Dans ma folle adolescence m'était venue l'idée, aussi sotte que grenue, de me lancer seule (Spinoza n'étant alors pas au programme) dans l'étude de "L'Ethique" et du "Traité théologico-politique". Et je me souviens m'être alors demandé avec une consternation certaine si d'aventure et pour mon plus grand malheur de mauvaises fées ne s'étaient pas penchées sur mon berceau pour ne me laisser, en matière d'intellect, que deux neurones et demi...
Désolation... Avec ses démonstrations mathématiques, ses propositions et autres scolies, Spinoza, le philosophe du bonheur, le spécialiste de la joie, m'avait alors littéralement accablée. Depuis, ayant probablement retrouvé quelque part mes neurones manquants, j'ai réussi à faire mon miel de cette rugueuse "Ethique" et fini par compter Spinoza au rang de ces amis d'un abord certes difficile mais qui, fondamentalement, ne vous veulent que du bien. Comme quoi, la vie...
Mais comme j'aurais aimé, à l'époque, avoir en mains ce livre de Frédéric Lenoir pour me guider dans la pensée spinozienne, dans la complexité de ses raisonnements et dans la difficulté de son approche mathématique !
Voilà un petit essai, fort bien écrit et d'une lecture extrêmement agréable et rapide (je l'ai lu en une soirée) qui nous conduit en douceur et sans douleur au coeur du système spinozien et de ses problématiques essentielles. Certes, et il le reconnaît lui-même, Frédéric Lenoir n'est pas un spécialiste de Spinoza. Mais il l'a étudié en profondeur et nous restitue avec talent le portrait d'un homme replacé dans son contexte et un système de pensée qui fut révolutionnaire en son temps et, à bien des égards, le reste encore aujourd'hui.
Merci, Monsieur Lenoir, pour cette vulgarisation intelligente et sensible !
P.S. A tous les lecteurs de Babélio qui souhaiteraient faire de "L'Ethique" LE best-seller de l'été (lecture idéale pour la plage !!! :-)) et aller plus avant dans la découverte de Spinoza, je conseille "Spinoza, une philosophie de la joie" de Robert Misrahi et le "Spinoza" de Steven Nadler.
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Avec intelligence et sensibilité, le philosophe, sociologue et auteur français Frédéric Lenoir rend accessible la pensée du grand philosophe Baruch Spinoza, démontrant à quel point il était visionnaire et éclairant dans son nouveau livre, Le miracle Spinoza.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Après cette tentative d’assassinat, Spinoza prend pour devise le mot latin Caute, « Méfie-toi ». Ce qui le conduira par la suite à renoncer à publier certains de ses ouvrages ou bien à les publier sous un nom d’emprunt. Peu de temps après cet événement tragique, comme aucun arrangement ne semblait possible entre le jeune homme et les autorités de la synagogue, ces dernières prirent la décision de bannir définitivement Spinoza de la communauté. Le 27 juillet 1656, se déroule dans la synagogue d’Amsterdam une cérémonie aussi rare que violente : les anciens prononcent un herem, un acte solennel de « séparation », envers Baruch Spinoza, alors âgé de vingt-trois ans. Le texte a été retrouvé dans son intégralité : « À l’aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté en présence de nos livres saints et des six cent treize commandements qui y sont enfermés. Nous formulons ce herem comme Josué le formula à l’encontre de Jéricho. Nous le maudissons comme Élie maudit les enfants et avec toutes les malédictions que l’on trouve dans la Loi. Qu’il soit maudit le jour et maudit la nuit. Qu’il soit maudit pendant son sommeil et pendant qu’il veille. Qu’il soit maudit à son entrée et qu’il soit maudit à sa sortie. Veuille l’Éternel ne jamais lui pardonner. Veuille l’Éternel allumer contre cet homme toute Sa colère et déverser sur lui tous les maux mentionnés dans le livre de la Loi : que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais, et qu’il plaise à Dieu de le séparer de toutes les tribus d’Israël en l’affligeant de toutes les malédictions que contient la Loi. Et vous qui restez attachés à l’Éternel, votre Dieu, qu’Il vous conserve en vie. Sachez que vous ne devez avoir avec Spinoza aucune relation écrite ni verbale. Qu’il ne lui soit rendu aucun service et que personne ne l’approche à moins de quatre coudées. Que personne ne demeure sous le même toit que lui et que personne ne lise aucun de ses écrits. »
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C’est ainsi que David Ben Gourion, alors Premier ministre du jeune État hébreu, proposa en 1953 de faire de Spinoza un « père fondateur » du nouvel État juif. Les rabbins lui répondirent par une fin de non-recevoir. Ils protestèrent aussi violemment lorsque, en 1956, à l’occasion du 300e anniversaire du herem de Spinoza, il envoya l’ambassadeur d’Israël aux Pays-Bas assister à la cérémonie au cours de laquelle on dressa, dans le cimetière où il avait été enterré, une stèle commémorative, financée par les dons de juifs israéliens, sur laquelle était inscrit en hébreu : « Amcha », « Ton peuple ». Ben Gourion, à qui on avait aussi demandé de faire lever le herem à cette occasion, se refusa à entreprendre cette démarche, non seulement parce qu’il savait cette cause perdue d’avance, mais aussi parce qu’il considérait que le herem était « nul et non avenu ». « Il y a, à Tel Aviv, une rue qui porte son nom, écrit-il, et il n’est pas une seule personne dotée de raison dans ce pays pour considérer que son exclusion est toujours en vigueur6. »
En 2012, toutefois, le grand rabbin d’Amsterdam fut sollicité par de nombreuses personnalités juives, afin de lever le herem et de réintégrer Spinoza dans la communauté. Il créa une commission pour étudier « le cas Spinoza » (à laquelle participeront non seulement des religieux, mais aussi des philosophes et des historiens, tel Steven Nadler), laquelle conclut, en juillet 2013, qu’une telle levée était impossible non seulement parce que les motifs qui l’avaient motivée restaient intacts, mais surtout parce que Spinoza n’avait jamais exprimé le moindre repentir, ni le moindre désir de rejoindre la communauté juive.
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Là où Spinoza diverge fortement de la lecture rabbinique (et même chrétienne) traditionnelle de la Bible, c'est qu'il ne considère pas que l'élection du peuple hébreu soit le fait d'une quelconque préférence de Dieu, mais un artifice pédago-gique, afin que les Hébreux comprennent et pratiquent la loi divine, laquelle réside dans les lois immuables de la nature : « Par gouvernement de Dieu, j'entends l'ordre fixe et immuable de la nature, autrement dit l'enchaînement des choses naturelles ; en effet, nous avons dit plus haut et montré ailleurs que les lois universelles de la nature, suivant lesquelles tout se produit et tout est déterminé, ne sont pas autre chose que les décrets éternels de Dieu. » Une telle conception de Dieu et de sa providence est évidemment aux antipodes de celle dominante chez les juifs et les chrétiens, qui imaginent un Dieu extérieur à la nature, doué de sensibilité et de volonté à la manière humaine, capable de s'éprendre d'un peuple particulier pour se révéler (puis ensuite pour les chrétiens, selon le même modèle de l'élection, qui aimera d'un amour singulier le peuple des baptisés).
Il se livre enfin à une étude plus approfondie de la méthode visant à interpréter l'Écriture.
Ces derniers chapitres [du Traité théologico-politique] commencent par une charge violente contre les clercs, les théologiens et les autorités religieuses, qui utilisent et interprètent les Écritures afin de consolider leur pouvoir et d'étendre leur domination sur les hommes : « Seule une ambition criminelle a pu faire que la religion consistât moins à obéir aux enseignements de l'Esprit-Saint qu'à défendre des inventions humaines, bien plus, qu'elle s'employât à répandre parmi les hommes, non pas l'amour, mais la lutte et la haine la plus cruelle sous un déguisement de zèle divin et de ferveur ardente.» En notre époque marquée par un nouveau déchaînement des passions religieuses et de massacres d'innocents commis au nom de Dieu, cette parole de Spinoza frappe par sa pertinence.
L’ignorance est la cause de tous les maux. A l’inverse la connaissance ouvre la voie au changement, à l’action appropriée à la liberté.Ne pas porter de jugement sur un acte mais essayer de le comprendre en vue de l’améliorer. s’attaquer aux causes profondes.
Agir au lieu de se lamenter. Et s’engager dans l’éducation, le savoir être et le vivre ensemble.
C’est parce que la vie est incertaine, faite de hauts et de bas que nous sommes portés à croire à toutes sortes de fables, qui nous aident à conjurer la crainte et à allumer l’espoir. (…) Mais surtout il explique que la superstition est le meilleur moyen de gouverner la masse et qu’elle prend le plus souvent le visage de la religion.
Celui qui jouit du vrai bonheur ne se sent en rien supérieur aux autres et n’a pas besoin d’affirmer sa supériorité par une prétendue élection divine. « La joie qu’on éprouve à se croire supérieur, si elle n’est pas tout enfantine, ne peut naitre que de l’envie et d’un mauvais cœur. »
Le but de l’organisation en société, c’est la liberté. Le meilleur gouvernement est celui qui respecte la liberté de penser des individus. Chaque individu fait ce qui lui semble être bon pour lui. Si les hommes vivaient sous l’emprise de la meilleure partie d’eux même, la raison, ils ne causeraient jamais de tord à autrui. Mais comme ils vivent davantage sous l’emprise de leurs passions (les émotions, l’envie, la jalousie, le besoin de dominer, etc.), les êtres humains s’entre-déchirent.
La démocratie n’est donc pas nécessairement le régime le plus vertueux d’un point de vue moral, mais c’est le plus efficace, le plus à même d’assurer la cohésion des citoyens. Il est donc le plus vertueux d’un point de vue politique, car il répond le mieux à la finalité profonde du politique : assurer de manière pérenne la sécurité et la paix entre les hommes. Spinoza affirme d’ailleurs clairement qu’il y a des choses immorales, comme certains divertissements, l’ivrognerie, la débauche, etc., qu’il vaut mieux tolérer qu’interdire, car le bien commun s’en trouverait menacé :? »Vouloir régir la vie humaine tout entière par des lois, c’est exaspérer les défauts plutôt que les corriger ! Ce qu’on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre, malgré le dommage qui en résulte souvent. »
Extrait du livre audio « L'Odyssée du sacré » de Frédéric Lenoir lu par Mathieu Buscatto. Parution numérique le 17 janvier 2024.
https://www.audiolib.fr/livre/lodyssee-du-sacre-la-grande-histoire-des-croyances-et-des-spiritualites-des-origines-nos/