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EAN : 9782246006695
318 pages
Grasset (20/09/1978)
2.92/5   12 notes
Résumé :
Quand Jaime Morales débarque à Bruxelles en mai 1977, il n'arrive pas à témoigner de la répression et de la torture qu'il a subies au Chili, après le coup d'État. Rien à déclarer aux camarades : rien de ce qu'on pourrait attendre d'un martyre de la Révolution. Dans cette terre qui lui donne asile, tout lui apparaît comme faussé. Dépossédé de son pays, malade des tortures endurées, Jaime se retrouve seul, dans une Belgique en léthargie où les militants préparent leur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique

"J'ai choisi la Belgique à cause du climat..." est la réplique que le réfugié chilien, Jaime Morales, fournit comme réponse au délégué du Haut Commissariat lors de son interrogatoire, à la question : "Aviez-vous des raisons particulières de choisir la Belgique comme terre d'asile ?"
Une réponse que l'interrogateur de l'Office des Étrangers belge n'a probablement pas entendue souvent dans sa carrière !

Je me félicite du beau cadeau du livre, gracieusement offert par mon amie Cécile - latina sur Babelio - du grand humaniste, Pierre Mertens, avec qui nos chemins se sont un jour croisés lors d'une manifestation d'Amnesty International à Bruxelles, il y a une quinzaine d'années . Je garde, en tout cas, de son puissant exposé un souvenir impérissable.

Pierre Mertens, né à Berchem-Sainte-Agathe (une des 19 communes de Bruxelles) en 1939, a, en effet, beaucoup de mérites comme penseur original, juriste international, sociologue réputé, critique littéraire écouté et auteur fort apprécié. Cet académicien de littérature française de Belgique (depuis 1989), détenteur de nombreux prix, tel le Prix Médicis en 1987 pour son oeuvre "Les éblouissements", a cependant été à rude école. Comme enfant d'un père résistant et d'une mère juive, le petit Pierre a vécu quelques années caché. Ce qui ne l'a nullement empêché d'écrire de modestes pièces de théâtre pour son école... dès ses 11 ans. Son père, un journaliste mélomane, et sa mère, une biologiste et pianiste, lui ont incontestablement laissé de solides atouts.

Prochainement, je compte lire son oeuvre "Les Bons Offices", paru en 1974, et dans laquelle Paul Sanchotte (contraction de Sancho et Quichotte) veut lutter contre les malheurs de son temps : le déracinement des Palestiniens, le génocide biafrais, l'exécution des Rosenberg, la catastrophe minière de Marcinelle, près de Charleroi, en 1956, etc. Son ouvrage "Une paix royale", qui lui a valu l'indignation de la princesse Lilian, l'épouse de Léopold III, et leur fils Alexandre (que j'ai connu comme étudiant à Louvain), j'ai moins apprécié, mais cet avis n'engage que moi.

Quoique ce ne soit sûrement pas le climat qui ait attiré notre Chilien chez nous, je présume que c'est plutôt le hasard et peut-être même la réputation de terre d'accueil de notre royaume, qui font que ce 11 mai 1977 c'est à Bruxelles que Jaime Morales débarque muni de faux papiers au nom de Serge Horowitz, fabriqués à l'initiative du mouvement belge "Liberté - Action" dont le président souhaite la bienvenue à notre ingénieur latino-américain.

Il faut se rappeler que c'est la période de la dictature du général Augusto Pinochet (1915-2006), qui a pris les rênes du pouvoir après l'assassinat brutal de Salvador Allende, le 11 septembre 1973, socialiste et médecin élu lui démocratiquement 3 ans avant. Un coup d'État qui a bénéficié de l'appui yankee, n'est-ce pas Mister Kissinger ?

Toujours est-il que cette période a été caractérisée par de dramatiques opérations, comme Condor et Colombo, de détournements de fonds publics (entre autres des lingots d'or pour une valeur de 100 millions de dollars au nom du "presidente"), de tortures des opposants au régime et des hommes et femmes "qui disparaissaient chaque jour à Santiago, à Antofagasta, à Linares, à Arica".
Orfilia Morales, son épouse bien-aimée, "n'avait même pas attendu pour le quitter qu'Allende fût tombé."

Une journaliste essaie de lui faire raconter les sévices qu'on lui a infligés. L'apposition des électrodes sur les parties sensibles du corps, les privations de sommeil et de nourriture, le garrotage du corps nu à un sommier de fer et la tête recouverte d'une cagoule de cuir. Morales préfère se taire. Comme le remarque Pierre Mertens avec grande lucidité : "sur la pire des abominations, peut-on dire autre chose que de très terrifiantes banalités ?" (page 67). "La torture me fatigue..." a-t-il seulement proféré dans un souffle. le docteur Devos, chez qui Morales doit se présenter, estime que les migraines, les nausées, les insomnies, les sudations nocturnes ne sont ...."rien de plus normal".

De retour à la cité universitaire où il a une chambre, Jaime est confronté aux messages sloganesques qui couvrent les murs du hall d'entrée : "Indépendance pour l'Érythrée, Justice pour les Basques, le Shah assassin" à côté "d'Israël vivra" et "Geneviève, je t'aime !" Assis sur un banc au bois de la Cambre, notre héros retrouve péniblement et lentement une certaine paix de l'âme.

Jaime Morales suit gentiment des cours audiovisuels de Français et rencontre des Latinos qui se sont exilés comme lui, tels Rubén, qui est concierge de nuit dans un hôtel du centre-ville, Carmen, qui est cuisinière dans un hospice, Ernesto qui gagne sa vie comme laveur de vitres et Hugo Lazo Villegas qui a trouvé un boulot à Westende, à la Mer du Nord.

Puis il y a sa rencontre avec la belle Colombienne, Paulina Valenzuela, originaire de Bogotá, qui lui raconte ses misères. Remplacera Paulina l'infidèle Orfilia dans le coeur de notre héros ? À vous de le découvrir mes ami-e-s.

L'ouvrage date de 1978, mais est, grâce à la riche personnalité de son auteur et la triste situation dans le monde, très actuel. Il suffirait presque de remplacer Chiliens par Syriens. Pierre Mertens a du, comme grand humaniste, s'énerver copieusement de l'attitude du dernier gouvernement belge, surtout par la Nouvelle Alliance Flamande de Bart de Wever, qui a rejeté l'accord de l'ONU sur la migration (le Pacte de Marrakech du 18 décembre 2018) et la magouille financière par son lamentable (secrétaire d'État à l'Asile et aux Migrations, Theo Francken, dans l'affaire scandaleuse des visas humanitaires "vendus" pour beaucoup de sous sous la table à des réfugiés syriens !
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Je suis issu, comme Pierre Mertens d'un drôle de pays schizophrène (dont une des quatre parties développe depuis des années une paranoïa grandissante, mais chuuut ;)). Au fil du temps, le surréalisme et la déconstruction de la réalité y ont trouvé un terreau fertile. C'est à la rencontre de ce petit pays et de ses habitants que Pierre Mertens invite les lecteurs de Terre d'Asile à travers l'histoire et la voix de Jaime Morales qui a fuit la torture et le régime de Pinochet en 1977.


Les états d'âmes du narrateur sont particulièrement bien décrits ainsi que leur évolution au cours de ce récit linéaire, simple dans sa construction ; mais tellement fin dans l'analyse psychologique et sociologique du microcosme élitiste qui l'accueille et dont Morales est par ailleurs issu, même s'il est né au Chili, soit quasi aux antipodes géographiques. le fait d'avoir vécu une expatriation m'a bien sûr permis de ressentir plus facilement une certaine empathie pour l'anti-héro de cette histoire. Mais le pathos ou la recherche de l'émotion ne sont pas le centre de ce roman qui porte plutôt un regard distancié, ethnographique et corrosif sur une situation spécifique et à la fois universelle et intemporelle. Aussi les thèmes abordés sont-ils encore d'une brulante actualité.


Au-delà du cas particulier et de la riche peinture sociale d'une époque, je ne peux m'empêcher de penser que Pierre Mertens, considéré par beaucoup comme étant aussi philosophe, et surtout parce qu'il est issu d'un pays de cocagne mais artificiel au point d'en être écartelé, pose une question plus profonde et existentielle : au fond qu'est-ce qu'un pays ? Ne sommes-nous pas tous des exilés en devenir ? Ne somme nous pas inexorablement des exilés de nous-mêmes ?


On prétend que les livres qui traversent l'histoire, pour devenir ce que l'on nommera des classiques, sont justement à la fois de leur temps et de toutes les époques. Terre d'Asile pourrait bien être de cette trempe. Mais né d'un si petit pays l'accueillerez-vous, irez-vous à sa rencontre ?
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C'est dans une magnifique boîte à livres située à Chisey sur Loue que je fais la connaissance de mon compatriote Pierre Mertens.

Terre d'asile a été publié en 1978, il relate l'exil de Jaime Morales qui fuit le Chili de Pinochet pour arriver un peu par hasard en Belgique, un pays aussi petit que le sien.
Le livre commence de la sorte :
- Pourriez-vous préciser tant soit peu la nature des menaces qui pesaient sur vous ? Comprenez que nous ne pouvons nous satisfaire de simples allégations. Il vous sera sans doute aisé de combler les quelques lacunes que comporte encore votre dossier. Mais vous admettrez qu'il ne s'agisse pas là seulement d'une formalité…

Et ces premières phrases écrites en 1978 me replongent immédiatement dans une pièce de théâtre vue en 2019 : « ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu ».

Et je me dis que 40 ans plus tard, d'autres migrants, d'autres drames, d'autres morts mais toujours la même façon d'accueillir le réfugié en Belgique. Accueil certes mais soupçons. Son voyage était-il bien nécessaire ? Était-il vraiment en danger là d'où il vient ?

Plus que l'histoire relatée dans le livre, plus que l'indéniable qualité d'écriture de l'auteur, c'est cette impression de contemporanéité qui m'a vraiment interpellée. J'ai relu des livres de Cesbron, de Troyat, j'aime toujours autant leur plume mais le livre est daté. Alors qu'ici, le sujet est cruellement d'actualité.

Alors que Morales vient d'arriver à Bruxelles, il se rend compte, que ce soit en rencontrant des militants, des journalistes, un médecin qu'il consulte, que ce qui l'anime lui ne fait plus partie que du fait divers pour les autres.

Ici, en Belgique, c'est l'été, il fait chaud, les gens sont en vacances, les étudiants préparent leur deuxième session. L'image que l'auteur donne de la Belgique est celle d'un pays alangui, en vacances, désintéressé.

Il y a cette rencontre avec le médecin belge qui prend ses clichés réalisés au Chili et que les lui rend en lui disant qu'il faudra qu'il en refasse d'autres parce qu'ils ne valent plus rien. Morales est choqué car ces radios ont été faites avec attention par un médecin au Chili. En les déconsidérant de la sorte c'est toute sa vie là-bas, sa souffrance, les tortures subies, toute son être qui est nié, bafoué.

Terre d'asile peut faire penser à terre d'accueil, mais ce n'est pas un pays où l'on accueille chaleureusement les migrants. Les gens paraissent ne pas aimer leur pays alors que lui a été obligé de fuir un pays qu'il aime.

J'ai vraiment apprécié cette lecture qui pourrait donner à penser qu'il s'agit d'un texte simple, mais qui est tellement profond et qui comporte plusieurs grilles de lecture.

J'y ai vu une belle analyse critique des mouvements militants et des membres qui les composent, de leur enthousiasme et de leurs limites. Les questions posées par l'auteur concernant tant l'aspect personnel et la psychologie de celui qui arrive que de ceux qui l'accueillent sont intéressantes, fouillées, pertinentes.

Je l'ai lu lentement, en le relisant parfois, j'ai pris beaucoup de temps pour réfléchir à comment rédiger cette chronique pour essayer de faire passer mon plaisir de lecture d'un beau texte bien écrit, mon intérêt pour le sujet …
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J'ai l'impression que depuis que je suis sortie de mon master de Lettres je deviens profondément stupide et n'arrive plus à lire de classiques... J'ai eu un mal de chien à finir ce livre-là: je ne comprenais rien au bout de dix lignes, il me fallait revenir sans cesse quelques phrases plus tôt pour pouvoir reprendre le fil de ma lecture. Est-ce que mon cerveau s'embourbe ou bien le style est vraiment trop pointu pour moi? Comme il n'y a pas d'autres critiques je ne saurais jamais répondre à cette question^^ Les seuls passages où j'ai réussi à raccrocher les wagons sont ceux qui se passent dans le quartier du cimetière d'Ixelles, parce que c'est là que j'habite, et que c'était à la fois étrange, familier et marrant! Surtout de voir que rien n'a vraiment changé depuis 1977... le bon comme le mauvais d'ailleurs.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
l'indifférence des gens, c'est comme une grippe qu'ils auraient contractée une fois pour toutes dans un courant d'air de l'Histoire et contre lequel il n'y aurait pas de remède connu.
- Précisément, ajouta-t-il aimablement, nous nous disions qu'avec votre arrivée cela changerait... Mais considérez donc ce qu'il en est de l'Argentine : n'est-ce pas bien pire encore ?
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Il se demanda ce qu'il avait retenu de la Belgique depuis son arrivée. Il se dit que dans les rues et les squares, on rencontrait moins de jeunes que de vieux, et beaucoup de chiens, de chiens biens nourris. Dans les ascenseurs, les gens ne se parlaient pas et prenaient un air grave. [...]
Il se demanda si les Belges aimaient la Belgique.
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Merde, pense Jaime, ce môme est déjà plus ici chez soi que je ne pourrai jamais le devenir.
-De quel Vietnam vient-il donc ? demande un étudiant derrière lui, comme si l'octroi de sa sympathie allait dépendre de la réponse.
Le con.
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