L'incipit « Je suis né laid » est une lézarde sur le mur de l'adversité. Une fausse note qui attise le rejet. Un cri dans le sombre d'une malchance. Et pourtant ! Isabelle Minière délivre une histoire sans pathos, lumineuse. L'écriture est intuitive, aérienne, sensible. L'auteure par une conjugaison de renom parvient à mettre sur le piédestal ce que le manichéen a de force et de vigueur. Subtilement par un jeu de miroir inversé, dans un face à face qui résiste, oppose l'épreuve et l'endurance, les faits et les espoirs, le noir et le blanc, la laideur et la beauté, la frayeur et la sérénité. La posture de la trame est une vertu théologale. Deviner au travers, la symbiose d'un regard, celui de la normalité, celui de l'atypie. Ecarter subrepticement dans une histoire l'apparence et laisser naître ce que le clair-obscur pressent. le symbole ici, est la résistance, le lâcher-prise des aprioris. La place est nette, les mots de l'auteure sont d'une double lecture allouée. Lire, « Je suis né laid » c'est non pas acter pour la compassion et l'émotion, c'est apprendre les nouvelles gammes d'une musique qui maquille la laideur en notes transcendantes. Ici, nous sommes dans une autre dimension. Déjouer les diktats de la beauté et comprendre les signes d'un regard où le langagier est essentiel à toutes survies. On s'attache à ce petit trésor né laid. A ce « Tutur » qui aura tout l'amour de ses parents et de certains, cercle régénérant et magnétique. Sans aucune arrière-pensée de pitié néfaste. Encore une réussite pour Isabelle Minière qui connaît par coeur le pictural de la vérité. le père est un héros. Un homme avec lequel on fusionne d'emblée. Cheminant avec son fils dans cette allée où l'art va faire un beau pied de nez au conventionnel. Ses mains vont modeler la glaise d'une répulsion en aura subliminale. Ici, respire un symbole fort. Un combat pacifique, une preuve d'amour infinie, pour Arthur. On pleure, il y a trop de noblesse dans cette relation filiale. On aime la mère, couvrant cet enfant d'une burka emblématique. Stigmatisant sa propre honte, s'auto-mutilant, mère battante au destin meurtri. Arthur s'éveille dans l'intelligence des coeurs. Dans ce brillant scolaire qui polie sa pierre. Malgré les coups, les lances reçues, batailles rangées contre son apparence, il deviendra son propre maître. Cette histoire est le souffle de la vie. La beauté est souveraine. « Je suis né laid » est un grand livre généreux. Un plaidoyer de saveurs sociologiques psychologiques, humanistes. Il est valeureux et son pouvoir de transmission est immense. On rêve de voir Arthur en authenticité, dans un grand film un jour futur. Ne jamais le quitter des yeux et se dire que la laideur est à l'instar de la raison. Il faut chercher les signes qui élèvent. Publié par Les Editions Serge Safran « Je suis né laid » se trouve dans les cinq finalistes pour le Prix Hors Concours Gaëlle Bohé, c'est une grande chance !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!.
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Le titre a tout de suite attiré mon attention. Quelqu'un affirme sa laideur et la raconte… Sujet banal mais peu traité dans la littérature.
La photo de couverture accentue l'impression : un portrait disgracieux, voire répulsif.
Embarquement immédiat !
C'est Arthur, enfant et même bébé, qui est le narrateur.
Une naissance est toujours source de joie, de fierté. Pas dans notre histoire. Les parents cachent au mieux la laideur de leur bébé.
La chirurgie esthétique étant impossible avant l'âge adulte, ils acceptent et aiment cet enfant aussi fort qu'ils le peuvent.
Le père choisit alors d'arrêter un métier peu intéressant pour s'occuper d'Arthur. Il entreprend une formation de sculpture qui va changer sa vie et son regard sur l'enfant. Car il dessine, représente son fils et transcende cette laideur dans ses créations, qui très vite, se vendent de mieux en mieux. Un symbole fort, où la disgrâce fait un pied de nez à la beauté.
Arthur nous raconte ses blessures, son cheminement dans la vie avec beaucoup de réalisme et d'humour : « Quand on a une gueule comme la mienne, on ne se pavane pas. On espère que les apparences sont trompeuses, et que sous l'emballage effrayant, se cache quelqu'un de bien, quelqu'un qui vaut la peine ; il me venait parfois, pour me réconforter, l'image d'un bijou enveloppé dans du papier toilette. »
Une auto dérision qui rend ce personnage repoussant particulièrement attachant. Un paradoxe parfaitement maîtrisé par l'auteure, dont on perçoit bien l'expérience en tant que psy.
Arthur se construit, accepte sa disgrâce, sans jamais l'oublier. Etudiant, Il va même s'engager dans une étude sur l'importance de l'apparence physique : « l'influence de la laideur sur le comportement des gens. »
Pourquoi, j'ai adoré ce roman ?
Le récit simple et juste du parcours d'Arthur, depuis sa plus tendre enfance, où il découvre très vite sa laideur, et la répulsion qu'elle provoque chez autrui.
Positiver, c'est ce que fait Arthur : transformer l'handicap en avantage. Arthur est différent, le sait, et les coups reçus lui permettent de se renforcer, de s'assumer, de bâtir sa personnalité.
Ses émotions, sa souffrance, ses difficultés pour vivre comme « tout le monde » ne sont pas éludées. Elles sont évoquées sans pathos, ni pitié. le lecteur comprend rapidement que son humour, le recul qu'il a par rapport à lui-même, le protègent et l'enrichissent.
C'est surtout une histoire lumineuse où la « mocheté » est traitée avec beaucoup de finesse, d'humour et de bienveillance. Carton plein pour ce livre à qui j'accorde un 5 / 5, tant pour l'histoire, que l'écriture.
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Isabelle Minière a un vrai talent pour parler des êtres en marge, inadaptés à la société [...] C’est qu’Isabelle Minière est psy, elle en a vu défiler des déprimés, des laids, des invisibles sur son divan. Une matière brute qu’elle sait rendre universelle et lumineuse.
Lire la critique sur le site : Liberation
INCIPIT
Naître ou ne pas naître?
Je suis né laid. Ça n’est pas venu au fil du temps, en grandissant; c’était là au départ. Non, je n’étais pas un nouveau-né moche, comme ça arrive souvent, un peu rouge, un peu gonflé, fatigué par le voyage. Non, même pour les plus indulgents, c’était flagrant. Laid. Laid de naissance. Ça ne s’est pas arrangé.
Si j’avais vu ma gueule avant de naître, si j’avais su ce qui m'attendait et si on m’avait demandé mon avis, j’aurais sans doute coché la case «Ne pas naître».
J’étais un enfant désiré, du moins jusqu’à ma naissance. Mes parents avaient voulu un enfant, ils en avaient rêvé, ils l’avaient fait. Ils m’imaginaient déjà: beau, charmant, gentil. Un ange. Neuf mois de bonheur, je leur aurai au moins donné ça. Ils ont préparé ma venue dans une espèce d’euphorie, la layette, le berceau, le prénom… Ange si c’était un garçon, Angeline si c’était une fille. Ils avaient refusé de connaître le sexe de l’enfant, ils préféraient avoir la surprise. La surprise, ils l’ont eue.
Je suis né; fin du rêve.
L’accouchement s’est très bien passé, par une belle matinée d’été. Mon père était là, il a accompagné ma mère tout au long, lui tenant la main. respirant avec elle, lui chuchotant des mots doux à l'oreille, caressant son visage, tous deux transportés dans une extase, un émerveillement: leur bébé tant désiré serait là bientôt! Leurs derniers moments de bonheur.
Ma mère n’a pas souffert; pour un peu j’en serais fier. Je n’ai pas hésité à sortir, je n’ai pas traîné en route, comme si j’avais hâte. Si j’avais su… À refaire, si ce choix impossible était possible, je choisirais de mourir dans le ventre de ma mère, au chaud, aimé, choyé. cajolé.
Bref, je suis né vite, en douceur. Tout commençait bien.
J’ai crié tout de suite. Ma première respiration les a réjouis, pleurs de joie tandis que mon père coupait le cordon. Ils ne m’avaient pas encore vu. Je n’étais alors qu’un petit paquet sanguinolent, sans forme bien précise. Ils savaient seulement que j’étais un garçon… donc leur petit Ange. Pas pour longtemps.
La sage-femme s’est emparée de moi pour les premiers soins. Elle a vite froncé les sourcils devant ma tronche. Pourtant elle en avait vu, des nouveau-nés. Était-ce une sorte de malformation ou une physionomie particulière? Dans le doute, elle a fait appeler l’obstétricien, tandis que mes parents étaient encore sur leur nuage, impatients de me voir, de me toucher, dc m’embrasser.
J’ai été lavé, mesuré, testé… Tout allait bien. Sauf ma gueule. Le médecin m’a examiné. J’étais en bonne santé, rien à dire de ce côté-là. Pour le reste il fut sans doute très embarrassé au moment de me déposer, propre et hideux sur le ventre de ma mère. Elle m’a d’abord touché, caressé, les larmes aux yeux.
Puis elle m’a regardé.
Et poussé un cri.
Mon père a eu un haut-le-cœur, la nausée.
– Vous avez mal? a demandé la sage-femme a la jeune maman.
– Non, oui… Non. Je ne sais pas…
– Vous savez le visage des nouveau-nés est souvent déformé… Ça va… ça va s’arranger…
Mes parents se sont regardés, désemparés. Leur bébé était affreux.
– Vous avez déjà décidé du prénom? a demandé la sage-femme.
Ils ont secoué la tête tous les deux en même temps. Ange… ce n’était plus possible.
Ma mère fut très vite installée dans une chambre individuelle (elle n’en avait pas fait la demande), on m’a couché dans un berceau, à côté de son lit, je m’étais endormi.
Mes premières heures furent baignées de pleurs. C’était les parents qui pleuraient, moi je dormais. Ils me jetaient un regard de temps en temps et détournaient aussitôt les yeux. Puis ils ont essayé de se consoler, se sont raccrochés aux paroles de la sage-femme.
– Ça va s’arranger… disait mon père. C’est sans doute le traumatisme de la naissance…
– Oui, disait-elle, pour s’en persuader, c’est passager, il va… il va cicatriser, son visage va se détendre, s’affiner, se… s’améliorer…
Ils espéraient de toute leur force, démunis devant cette chose effarante: leur bébé allait bien mais il était d’une rare laideur.
Belle à l'intérieur, ça veut dire quoi ? Si vous êtes beau à l'intérieur mais moche à l'extérieur, les gens retiendront surtout la mocheté, tout en vous accordant, peut-être, des qualités morales. C'est parce qu'elle était gracieuse, extérieurement, donc de façon totalement arbitraire, injuste, que mes parents avaient reconnu sa "beauté intérieure" ; la même personne version moche, ne les aurait pas tant touchée.
J'ai souvent eu la sensation que l'enjeu principal de ma vie était de "tenir". Tenir contre la laideur, tenir contre l'isolement, tenir contre l'exclusion, ce n'était pas très excitant comme projet, mais ça me faisait...tenir.
Ce livre est bien raconté l'histoire est bien mais je trouve que c'est pas un très bon exemple pour des jeunes parce qu'une personne laide ne serait pas comme toute les autres, même si c'est raconté avec de l'autodérision.
Isabelle Minière - Au pied de la lettre