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« Je m'appelle Jasmine Dooyun. Je vais bientôt fêter mes quinze ans et je veux vivre ». C'est lors d'une enquête sur la prévention du sida dans le milieu de la prostitution que la journaliste Serena Monnier rencontre Jasmine, une rescapée, une fugitive prête à tenir tête aux souteneurs qui ont fait d'elle une esclave sexuelle à Paris. Bouleversée, Serena part au Nigeria, décidée à remonter le parcours de Jasmine et la piste du vaste réseau de proxénétisme franco-nigérian ... au même moment où le sergent Oni Goje découvre à Kaduna ( Nord du Nigeria ) deux corps de jeunes prostituées jetées nues au milieu d'ordures.

Est-ce qu'un mec bien fait un bon écrivain ? Est-ce que les bonnes intentions font les grands romans ? Après avoir refermé Free Queens, le « oui » s'impose avec force. Ce n'est pas la première fois que Marin Ledun trempe sa plume à la colère froide et l'indignation pour dénoncer les dérives et le cynisme d'un capitalisme éhonté. Son précédent roman, Leur âme au diable, s'attaquait à l'industrie du tabac. Ici c'est l'industrie brassicole et son côté obscur qui est dans son viseur.

Marin Ledun s'est inspiré de faits réels, plus particulièrement du reportage d'Olivier van Beemen, Heineken en Afrique, qui décrypte comment la multinationale néerlandaise s'est implantée dans le continent, travaillant avec les réseaux mafieux, s'alliant avec des politiciens et flics corrompus, tout un bataillon de prostituées à son service pour convaincre les clients des bars de consommer sa bière. La bière Primus est devenue First dans son livre, la Nigerian Breweries la Master Brewery Nigeria Inc.

Le récit est incroyablement dense, documenté, ancré dans le réel, dessinant le portrait sombre du Nigeria, pays ravagé, pêle-mêle, par la pauvreté endémique, le sida, la corruption des élites, les attaques terroristes perpétrées par Boko Haram et l'ISWAP ( Daech ). le Nigeria, « un enfant magnifique et insatiable né du viol colonial et de l'union forcée entre des peuples incapables de s'entendre. Depuis l'enfant avait grandi jusqu'à devenir un monstre incontrôlable, répandant rancoeur et haine dans le coeur des hommes ».

Les descriptions de la tentaculaire Lagos et de la non moins chaotique Kaduna, ville déchue du Nord du pays, sont saisissantes de réalisme et apportent beaucoup de profondeur à un récit à la construction virtuose. Les enquêtes parallèles de Serena Monnier et Oni Goje finissent par se croiser brillamment pour révéler la terrible vérité. le rythme monte crescendo sans aucune approximation, juste peut-être quelques longueurs ou sensation de redondances dans le troisième quart.

Mais ce qui frappe le plus, c'est la capacité de l'auteur à manier les personnages qui peuplent son intrigue. Malgré leur nombre assez impressionnant, ils sont tous formidablement incarnés, qu'ils s'agissent de ceux qu'on ne croise que sur quelques pages ( comme des prostituées nigérianes au service du système First ), ou les premiers rôles. Serena Monnier, la journaliste que l'on voit évoluer à mesure qu'elle saisit l'ampleur du crime, décillant ses yeux d'occidentale blanche privilégiée. Oni Goje, le flic intègre qui ne veut plus être aveugle ou sourd, et décide d'endosser la lourde mission de rendre identité, justice et dignité aux jeunes filles assassinées. Toutes les militantes de la Free Queens, l'association féministe qui guide Serena. Et surtout Ira Gowon, bras armé de la MB Nigeria Inc, tellement plus complexe que ses atours crades de flic corrompu de la SARS ( brigade spécial anti-vol ) le laissent entrevoir au départ.

Il y a clairement des bons et des méchants. Il y a clairement un auteur engagé qui sait choisir un camp. Et pourtant, son roman ne sombre jamais dans le manichéisme. Marin Ledun sait trouver la bonne distance. C'est avec lucidité qu'il pose les questions justes pour essayer de comprendre la violence du monde, sans chercher pour autant à imposer sa façon de voir les choses ou une pensée unique ou encore politiquement correcte. le lecteur est invité à réfléchir par lui-même et ça fait du bien ... même s'il en ressort indigné et sonné. Les derniers mots sont un uppercut dévastateur.

Un thriller politique ambitieux, maitrisé, remarquable.
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Je ne connaissais pas du tout Marin Ledun, et je suis enchantée d'avoir lu ce livre dont il est l'auteur.

Un roman pas simple à lire, je dois avouer qu'entrer dans le récit ne m'a pas été facile : beaucoup de noms de personnages, de sociétés, d'ONG…, beaucoup d'action dès le départ et une action rapide qui m'a tout de même amenée au coeur du problème du Nigéria : un de ces pays où les gouvernements se montent inactifs face aux difficultés d'une énorme partie de la population, un de ces pays où l'extrême misère côtoie l'extrême richesse, même si les groupes ont leur territoire, un de ces pays où la corruption bat son plein, où rien ne s'obtient sans bakchich, ou les jeunes femmes, voire adolescentes sont considérées par les « malfaisants » comme de la marchandise à livrer, un de ces pays où les droits humains sont plus que bafoués.

C'est dans ce contexte qu'évoluent les protagonistes : Serena, journaliste qui vient à Lagos afin d'enquêter sur la prostitution, qui se rendra compte de la situation des femmes, et comprendra le travail de Free Queens, ONG active qui milite pour le droit des femmes, Oni Goge, peut-être le seul policier honnête du pays, et qui découvre peu à peu les agissements de ses collègues et de a société qui commercialise la bière First en employant un grand nombre de jeune femme qui se prostitue afin d'écouler la marchandise.

Roman bien documenté, travail énorme de l'auteur, qui nous emmène dans les coulisses d'une société mafieuse pour laquelle tous les actes répréhensibles sont permis. Un roman basé sur des fait réels.

Un roman saisissant , une lecture accaparante, on se retrouve dans la peau de Serena, l'intrépide française qui comprendra vite combien la protection par autrui s'avère nécessaire, on prend en pitié ces adolescentes confrontées à la violence des proxénètes, on hurlera de rage face aux découverte du policier, on louera le travail admirable de personnes capables de se dévouer pour défendre une cause.

Effroyable terre que celle dont on sort à la fin du roman, pays où la pauvreté génère des comportement inhumains.

Un livre que je n'oublierai pas et que je conseille tout en me disant que le monde ne se porte pas si bien que cela, que je vis sans doute dans un cocon, et que la réalité est bien différente de ce que je perçois de la vie !
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Ca faisait longtemps que je n'avais pas lu un roman noir. Pas un roman policier où l'enquête se déploie selon une logique immuable menant à l'élucidation d'un crime. Pas un thriller dont on tourne les pages avidement et dont on ne garde plus aucun souvenir sitôt la dernière ligne avalée. Un roman noir. de ceux qui vous démontent les vices d'une société, vous fichent le nez dans le nauséabonde et le scandale ordinaire des laissés pour compte. de ces romans qui, s'ils mettent bien le crime au coeur de leur dispositif, ne vous laisseront jamais croire que l'identification de son auteur restaurera la bonne marche du monde pour autant. Un vrai roman noir, grinçant, dérangeant.
Free queens excelle en la matière et j'ai tout aimé : le style de Marin Ledun, élégant, précis, à la bonne distance de son histoire, sans surplomb théorisant ou condescendant, sans cette fausse familiarité gouailleuse qu'aurait pu autoriser à certains le thème de la prostitution. Non, un style à la sobriété efficace, d'une facture discrètement classique. On est chez Gallimard ça se sent.
J'ai aimé l'intrigue aussi. Ici, il va s'agir de ne pas trop en dire. de ne rien raconter en fait. Ce qui rend difficile le commentaire… quelques mots pour poser le cadre : prostitution, Niger, trafic, Blancs, alcool, misère, journalisme, sororité… Car ce que j'ai aimé, c'est que tout ce que ce sujet aurait pu avoir de périlleux à être traité par un homme blanc sur le mode du roman policier ait été désamorcé. La question de l'enquête, de l'enquêteur, de la victime et du coupable, la question de la parole des femmes, des femmes noires dans un monde où l'argent est aux Blancs, la question d'un cas singulier qu'on érigerait en symbole permettant de s'exonérer de tous les autres, tout est revisité de manière subtile et parfaitement appropriée.
Je sors de cette lecture encore habitée par son rythme, j'ai dans les yeux les scènes qui s'y sont déroulées. Cette fois, la narration n'aura pas eu de fonction cathartique et rien n'aura été apaisé. Mais j'aurais eu, outre le plaisir de lire une très bonne histoire, l'impression d'appréhender un peu plus justement l'ampleur et la complexité du tableau. Et puis, malgré le caractère très sombre du constat, reste l'espoir de la révolte, le bienfondé d'une indignation pleine de grâce et d'énergie.
J'ai eu la chance de découvrir ce livre avant sa sortie. Voilà qui me donne le privilège de vous le recommander chaudement et de vous inviter à guetter sa parution fin mars. Quant à moi, après cette première incursion dans l'oeuvre de Marin Ledun, nul doute que j'y reviendrai. Si vous avez des recommandations en la matière, je suis preneuse !
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Free queens
Marin Ledun
J'ai mis...une semaine à lire ce livre !
Alors oui, je lis peu en ce moment, trop de voyages, trop de...trop. Et puis la véritable raison: je me suis totalement enlisé dans ce livre interminable. Il cochait toutes les cases au départ, Marin Ledun est un très bon écrivain de romans noirs engagés, c'est un peu sa spécialité. Après le réquisitoire contre les lobbys du tabac, l'écrivain nous emmène au Nigéria enquêter sur la prostitution.
Là où j'habite, disons en banlieue résidentielle de Lyon, il y a toutes ces camionnettes disséminées dans la campagne. Des femmes, lourdement fardées, sortent en essaim des logements sociaux qu'elles occupent à plusieurs. Un van les récupèrent et les emmènent en rase campagne où elles vont taffer pendant des heures dans des conditions cloacales.
Free Queens, l'occasion de mieux comprendre...
Marin Ledun s'appuie sur les quelques articles du Monde ou du Gardian qui ont traité de la question et je pense qu'il a peut-être été faire un tour sur place. Il va, via une intrigue qui prend l'allure d'une enquête journalistique, dénoncé la collusion entre le pouvoir en place, l'implantation de gros brasseurs de bières néerlandais ( qui sont belges dans la réalité), et les réseaux de proxénétisme du Nigéria.
L'intrépide Sérena, pigiste au Monde (entre autres), va, aidée par quelques organismes nigérians militants dans le droit des femmes, révéler tout cela à la face du monde.
C'est courageux. Mais très, très redondant. le gouvernement, la bière, les prostituées, les flics tripoux et la corruption à tous les étages. Sur 500 pages.
Entre Lagos, la mégapole de tous les contrastes, Abuja, la belle capitale et Kaduna au nord, porte d'entrée en territoire dangereux.
On apprend l'implication du PSG(!) et de Total(!), les stratégies "commerciales" du proxénétisme à grande échelle, le nord musulman contre le sud chrétien, l'exagération des carnages imputés à Boko Haram (mais perpétrés par l'armée selon Marin Ledun) et on baigne en permanence dans la violence glauque et la misère.
Et puis le Covid débarque en Afrique et exacerbe les atrocités et les spoliations.
Bien sur Séréna saura faire vibrer nos petits coeurs d'occidentaux privilégiés, mais Mon Dieu que c'est long, peu écrit et constamment à charge.
Le dernier chapitre sauve malgré tout ce livre qui gagnerait à être beaucoup plus concis.
Bof,bof !
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Marin Ledun est un de ces romanciers qui nous offrent des romans coup de poing.
Des regards acérés sur notre monde.
Qui choisissent un sujet sensible et nous bousculent dans nos certitudes et notre confort quotidien.
Cela reste du roman, mais ça fait réfléchir.
Free Queens est de ceux-là.
On peut fermer les yeux, se boucher les oreilles, se taire, ou, au contraire, prendre une gifle, assumer notre indifférence, s'éveiller à la colère des autres et soutenir leur combat.
Ici, Ledun, dans un roman noir addictif, nous entraîne dans les pas d'une journaliste.
Au milieu d'une nuit parisienne, Serena Monnier sauve une jeune adolescente des griffes d'un proxénète.
Jasmine est venue en France, pour réaliser son rêve. C'est un cauchemar qu'elle a vécu.
Pour dénoncer les faits, la journaliste va prendre tous les risques et aller à la source d'un trafic juteux et impitoyable.
C'est au Nigeria qu'elle va enquêter, aidée par des organisations telles que Free Queens.
La prostitution.
Véritable fléau qui fait des ravages parmi ces femmes (parfois jeunes filles) qui se laissent envoûter par de belles promesses.
C'est le plus bel avenir qu'on leur fait miroiter, c'est l'enfer qu'elles découvrent.
Derrière ça ?
Des hommes.
Parfois, des proches.
Des industriels aussi, qui sont prêts à tout, pour dominer les marchés et augmenter leurs bénéfices.
Peu importe qu'il y ait des victimes, seul le résultat compte.
Le commerce de la chair. Lucratif.
L'argent et le champagne coulent à flots, les corps sont livrés en pâture.
Tout s'achète, même le silence et sinon...on élimine.
Serena parviendra-t-elle à dénoncer l'impensable ?
Le combat est-il perdu d'avance ?
Et ce flic, que certaines méthodes révoltent, sera-t-il le grain de sable qui va enrayer la machine ?
Free Queens, un roman noir, terrifiant et bouleversant.
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« le sexe, le fric et une First » Telle est la sainte trinité en terme de stratégie marketing pour Peter Dirksen dans le Nord du Nigeria dont il a la charge. Pour développer sa marque de bière et ses parts de marché face à ses concurrents, le hollandais a mis en place une batterie de vendeuses habillées aux couleurs de la marque, qui vendent leur charme dans les bars de Kaduna afin d'aguicher le chaland voire plus si le client paie bien et boit beaucoup de First. Des prostituées au service de la marque qui sont surveillées de près par deux agents de la SARS -la Special Anti Robery Squad - à la solde de MB Nigeria Inc, filiale locale d'un célèbre brasseur hollandais. Gowon et Udo n'hésitent d'ailleurs pas à se débarrasser des filles qui parlent trop comme deux d'entre elles qu'ils ont dû abandonner à la hâte sur une aire d'autoroute.
C'est justement sur cette aire que le sergent Oni Goje, membre de la Federal Road Safety , découvre ces deux corps sans vie. Il a bien l'intention de mettre des noms sur ces corps et de les rendre à leurs familles mais aussi de faire payer très cher ceux qui ont commis ces crimes ignobles..
C'est dans ce contexte que débarque sur le sol du Nigeria , la journaliste française Serena Monnier, bouleversée par le témoignage d'une prostituée mineure nigériane qu'elle a rencontrée à Paris et bien décidée à enquêter sur place sur les réseaux de prostitution organisés depuis le pays d'origine.
Accueillie par une ONG locale , les Free Queens, des femmes décidées à défendre leurs droits et celui de leurs soeurs dans ce pays aux coutumes patriarcales ancrées dans les gênes, dont la plupart des strates de l'Etat comme dela Police sont gangrenées par la corruption . Alors, au nord du pays, loin de la capitale économique Lagos, l'existence d'une jeune femme violée puis victime de prostitution forcée n'a nécessairement pas le même prix qu'une bouteille de First.

Le choc de l'écriture pour réveiller les consciences ? Marin Ledun n'a sans doute pas cette prétention. Mais son roman est pourtant d'une force implacable. Dans un style romancée mais sans concession il dénonce les pratiques de ces industriels, peu scrupuleux des droits humains tant qu'ils peuvent écouler leur produit. Quitte à user et à abuser d'une main d'oeuvre bien dressée de prostituées pour en faire la promotion. Tant pis pour les dégâts collatéraux, tant pis pour les méthodes utilisées : la force et la corruption et quand il faut faire taire un témoin gênant ou un journaliste au fait de leurs combines l'utilisation de moyens …plus définitifs.
Passionnant, très fouillé et documenté , le récit nous embarque immédiatement dans les remous nauséabonds de ces juteuses affaires contrebalancées par ces deux enquêtes croisées, l'une journalistique, l'autre empreinte d'humanité et de justice. Construit autour de quelques personnages principaux, le récit n'en compte pas moins de multiples protagonistes jouant leur rôle et leur partition dans les nombreux écheveaux qui supportent les différentes histoires, celles-ci finissant comme on s'en doute par se rejoindre.
La fin n'est sans doute pas là pour nous réjouir mais pour confirmer que le combat doit continuer, malgré les risques, malgré la peur, malgré la pression afin que le rêve de liberté de toutes ces femmes deviennent un jour une réalité.


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Jasmine est une jeune prostituée originaire du Niger. En fuyant l'univers brutal de la prostitution, elle croise le chemin de Serena, journaliste française. Non seulement la jeune fille veut se sortir de cet enfer, mais elle rêve de vengeance.
« Jasmine Dooyum avait la rage chevillée au corps. Depuis son arrivée en France, elle ne s'était pas contentée d'attendre une occasion de s'enfuir, elle avait aussi réfléchi à ce qui se passerait après son évasion. »
Touchée par le témoignage de la jeune nigériane qu'elle décrit comme une guerrière, Serena prend la décision de partir à Lagos, ville de tous les dangers et des réseaux de prostitution. Aidée par une ONG qui lutte pour le droit des femmes, elle découvre l'ampleur de la traite des femmes, mineures pour certaines.
Entre le cynisme, la corruption et la bêtise, elle va remonter le fil et braver tous les dangers pour témoigner à son tour. Sa détermination va finir par irriter un gros magnat de la bière qui mêle business et traite des femmes tout en achetant le silence des édiles.
De nombreux personnages traversent ce roman noir, très noir, tous crédibles. L'histoire, bien documentée, montre les ressorts de cette économie parallèle. Face aux flics ripous, une poignée de femmes courageuses et déterminées à défendre leur liberté.

Avec talent, Marin Ledun nous entraîne dans un thriller haletant avec des personnages bien campés et des situations angoissantes. Bien ficelé avec une écriture incisive, ce roman se lit d'une traite

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On entame déjà la rentrée littéraire qui emporte tout sur son passage avec une déferlante d'ouvrages alléchants nous incitant à oublier toutes les nouveautés publiées depuis le début de l'année. Il en va ainsi de la littérature avec une offre foisonnante, quelque peu restreinte cette fois-ci avec la crise du papier, seul élément positif que l'on trouvera dans cette hausse prohibitive des prix touchant l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Mais avant d'aborder cette nouvelle période littéraire, il importe de revenir sur certains ouvrages marquant de l'année à l'instar de Free Queens de Marin Ledun qui a d'ailleurs fait l'objet d'une kyrielle de retours élogieux pour ce roman noir abordant le thème de l'exploitation des femmes au sein d'une grand groupe brassicole international qui s'en servent comme d'un outil promotionnel pour écouler leurs produits. Auteur d'une vingtaine de récits, Marin Ledun s'est intéressé aux dérives entrepreneuriales, après en avoir fait les frais au sein de France Telecom, dont il a évoqué les agissements et plus particulièrement les mécanismes de cette souffrance au travail, conduisant parfois au suicide, dans Les Visages Écrasés (Seuil 2011) où une médecin du travail d'une plate-forme téléphonique mettait à jour la stratégie malsaine d'une hiérarchie cherchant à évincer ses employés au gré d'injonctions paradoxales meurtrières. Dans un registre similaire, ce sont les pratiques amorales des fabricants de cigarettes que Marin Ledun a décortiqué dans le vertigineux Leur Âme Au Diable (Série Noire 2020) dénonçant un lobbyisme acharné aux allures mafieuses. S'inscrivant dans ce que l'on pourrait désormais considérer un triptyque des déliquescences du monde des grandes entreprises, Free Queens fait référence, sans d'ailleurs jamais la nommer, à la controverse qui a agité la multinationale Heineken ayant formé des milliers de prostituées afin de booster ses ventes au Nigeria et que le journaliste Olivier van Beemen a mis en évidence dans son ouvrage Heineken en Afrique (Rue de l'échiquier 2019).

Journaliste au quotidien le Monde, Serena Monnier est témoin des agissements violents de souteneurs s'en prenant à une jeune jeune prostituée nigériane dont elle recueille le témoignage avant de se rendre à Lagos pour enquêter sur la traite des femmes. Au sein de cette ville tentaculaire, elle est guidée par les militantes de Free Queens, une association luttant pour le droit des femmes. Elle va ainsi prendre conscience de l'ampleur des agissements criminels de réseaux prospérant grâce à la prostitution permettant notamment à des multinationales sans scrupule d'utiliser cette main-d'oeuvre à des fin commerciales.
A Kaduna, dans le nord du Nigeria, le sergent Oni Goje, affecté à la Fédéral Road Safety, sait bien que les autorités ne feront pas grand chose pour élucider le meurtre de deux jeunes femmes qu'il a découvert dans une décharge. Aussi reprend-il l'enquête à son compte pour tenter de rendre justice à deux victimes dont personne ne se soucie.
Deux enquêtes parallèles qui vont mener le policier et la journaliste dans le sillage de Peter Dicksen, directeur général marketing de MB Nigeria Inc, s'ingéniant à mettre en avant la bière First en pouvant notamment compter sur l'appui des flics corrompus de la Special Anti-Robbery Squad encadrant toute une cohorte d'hôtesses portant les couleurs rouge et or de la marque.

Serena Monnier, Favour Egbe, Jasmine Doom, Esther Lekwot, Treasure Jones sont indéniablement les reines de ce récit s'employant à dénoncer les affres de la prostitution au Nigéria ainsi que les ramification qui en découlent sous le regard "bienveillant" des autorités couvrant les activités des entreprises implantées dans le pays, profitant ainsi de ces femmes vulnérables qu'il exploitent afin de mettre en avant leurs produits et plus particulièrement la bière objet de grande consommation en Afrique. On salue ainsi le travail minutieux de Marin Ledun mettant en avant le travail de ces ONG à l'instar de Free Queens luttant pour défendre les droits des femmes au sein d'une contrée où l'on accepte que le mari puisse frapper son épouse tandis que la charge de la preuve repose sur la victime en cas de viol. Ce n'est ni plus ni moins que l'exploitation, la privatisation des corps pour un dessein purement commercial que l'auteur met en scène au travers du témoignage de ces militantes, mais également des victimes que son personnage central de journaliste compile afin de dénoncer une dérive insoutenable et d'une ampleur sans égal. Sans jamais avoir à la supporter, on devine l'impressionnante documentation que Marin Ledun a digéré pour restituer le foisonnement de détails nous permettant de nous immerger dans l'atmosphère âpre des villes de Lagos et de Kadura, tandis que le COVID s'abat sur ce pays déjà frappé par les épidémies du SIDA et du choléra. Il en résulte un climat oppressant ponctué des exactions de Peter Dicksen et de ses comparses de la Spécial Anti-Robbery Squad dont on découvre les agissements au travers de l'enquête du sergent Oni Goje mettant en exergue la violence institutionnalisée de cette unité policière qui a vraiment existé avant d'être démantelée suite au soulèvement d'une partie de la population nigérienne dénonçant ses exactions sous l'emblème #EndSARS. On le voit l'intrigue oscille brillamment entre réalisme et fiction en mettant en avant le courage de ces femmes unies prêtent à risquer leur vie pour défendre les droits et les intérêts des plus démunies d'entre elles. Et même si l'espoir est palpable, Marin Ledun nous ramène à la réalité cruelle des choses avec un épilogue sans ambiguïté où l'on retrouve les héroïnes de Free Queens rejoignant une manifestation #EndSARSnow au péage de Lekki, autre fait réel d'une fiction imprégnée en permanence d'un réalisme sans fard.


Marin Ledun : Free Queens. Éditions Gallimard/Série Noire 2023.

A lire en écoutant : Look and Laugh de Fela Kuti. Album : Teacher Don't Teach Me Nonsense. 2009 FAK Ltd under license tou Kalakuta Sunrise / Knitting Factory Records.
Lien : http://www.monromannoiretbie..
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Marin Ledun est de ces auteurs qui adorent plonger dans la fange putride exhalée par le grand capitalisme. Après "Leur âme au diable" qui dénonçait l'emprise des lobbies cigarettiers, il aborde ici les horreurs du néocolonialisme, choisissant le Nigéria, pays le plus peuplé d'Afrique. 219 millions d'habitants dont 60% vivent avec moins de deux dollars par jours.
Pour les 40% autres, l'économie est plutôt florissante, toute entière orchestrée par des multinationales occidentales : les énergies fossiles, les métaux rares, et un nouvel Eldorado, la bière.
First, "the taste of love", la bière qui redonne goût à la vie, dope la virilité et redessine au passage les paysages de Lagos ou d'Abuja.
Quand la Master Brewers Nigeria Inc, dont le siège est aux Pays Bas, débarque avec son produit phare, c'est open bar. Un véritable boulevard de corruptions, d'opportunités, un marché gigantesque s'ouvre qui ne demande qu'à être cueilli. Et, quoi de mieux que le sexe pour moissonner ? de la brasserie aux bordels, il n'y a qu'un pas que les dirigeants de MB Inc. vont franchir allègrement.
C'est par cet angle que Marin Ledun affronte la pieuvre, s'inspirant du travail d'une journaliste française enquêtant sur les réseaux de prostitution qui tous, ramènent inéluctablement à l'entreprise philanthrope.
Parce qu'évidemment, c'est bien pour la prospérité et le développement du continent que ces valeureux hommes d'affaires d'affaires oeuvrent, dégainant pour preuve quelque fondation bienfaitrice pour couvrir l'ampleur du pillage tout en encaissant au passage les subsides versés aux ONG. Money is money...
Les femmes nigérianes, que le code criminel de 1990 oblige à assumer le fardeau de toute agression sexuelle, les acculant à fournir et financer les preuves des délits, et dont les maris peuvent user de sévices physiques tant qu'il épargnent la vue, l'audition, la parole et si possible la vie, n'ont souvent que leur corps comme moyen de subsistance . Quand elles ne s'exilent pas sur nos côtes, elles tombent dans les filets nationaux et sont enrôlées pour promouvoir le produit.
Free Queens est une association qui tente d'extirper du cloaque le maximum de jeunes femmes, et de stimuler une justice que la situation n'émeut guère.
L'histoire se déroule entre mars et avril 2020. Et l'on découvre effaré les effets des confinements africains. Lorsque seule l'économie parallèle nourrit les familles, l'enfermement tourne au crime organisé. Tandis que le pays comptait 96 cas de covid et 1 mort, la faim a jeter des millions de nigérians dans des situations dramatiques et violentes. En dépit des alarmes de Wole Soyinka, auteur nigérian prix Nobel de littérature, le président Buhari est resté inflexible, autorisant les forces de l'ordre à tirer à balles réelles. 18 morts en quinze jours...
Il est évident que Marin Ledun s'est inspiré d'une triste réalité. Quelques recherches rapides permettent de situer l'entreprise, non aux Pays Bas, mais du côté de la Belgique et corroborent les méthodes marketing employées.
Ce billet est long. Je suis en colère et dégoûtée. Mais dire mon dégoût et ma honte ne rendra aucune dignité aux nigérianes et à leurs soeurs de misère.
Il me permet juste de saluer le travail de cet auteur qui use des mots comme d'un révélateur.
Je clôture sur une petite méditation au crédit d'Aimé Césaire. " Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde."
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Free Queens de Marin Ledun est un roman qui dépasse et de loin le polar classique. Ici, on parle du Nigeria, pays le plus populeux d'Afrique avec 219 millions d'habitants. Boko Haram au nord et la corruption au sud, un pays où l'extrême richesse côtoie une pauvreté sans nom. Oni Goje est une sorte de Bruce Willis africain qui a démissionné de son poste d'inspecteur à cause de l'aveuglement volontaire de ses supérieurs, il est maintenant policier à la sécurité routière de Kaduna une sorte de Sin City, une ville rongée par la misère et gangrenée par la corruption. Au cours de son travail, il découvre les corps de deux jeunes femmes nues jetées sur le bord d'une route. Oni Goje veut rendre justice et découvrir leurs assassins, son enquête l'amène à découvrir les réseaux ou les proxénètes font la loi. Un réseau dirigé par Peter Dirksen un industriel de la bière qui vend le corps des femmes pour mieux écouler ses produits, va être dans la ligne de mire d'Oni Goje. En toile de fond, nous avons l'immense courage des femmes qui dirige une ONG à la défense des femmes Free Queens et de la journaliste Serena Monnier. le roman est plus complexe que les quelques lignes que j'ai écrites, mais j'espère qu'il suscitera la curiosité et l'envie de lire ce livre.
Moi qui ne connaissais du Nigeria que la musique de Sade, j'ai découvert au travers de ce roman une immense culture musical et un roman à lire prochainement La Prière des oiseaux de Chigozie Obioma.





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