J'avais lu il y a quelques années la première version de ce livre, mais j'ai décidé de faire connaissance avec ce roman comme si c'était ma première lecture et j'ai eu totalement raison. J'ai été happée par cette histoire transposée en 1990 et franchement, c'est fabuleux !
Des groupes terroristes revendiquent l'assassinat du général Ortega, obligeant Santiago à sortir de l'ombre tout en restant sous la houlette du commissaire Martinot. Ortega était un dictateur de la pire exprès ayant à son palmarès de nombreux crimes.
Connaissant Paris comme ma poche, j'ai particulièrement apprécié la balade que l'auteur m'a fait vivre au travers de la capitale, en particulier le clin d'oeil au passage du Grand Cerf.
J'avais lu ce roman il y a quelques années, mais cela n'a nullement impacté ma relecture, comme si c'était la première fois. Je me suis prise au jeu de rechercher les modifications principalement celles en lien avec les nouvelles technologies. du très bon travail !
Ce roman est un thriller à dominante politique, ce qui n'est pas mon genre favori, il faut bien l'avouer, car la politique et moi … mais l'auteur a su très habilement relier ce domaine ardu avec une bonne intrigue policière bien ficelée avec des personnages très attachants, un humour qui met du sel dans la narration.
Je ne peux que conseiller ce livre qui tient bien la route, où l'assassin est une surprise, et surtout qui au-delà du thriller, offre au lecteur la possibilité de s'interroger sur ces politiciens à l'origine de nombreux génocides. Également se poser la question qui vient inévitablement à notre esprit, Ortega aurait-il eu une Justice à la hauteur de ses crimes s'il n'avait pas été assassiné ?
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Son corps n’était plus que douleur. Il avait atteint un stade où il lui était impossible de distinguer l’origine des élancements qui parcouraient sa pauvre chair striée de balafres sur lesquelles le sang virait au noir en coagulant.
Il gisait sur une planche au fond d’un cachot sans air ni lumière autre qu’une veilleuse destinée à permettre à ses gardiens de le surveiller. Le surveiller pourquoi faire ? Il aurait souri s’il en avait eu la force, il ne risquait pas de tenter quoi que ce soit, même un suicide serait au-delà de ses forces et de ses possibilités.
Il se rappelait les récits de la seconde guerre mondiale qu’il aimait tant lire lorsqu’il était adolescent. Une question le taraudait à cette époque-là, résistant torturé par la Gestapo aurait-il parlé ? Il avait la réponse maintenant. Il n’avait pas parlé, mais à quoi bon ?
Ses bourreaux n’étaient pas engagés comme les nazis dans une guerre qu’ils pouvaient perdre, les renseignements qu’il pouvait leur donner leur étaient quasiment inutiles. Ils contrôlaient l’armée, la police, en face d’eux le peuple se taisait, faisant semblant de regarder ailleurs. Tous ceux qu’il aurait pu dénoncer étaient soit en prison, il en avait croisé quelques-uns, soit partis à l’étranger. Leur but était de le briser, de lui faire perdre toute dignité, c'est pour cela qu’il s’était arc-bouté sur son silence
Pourquoi le peuple, son peuple, les avait-il abandonnés ? Tout avait commencé par des renoncements, des compromissions, des promesses non tenues. Dieu sait s’il avait rêvé d’un monde plus juste, sans misère, où les hommes se sentiraient égaux. Ce rêve l’avait porté pendant des années et des années. Jusqu’à sa participation au pouvoir. Gouvernement inespéré, incongru avaient proféré les leaders de la droite démocratique, illégitime avaient renchéri ceux de l’extrême droite.
A quel moment cela avait-il basculé ? Il y avait eu les reculs sur les promesses sociales de la campagne électorale, puis les manifestations de tout ce que le pays recelait de plus réactionnaire, des intégristes religieux aux ultra-nationalistes. La décision du président de ne pas répondre par la force au chaos qui peu à peu s'installait. Les demi-mesures qui ne satisfaisaient pas les opposants et éloignaient les partisans. La surenchère qui en découla. Les leaders de la droite de gouvernement qui peu à peu insensiblement, par peur de perdre leur électorat, alignaient leur discours et parfois leurs pratiques sur les chefs des groupuscules de la droite la plus extrême.
Un jour, ils s’étaient réveillés dans un monde qu’ils n’auraient pas pu croire possibles, pas chez eux, l’armée était fidèle aux principes démocratiques, elle obéissait au pouvoir. Le président pour prouver sa confiance avait nommé chef d’état-major l'un des généraux les plus engagés dans l’opposition. Il était maintenant à la tête de la junte avec entre autres le sang du président sur les mains.
Pourtant, lorsque la douleur lui laissait un répit, il se répétait qu’il ne regrettait pas son engagement, il est des rêves qui méritent qu’on leur sacrifie tout, y compris sa vie. Une larme coula sur sa joue noire de barbe et de crasse, il aurait préféré vivre pour ses idées il ne lui restait plus qu’à en mourir.
Ce matin, du moins pensait-il qu’il s'agissait du matin, ils lui avaient enlevé ses dernières consolations. Sa femme, le seul amour d’une vie qui n'allait pas être aussi longue qu’il aurait pu l'espérer, était morte en accouchant de leur deuxième enfant, mort né s’il devait les croire. Personne n’avait parlé d’Inès, sa fille, il s’accrocha à l’espoir que sa grand-mère la protégerait contre le général Ortega, son cousin. Il se souvenait des vacances au bord de la mer chez elle, des jeux avec ses cousins dont Manuel, puis à l’adolescence de leur rivalité à propos des filles. C’était stupide de se dire qu’il n’était pas possible de prévoir, bien sûr rien n’est écrit.
Il avait fini par s’assoupir, cela faisait longtemps qu’il ne dormait plus. L’ouverture de la porte de sa cellule le réveilla. Il reconnut deux des militaires qui l’avaient " interrogé ". Ils le soulevèrent, chacun glissant une main sous une aisselle. Celui qui paraissait le plus gradé, ils ne portaient ni insigne ni aucune autre marque distinctive, se pencha vers son visage « Tu as de la chance tu vas pouvoir prendre l'air. » Juan se dit que cela ne présageait rien de bon, tout changement dans la routine est source de danger pour un prisonnier politique. Ils l'entraînèrent, le traînant lorsque ses jambes ne le portaient plus. Le soleil dans la cour de la caserne-prison l'éblouit.
« Tu vas même faire un tour en hélicoptère. » Ajouta toujours le même homme, l’autre n'ouvrant pas la bouche. Ils s’approchèrent du Bell Iroquois, produit de l’aide militaire des États-Unis, la plus grande démocratie de la planète, Juan avait encore assez d’énergie pour ironiser. Il vit que trois autres de ses compagnons d’infortune étaient déjà installés dans l’hélico, il les connaissait tous, le plus jeune avait tout juste vingt ans. Il l'avait croisé devant la salle de torture, il frissonna en pensant au regard que le jeune homme lui avait lancé tout en murmurant « Je n’ai rien dit Juan, je te jure que je n’ai rien dit. » Pauvre gamin, quelle cause pouvait valoir autant de souffrances ?
Le vol dura un quart d’heure. Pour Juan ce fut comme une récréation, la journée était belle, le soleil dont il avait était privé depuis plusieurs mois, il avait perdu le décompte des jours, jouait sur son visage. Personne ne leur avait interdit de se parler, mais le bruit du moteur et le sifflement des pales les aurait obligés à crier et aucun n’était en état de le faire.
L’aéronef s’immobilisa en vol stationnaire au-dessus de l'océan. Le même homme s’approcha de Juan « Il paraît que tu aimes les animaux, tu vas pouvoir aller t’amuser avec les requins. » Il éclata de rire imité par ses compagnons. « Viens mon pote, ne les faisons pas attendre. » Juan se sentit soulevé de son siège. Un gifle d’air frais lorsque ils l'approchèrent de la porte, le rotor entraînait un ventilateur géant pensa Juan. Une poussée, quelques brèves secondes pendant lesquelles il eut l’illusion de voler puis le mur de l’océan et le néant.
Assassiner quelqu’un en direct à la télévision, sans se faire immédiatement prendre, laissait augurer un assassin habile. Le commissaire Martinot n’aimait pas les assassins habiles, ni les assassins tout court d’ailleurs. Fort heureusement pour lui, son grade ne lui donnait pas souvent l’occasion de traiter ce type d’affaires. Il fallait la conjonction de la personnalité de la victime, du lieu où le meurtre avait été perpétré et d’une revendication par un aussi mystérieux que nouveau venu, “Groupe pour la vengeance des victimes des dictatures”, pour que l’enquête lui échoie d’autant plus qu’il avait passé une bonne partie de sa carrière à la DST. Échoué était bien le mot d’ailleurs, sans doute le Ministre craignait-il que des questions relatives au secret défense ne viennent mettre des bâtons dans les roues de ses collègues de la police judiciaire et ne les empêche de dénouer l’affaire avec toute la célérité qui s’imposait.
Tout avait commencé par des renoncements, des compromissions, des promesses non tenues. Dieu sait s’il avait rêvé d’un monde plus juste, sans misère, où les hommes se sentiraient égaux. Ce rêve l’avait porté pendant des années et des années. Jusqu’à sa participation au pouvoir. Gouvernement inespéré, incongru avaient proféré les leaders de la droite démocratique, illégitime avaient renchéri ceux de l’extrême droite.
À quel moment cela avait-il basculé ? Il y avait eu les reculs sur les promesses sociales de la campagne électorale, puis les manifestations de tout ce que le pays recelait de plus réactionnaire, des intégristes religieux aux ultra-nationalistes. La décision du président de ne pas répondre par la force au chaos qui peu à peu s’installait. Les demi-mesures qui ne satisfaisaient pas les opposants et éloignaient les partisans. La surenchère qui en découla. Les leaders de la droite de gouvernement qui peu à peu, insensiblement, par peur de perdre leur électorat, alignaient leur discours et parfois leurs pratiques sur les chefs des groupuscules de la droite la plus extrême.
Il se rappelait les récits de la seconde guerre mondiale qu’il aimait tant lire lorsqu’il était adolescent. Une question le taraudait à cette époque-là, résistant torturé par la Gestapo aurait-il parlé ? Il avait la réponse maintenant. Il n’avait pas parlé, mais à quoi bon ?
Ses bourreaux n’étaient pas engagés comme les nazis dans une guerre qu’ils pouvaient perdre, les renseignements qu’il pouvait donner leur étaient quasiment inutiles. Ils contrôlaient l’armée, la police, en face d’eux le peuple se taisait, faisant semblant de regarder ailleurs. Tous ceux qu’il aurait pu dénoncer étaient soit en prison, il en avait croisé quelques-uns, soit partis à l’étranger. Leur but était de le briser, de lui faire perdre toute dignité, c’est pour cela qu’il s’était arc-bouté sur son silence.
Enfin espérer était peut-être un mot inadéquat en égard aux sentiments que cette vieille fripouille d’Ortega inspirait au commissaire Martinot. Le meurtre n’est jamais une solution et ne vaut pas un bon procès se dit Martinot, le cas Bousquet en était un bon exemple. Quoique, dans le cas qui l’occupait la tenue de ce procès paraissait bien incertaine.