A travers cette cette lecture, je renoue avec les récits du terroir que j'affectionnais particulièrement à une époque. le fait qu'ici l'histoire se situe en plein conflit de la Première Guerre en constitue l'attrait principal qui a dicté mon choix lors de la dernière masse critique. Ce qui se rapporte aux combats, aux conditions de vie des soldats, à l'émancipation forcée des femmes m'a séduite, c'est une période dont les récits me touchent, par contre l'histoire en elle-même m'a moins convaincue. Cependant, pour les amateurs du genre, c'est un bon roman du terroir.
Merci à Babelio et aux éditions de Borée.
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Dans les familles qui avaient quelqu’un au front, on préparait des colis avec des denrées utiles aux jeunes soldats. Aux saucissons et pâtés, on rajoutait des chaussettes, des gants, des écharpes, des tricots que les aïeules confectionnaient auprès de l’âtre. On lisait et relisait les lettres qui arrivaient, on les présentait aux voisins, au curé, à l’instituteur afin de recueillir leur avis, puis on les rangeait précieusement dans des boîtes comme des reliques de haute valeur.
La pleine guerre grondait en répandant ses flots d’horreur et Pauline, qui avait atteint ses dix-huit ans, était devenue une fille haute et superbe comme un épi de blé. Sa longue et sauvage chevelure, qui parfois retenait un brin de paille, jouait en permanence avec le vent. Ses yeux noirs, en amande, frangés de cils bruns, et son sourire communicatif magnifiant ses lèvres ourlées ne laissaient personne indifférent. Sur ses joues, deux petites fossettes se dessinaient, lui donnant un charme fou. Tous ces tristes événements l’avaient mûrie, aguerrie même. Elle s’était affirmée, était devenue plus responsable, toujours affairée à mille besognes. Ses pupilles, d’un noir d’ébène, marquaient son visage d’une volonté réelle. D’ailleurs, dotée d’un tempérament bien trempé – le même que son grand-père Auguste, disait-on –, elle n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds !
Secouée par la mort de son père, de son amie et de nombreux jeunes hommes de son village, Pauline pensa qu’elle ne pouvait rester à attendre la fin du conflit. Son cœur était lourd, son sang bouillonnait, il lui fallait agir ! Elle souhaita ardemment venger son père et donc participer à l’effort de guerre demandé par le gouvernement. Elle apprit qu’à Decazeville6, la ville minière, on embauchait des femmes et des jeunes filles à la fabrication de munitions. Les plus anciens affirmaient que pour la guerre franco-prussienne, en 1870, les usines aveyronnaises de Viviez et de Decazeville s’étaient déjà lancées dans la fabrication d’obus et de canons, et qu’il était indispensable de faire cet effort. La mort dans l’âme, sa mère, Annette, la laissa partir. Toutefois, elle connaissait l’obstination et l’honnêteté de sa fille et lui fit confiance.
– Écris-moi souvent, ma petite, j’aurai besoin de savoir si tout va bien.
– Fais attention à toi ! lui recommanda le grand-père Auguste, les larmes au bord de ses paupières ridées. Dieu te garde, ma Pauline ! Nous penserons à toi.
– Je vous promets de vous écrire ! Ne vous faites pas de soucis inutiles. Et puis moi aussi j’aurai besoin des nouvelles de vous tous… D’ailleurs, j’ai promis d’écrire à Ginette. Elle aussi me répondra. Voyez, je resterai en contact avec le pays !
Un vieux garçon, Urbain, vint faire domestique à la ferme des Beyrac afin de les aider et suppléer le travail de Pauline aux côtés d’Antoine. Il était déjà venu travailler à la ferme comme journalier et connaissait parfaitement ce qu’il avait à faire.
Tous attendaient un secours qu’elles ne pouvaient pas toujours apporter. Un quidam au regard farouche appelait d’une voix pathétique, suppliant un soin ; un autre, couché à même le sol, demandait dans combien de temps surviendrait sa mort. Ailleurs, un tout jeune, qui n’avait peut-être que vingt ans, souhaitait qu’on l’achève d’un coup de fusil… Un autre encore, en meilleur état, réclamait un baiser…
Voyez, les amis, le bonheur est comme ces montagnes sur lesquelles nous sommes ; il faut peiner pour les gravir, mais le soleil les baigne quand la plaine est dans l’ombre ! C’est si beau !
‒ Ma petite Marie, qu'est ce qu'on t'a fait ? Ce n'est pas vrai tu n'es pas morte... tu n'es pas morte !
Ce soir-là, le ciel se vida de toutes les larmes qu'il possédait, comme s'il lui fallait absolument laver le pays de ce crime affreux. Les trombes d'eau qui se déversèrent n'apaisèrent pas pour autant la colère, la douleur et l'incompréhension qui hantaient chaque villageois. Après le pansage dans les étables, chacun rentra chez lui en silence, la mine noire et renfrognée, une boule à la place du cœur. Les femmes fermèrent leurs volets et verrouillèrent leur porte... Le malheur était tombé sur la petite bourgade de Saint-Albrac...
Il est difficile de faire son deuil sans un corps à enterrer, sans une tombe où se recueillir précisément (….)
Rencontre avec Louis Mercadié à l'occasion de la parution de son livre "L''enfant trouvée" (Éditions de Borée, janvier 2018).
Abandonnée sur le parvis d'une église par une nuit glaciale, Noëlle a été recueillie par les soeurs et va grandir à l'orphelinat. Comme tous les enfants sans famille, la petite fille doit participer aux tâches de nettoyage et d'entretien de l'établissement, jusqu'au jour où on estimera qu'elle est en âge de travailler. Exploitée comme tant d'autres dans une filature puis à la mine, l'existence qui l'attend n'a rien de réjouissant. Pourtant, Noëlle ne baisse jamais les bras. Des écuries d'un château aux barricades de la Commune, du froid des nuits sans toit à la chaleur d'un atelier d'artiste, elle est poussée par l'espoir de retrouver un jour celle qui l'a mise au monde.
Fils d'un tonnelier dont il a conservé le savoir-faire, Louis Mercadié est un amoureux du temps passé. Membre de la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron et historien, il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Marie Talabot, une Aveyronnaise dans le tourbillon du XIXe siècle", pour lequel il a reçu deux prix littéraires.
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