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Louis Bonalumi (Traducteur)Jorge Semprun (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070728305
134 pages
Gallimard (16/09/1997)
4.1/5   24 notes
Résumé :


Ce recueil - qui va de février 1943 à janvier 1987, peu avant la disparition de l'auteur de Si c'est un homme -rassemble toute l'œuvre poétique de Primo Levi.

Non sans une pointe d'ironie, l'auteur dans un bref avant-propos, s'excuse auprès des lecteurs d'avoir cédé de temps à autre, " à une heure incertaine " à l'obscur désir d'écrire des vers : comme si cette impulsion venue des tréfonds de nous-(même, d'une sorte d'enfance de l'âme,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Étant un lecteur de Primo Levi (un de mes auteurs préférés même) et un amoureux de la poésie, je ne pouvais pas passer à côté de son receuil de poèmes. Et je ne fus pas déçu. Malgré qu'il ait connu l'infamie humaine, Primo Levi nous offre des textes plein de tendresse (mais si dans certains on peut retrouver une certaine noirceur). La blessure est là, mais il a su garder le meilleur en lui et il nous le rend avec ces vers.
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« Ecrire un poème après Auschwitz est barbare, car toute culture consécutive à Auschwitz n'est qu'un tas d'ordures » pensait Theodor Adorno.

Heureusement pour nous, Primo Levi a écrit. Ce magnifique recueil en témoigne, avec rage et sensibilité.

« A une heure incertaine » (« Ad ora incerta ») : ces mots sont empruntés à S.T. Coleridge :
« Since then, at an uncertain hour,
That agony returns:
And till my ghastly tale is told
This heart within me burns ».


Dans la préface de la première édition de AD ORA INCERTA, Primo Levi se demande, pourquoi, pourquoi la poésie.
«Je suis un homme. Moi aussi, [...] j'ai cédé à cette impulsion: elle est inscrite, semble-t-il, dans notre patrimoine génétique. À certains moments, la poésie m'a paru mieux indiquée que la prose pour transmettre une idée ou une image. Je ne saurais dire pourquoi, et ne m'en suis jamais soucié...»

Cette question, du pourquoi, nous renvoie à son récit autobiographique SI C'EST UN HOMME. (qui est aussi le titre de l'un des poèmes du recueil)
«Et justement, poussé par la soif, j'avise un beau glaçon sur l'appui extérieur d'une fenêtre. J'ouvre, et je n'ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu'un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l'arrache brutalement. «Warum?» dis-je dans mon allemand hésitant. « Hier ist kein warum » (ici il n'y pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l'intérieur. »


Mes mots n'étant rien face aux siens, j'isole juste 5 poèmes.


Le décathlonien
(…) « Dans les tribunes, vous m'avez sifflé,
je l'ai très bien entendu.
Mais qu'attendez-vous donc de nous ?
Que nous demanderiez-vous encore ?
De prendre notre envol ?
De composer un poème en sanscrit ?
D'arriver au bout du pi grec ?
De consoler les affligés ?
De mettre en oeuvre la pitié ? »


Donnez-nous
« Donnez-nous quelque chose à détruire,
Une corolle, un coin de silence,
Un compagnon de foi, un magistrat,
Une cabine téléphonique,
Un journaliste, un renégat,
Un supporter de l'autre équipe,
Un réverbère, une grille d'égout, un banc public.
Donnez-nous quelque chose à érafler,
Un mur neuf, la Joconde,
Une aile de voiture, une pierre tombale.
Donnez-nous quelque chose à violer,
Une adolescente timide,
Un parterre de fleurs, nous-mêmes.
Ne nous méprisez pas : nous sommes
Des messagers et des prophètes.
Donnez-nous quelque chose qui brûle,
Offense, lacère, défonce, salisse,
Qui nous fasse sentir que nous existons.
Donnez-nous une matraque ou une Nagant,
Donnez-nous une seringue ou une Suzuki.
Plaignez-nous ».


Le survivant
Since then, at an uncertain hour,
Depuis lors, à une heure incertaine,
Cette souffrance lui revient,
Et si, pour l'écouter, il ne trouve personne,
Dans la poitrine, le coeur lui brûle.
Il revoit le visage de ses compagnons,
Livide au point du jour,
Gris de ciment,
Voilé par le brouillard,
Couleur de mort dans les sommeils inquiets;
La nuit, ils remuent des mâchoires
Sous la lourde injonction des songes,
Et mâchent un navet inexistant.
«Arrière, hors d'ici, peuple de l'ombre,
Allez-vous-en. Je n'ai supplanté personne,
Je n'ai usurpé le pain de personne,
Nul n'est mort à ma place. Personne.
Retournez à votre brouillard.
Ce n'est pas ma faute si je vis et respire,
Si je mange et je bois, je dors et suis vêtu.»


Ils étaient cent
(…) « « Arrière, allez-vous-en, spectres immondes :
regagnez votre vielle nuit ».
Nul ne répondit, mais, par contre,
Tous, en cercle, ils avancèrent d'un pas ».


11 février 1946
« Je te cherchais déjà dans les étoiles
En les interrogeant lorsque j'étais enfant,
J'ai questionné de même les montagnes,
Mais elles ne m'ont donné que rarement la solitude et une paix trop brève.
Parce que tu me manquais, dans les soirées trop longues,
J'ai médité cet insane blasphème,
Que le monde était une erreur de Dieu,
Que j'étais moi-même une erreur au monde.
ET quand, face à la mort,
J'ai crié « non » de tout mon être,
Et que je n'avais pas encore fini,
Et que j'avais encore bien trop à faire,
C'est parce que tu étais, je t'ai vue, devant moi,
Toi, et moi près de toi, comme aujourd'hui,
Un homme et une femme, en plein soleil,
Si je suis revenu, c'est que tu étais là ».

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Quel écrivain que Primo Levi !
Après avoir vécu l'enfer des camps de concentration, il cherche à comprendre la haine et le fanatisme et il rêve, avec ces poèmes, des paradis perdus de la tendresse humaine.
"Nous devons essayer de comprendre de quoi est faite cette force, et l'arrêter. Pour que la douleur et la mémoire ne soient pas inutiles."
Ce recueil m'a profondément touchée par sa sensibilité et son optimiste dans un monde pourtant si noir.
Il faut lire ces poèmes à voix haute, pour en éprouver le sens et s'en imprégner.
Magnifique !
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J'ai choisi ce recueil à cause de son titre "A une heure incertaine". Je connais de nom l'auteur Primo LEVI. Je n'ai pas encore lu son livre "Si c'est un homme" dans lequel il raconte son expérience concentrationnaire.
Dans ce recueil de poésie versifié mais aussi en prose, Primo LEVI vit seul dans le noir avec toutes les voix qui le hantent. Il est au bord du chemin.
C'est une poésie tragique qui m'a touchée.
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Primo Lévi poète ? Je l'ignorais, alors que j'ai déjà lu presque toute sa prose. J'ai eu l'occasion de découvrir un auteur plein de sensibilité, chez qui tendresse, espoir et douleur cohabitent. Il écrit simplement, avec sobriété ! Je l'ai lu avec un grand intérêt. J'ai un sentiment d'admiration - qui n'a rien de béate - pour lui qui a exprimé les sentiments profonds des hommes, avec pudeur et délicatesse. Son message inclut et dépasse son expérience personnelle d'ancien déporté dans un camp de la mort. Mais je ne peux m'empêcher de compatir en pensant à son épreuve à Auschwitz, et aussi à son suicide en 1987.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Le dégel
 
Quand la neige sera toute fondue
Nous irons en quête du vieux sentier,
Celui qui se couvre de ronces
Au pied du mur du monastère,
Et tout sera comme autrefois.
 
Bien cachées dans la bruyère,
Nous retrouverons des herbes
Dont je ne puis citer le nom :
Je le rapprends le samedi
Mais le lendemain je l'oublie.
On m'a dit qu'elles sont rares
Et bonnes contre le mal
Qui a nom mélancolie.
 
Tendres comme des nouveaux-nés,
Au bord du chemin les fougères
Sont sorties à peine de terre,
Enroulées en crosses et en spires,
Et cependant,
Déjà prêtes pour leurs amours —
Des amours alternées et vertes,
Beaucoup moins simples que les nôtres.
 
Leurs germes sont impatients,
Petits mâles, petites femelles,
Dans les sporanges couleur de rouille.
À la pluie ils s'élanceront,
Nageant dans la première goutte,
Pressés de s'unir et agiles,
Vivent les nouveaux époux!
 
Nous sommes bien las de l'hiver :
Du gel la morsure a laissé sa marque
Sur la chair, l'esprit, la boue et l'écorce,
Vienne le dégel, et fonde le souvenir
Des neiges de l'an passé.
 
2 février 1985
 
('Autres poésies', pp. 111-112)
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Le survivant
à B.V.
   
Since then, at an uncertain hour,
Depuis lors, à une heure incertaine,
Cette souffrance lui revient,
Et si, pour l'écouter, il ne trouve personne,
Dans la poitrine, le coeur lui brûle.
Il revoit le visage de ses compagnons,
Livide au point du jour,
Gris de ciment,
Voilé par le brouillard,
Couleur de mort dans les sommeils inquiets :
La nuit, ils remuent des mâchoires
Sous la lourde injonction des songes,
Et mâchent un navet inexistant.
« Arrière, hors d'ici, peuple de l'ombre,
Allez-vous-en. Je n'ai supplanté personne,
Je n'ai usurpé le pain de personne,
Nul n'est mort à ma place. Personne.
Retournez à votre brouillard.
Ce n'est pas ma faute si je vis et respire,
Si je mange et je bois, je dors et suis vêtu. »
   
4 février 1984
   
p. 88 / Note : Le survivant. Cf. S. T. Coleridge, The Rime of the Ancient Mariner, v. 582, et Dante, Enfer, XXXIII, 141.
   
'Poème dédié à son ami Bruno Vasari, qui a survécu à son internement à Mauthausen'. Cité in « Primo Levi ou la tragédie d'un optimisme », par Myriam Anissimov, 1996.  (Éd. Points, 2022 - p. 269)
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L'oeuvre

Voilà, c'est terminé : on n'y touche plus.
Qu'à la main la plume me pèse!
Elle était si légère, tantôt,
Et plus vive que le vif-argent :
Je n'avais qu'à la suivre,
Elle me guidait la main
Comme un voyant guide un aveugle,
Comme une dame vous invite à danser.
Maintenant, ça suffit, la tâche est terminée,
Parachevée, bouclée.
Si j'en ôtais ne fût-ce qu'un seul mot,
Ce serait comme un trou d'où suinte le sérum.
Si j'en ajoutais un,
Il saillerait, aussi laid qu'une verrue.
Si j'en changeais un seul, il sonnerait faux
Comme un chien qui aboie au milieu d'un concert.
Et maintenant, que faire? Comment s'en détacher ?
Mettre au monde une œuvre, c'est chaque fois mourir un peu.
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11 février 1946
« Je te cherchais déjà dans les étoiles
En les interrogeant lorsque j'étais enfant,
J'ai questionné de même les montagnes,
Mais elles ne m'ont donné que rarement la solitude et une paix trop brève.
Parce que tu me manquais, dans les soirées trop longues,
J'ai médité cet insane blasphème,
Que le monde était une erreur de Dieu,
Que j'étais moi-même une erreur au monde.
ET quand, face à la mort,
J'ai crié « non » de tout mon être,
Et que je n'avais pas encore fini,
Et que j'avais encore bien trop à faire,
C'est parce que tu étais, je t'ai vue, devant moi,
Toi, et moi près de toi, comme aujourd'hui,
Un homme et une femme, en plein soleil,
Si je suis revenu, c'est que tu étais là ».
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Nachtwache


« Où en est la nuit, sentinelle ? »

« J'ai entendu le hibou répéter
Sa note creuse, oraculaire,
Et la chauve-souris pousser son cri perçant,
Et bruisser sous les feuilles pourries de l'étang
Le serpent d'eau.
J'ai entendu des voix
Avinées, irascibles, pâteuses, somnolentes,
Venir de la gargote, tout près de la chapelle.
J'ai entendu chuchoter les amants,
Les râles et les ris des envies satisfaites ;
Et des adolescents murmurer dans le rêve,
Et d'autres, insomnieux, s'agiter de désir.
J'ai vu l'éclat muet des éclairs de chaleur,
J'ai vu la peur que chaque soir éprouve
La jeune fille à la raison perdue
Qui ne distingue plus entre lit et cercueil.
J'ai entendu le halètement rauque
Du vieillard seul, qui conteste la mort,
Et se déchirer une femme en couches,
Et les pleurs d'un enfant qui vient de naître au
monde.
Couche-toi et dors, citoyen,
Tout est en ordre ; la nuit en est à son milieu. »

10 août 1983

p.81-82
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