui aussi l'immense succès des reliques, découvertes, morcelées, réparties, achetées, vendues, volées, et du pouvoir qui leur était attaché au point de déclencher la construction de sanctuaires magnifiques et de provoquer des pèlerinages d'une amplitude énorme.
L'ouvrage de Jacques le Goff est entièrement centré sur la place du temps : le temps tout entier doit être, à toute heure, consacré à la louange de Dieu.
La Légende Dorée explique la finalité de la succession des manifestations et des fêtes de l'année et décrit à cette occasion la vie des saints. Elle a joué à ce titre un rôle déterminant dans l'élaboration de la culture européenne. Une des vertus du temps est de pouvoir effacer un mauvais moment du passé en y superposant un bon moment pour l'avenir. Ce pourquoi on célèbre les saints non pas au jour de leur naissance – le plus souvent ignoré au Moyen-Âge – mais à celui de leur mort ou encore à celui de l'invention de leur corps ou de leurs reliques. Et c'est un jour de fête et non de tristesse. On souligne aussi la nécessité de célébrer la Toussaint, créée récemment pour ne pas risquer d'oublier un seul des saints.
Voici donc un ouvrage savant mais facile à lire et relativement court, permettant d'appréhender la structuration du temps religieux à l'poque de la construction des cathédrales, et souvent aussi de comprendre les grandes oeuvres des peintres qui s'en sont directement inspirés…J'ai ici en mémoire les extraordinaires fresques de la Chapelle Brancacci à Florence racontant la vie
De Saint Pierre, par Masaccio et Masolino. Et un très bon antidote au livre d'Eric Stemmelin, La Religion des seigneurs.
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