Bonne nouvelle pour les amateurs ( dont je fais partie ) du Musso de la première heure.
Fini les courses poursuites, les intrigues policières totalement tirées par les cheveux,
Guillaume Musso renoue avec son public dans un roman facile d'accès mais présentant différents degrés de lecture, un cru 2020 qu'on pourrait rapprocher de
la fille de papier pour son ambiance confinant parfois au surnaturel, et à
La vie secrète des écrivains pour toutes les réflexions autour du métier d'auteur, parfois perdu entre son propre imaginaire et les personnages auxquels il tente de donner vie, et les contraintes matérielles.
La majeure partie de
la vie est un roman se déroule en 2010.
Elle présente deux écrivains, l'américaine Flora Conway et le français Romain Ozorski, qui sont comme les deux faces d'une même pièce.
Ils ne se sont jamais vus, ils se se sont jamais parlé, absolument rien ne semble les relier de prime abord et pourtant si on compare leurs vies respectives elles semblent se refléter dans un miroir.
Flora Conway est une auteure particulièrement discrète qui vit à Brooklyn, au sixième étage d'un immeuble, dans un luxueux appartement de 200 m2 aux parois de verre. Elle n'a écrit que trois romans qui l'ont hissé au sommet puisqu'en effet elle sera la lauréate en 2009 du prix
Franz Kafka pour l'ensemble de sa bibliographie.
( le prix Kafka existe par ailleurs bel et bien et a été attribué à des auteurs prestigieux tels que
Margaret Atwood,
Philip Roth ou encore
Haruki Murakami. Musso a en revanche pour l'occasion pris quelques libertés avec la réalité puisqu'en 2009 c'est l'Autrichien
Peter Handke, également prix Nobel de littérature en 2019, qui en a été lauréat. )
Mère célibataire, elle se consacre désormais entièrement à sa fille de trois ans, la petite Carrie. Fillette qui disparaîtra littéralement comme évaporée lors d'une partie de cache-cache au sein de l'appartement.
Véritable énigme digne des plus grands mystères de chambres closes signées
Gaston Leroux ou
John Dickson Carr.
La police démantèlera l'appartement sans le moindre résultat, et Flora deviendra à ses dépens la principale suspecte de cette disparition.
Pendant des mois, faute de ne pas savoir ce qu'il a pu advenir, elle sombrera dans le désespoir, l'alcool et les médicaments.
"Tout plutôt que cette attente dépourvue d'espoir. Tout plutôt que ce néant."
Un thème commun au magnifique Sans Elle d'
Amélie Antoine, livre dans lequel la petite Jessica disparaît disparaît dans une fête foraine sans que jamais sa famille ne sache ce qui s'est passé, si leur fille est encore en vie, et qui tentera de survivre tant bien que mal dans un monde désormais difforme et dénué de sens.
Romain Ozorski vit quant à lui à Paris, et c'est l'un des auteurs français les plus populaires. Dix-neuf romans publiés, il est en cours de rédaction du vingtième qui devrait s'intituler "La troisième face du miroir". Mais il est trop préoccupé pour en venir à bout. Son ex-femme, Almine ( que vous allez adorer détester ! ), l'a manipulé pour obtenir la garde exclusive de leur fils Théo. Et l'écrivain est dévasté à l'idée qu'ils partent vivre tous les deux aux USA, le privant à jamais de son enfant.
Lui aussi est malade, victime notamment de violentes migraines.
"Mon système immunitaire était devenu une passoire. Grippe, sinusite, laryngite, gastro : rien ne m'avait été épargné."
Mais le reflet des deux écrivains va bien au-delà de la perte d'un enfant, de la fin de leur carrière d'auteur ou de leurs problèmes de santé. Il y a un aspect presque ludique pour le lecteur de trouver les parallèles, les similitudes entre les deux principaux personnages. Almine était danseuse tout comme Roméo, le père de Carrie, est danseur coryphée à l'opéra de Paris. Leurs économies et droits d'auteur ont fait l'objet d'une acquisition immobilière. Leurs éditeurs respectifs offrent de somptueux stylos. Et ces mêmes éditeurs font pression sur leurs poulains pour avoir leur nouveau manuscrit. Les encourageant de la plus ignoble et égoïste façon à mettre à contribution leur souffrance pour rédiger un nouveau chef d'oeuvre.
"Un jour peut-être, tu te diras même que la disparition de Carrie était une chance."
Qu'est-il arrivé à Carrie ?
Qu'est-ce qui relie Flora Conway à Romain Ozorski ?
Une chose est sûre, à plus d'une reprise La vie est roman prendra une direction tout à fait inattendue.
* * *
Guillaume Musso s'amuse comme jamais avec son lecteur.
Alors oui, bien sûr, les détracteurs trouveront toujours à redire sur des tournures de phrases malheureuses et autres défauts que je leur laisse le plaisir de rédiger.
Pour ma part l'auteur m'avait déçu voire agacé avec des thrillers guère convaincants comme
La fille de Brooklyn ou Sept ans après.
J'avais commencé à me réconcilier avec lui l'année dernière avec
La vie secrète des écrivains.
Et cette année j'ai vraiment retrouvé l'auteur que j'appréciais par le passé.
Je dirais d'ailleurs que c'est un roman qui s'adresse aux fans de la première heure, parce que Musso joue avec ses propres codes. Je parle notamment des éléments fantastiques qui parfois trouvaient finalement une explication rationnelle ou encore des drames et des intrigues sentimentales.
A plusieurs reprises j'ai eu l'impression d'avoir affaire à une resucée d'un écrivain éprouvant une certaine difficulté à se renouveler.
Mais ça c'est juste pour mieux piéger le lecteur.
Et je suis tombé les deux pieds dedans.
En outre, les clins d'oeil aux personnages de ses anciens romans ( Nathan Fawles, auteur du livre Loreleï ou encore Sean Lorenz, peintre d'une toile effrayante sont des noms qui devraient rappeler quelque chose à certains d'entre vous ) sont toujours plaisants.
Mais au-delà de l'histoire plaisante et surprenante, il y a un second degré de lecture concernant le rôle et le métier de l'écrivain.
Cette réflexion très intéressante avait déjà été amorcée dans
La vie secrète des écrivains, et Musso l'approfondit encore ici.
A trop grand renfort de citations ( elles sont choisies avec beaucoup de soin mais quarante en moins de trois cent pages ça alourdit quand même quelque peu le roman. Mais c'est un défaut inhérent à l'auteur qui restera incorrigible à ce sujet. ), Musso clame son admiration pour les plus grands écrivains, ainsi que pour le plus populaire
Stephen King qui n'a jamais été autant à l'honneur que dans ce livre qui fourmille de clins d'oeil.
"Vous n'avez pas repéré un fan complétement taré comme dans cette histoire, là, Misery ?"
"Machinalement je scrute les noms sur les couvertures des bouquins :
Stephen King,
John Grisham,
J.K. Rowling..."
Ajoutez le prénom de la petite Carrie, repensez à
La part des ténèbres, lisez la citation sur l'effet d'exutoire que confère l'écriture, saupoudrez le tout d'un peu de miel et vous pourrez voir en ce roman tout particulièrement un hommage light au maître américain, qui lui aussi a énormément réfléchi à son métier dans l'ensemble de son oeuvre.
Par l'intermédiaire du personnage de Romain Ozorski et d'un jeu de mise en abyme, Musso explique qu'il n'y a pas de mode d'emploi pour écrire un roman, même pour un auteur qui publie annuellement. Il insiste beaucoup sur le monde de l'écrivain, partagé entre son imaginaire, ses personnages qui prennent une identité propre, et le monde réél ; les problèmes familiaux, les pressions éditoriales, les médias.
"Ce sont les livres qui décident que tu les écris, pas l'inverse."
Et il évoque à plusieurs reprises en quoi consiste le métier ou le rôle de l'écrivain.
"Car, fondamentalement, c'était ça écrire : défier l'ordonnancement du monde. Conjurer par l'écriture ses imperfections et son absurdité.
Défier Dieu."
Et tout comme il s'interroge sur son métier, il se demande qui sont les lecteurs d'aujourd'hui.
Peut-être une façon pour lui de se demander pourquoi ses romans ont un succès aussi retentissant alors qu'ils sont si vivement critiqués parfois.
"Un roman réussi, c'est d'abord un roman qui rend heureux celui qui le lit" est peut-être un début d'explication.
"Parce que les lecteurs lisent le livre qu'ils veulent lire, pas celui que vous avez écrit" en est une autre, même s'il faut avouer que le nom Musso fait vendre, ses bons comme ses moins bons livres. Mais ça c'est aux lecteurs d'en décider, pas à ceux qui entament un livre juste pour le plaisir de le dénigrer.
Et il y en a ...
Et tant que j'en suis moi-même aux citations, j'adore celle-ci, signée
Romain Puértolas : "Dans la littérature, moins on y comprend quelque chose et plus ça plaît aux intellectuels."
Je suis abonné sur les réseaux sociaux de quelques auteurs que j'adore, j'aime aller à leur rencontre lors des salons pour partager mes impressions sur leur dernier roman, j'aime aussi être informé de leurs futures parutions. Mais quand je reçois une alerte facebook parce qu'un écrivain partage avec ses abonnés la photo d'un coucher de soleil ou d'un paysage de Dordogne ... Je m'en tamponne un peu le coquillard.
"Il y a de moins en moins de vrais lecteurs. Les gens ne s'intéressent plus à l'oeuvre mais à l'artiste. A sa vie, à sa gueule, à son passé, à ses coucheries, aux conneries qu'il poste sur les réseaux. Tout plutôt que la lecture."
Et si j'apprécie d'un certain côté ce resserrement entre l'auteur et le lecteur, j'apprécie tout autant le mystère qui règne autour d'
Elena Ferrante ou, dans un autre registre, d'Anonyme ( auteur du Livre sans nom ) ... même si malgré leur volonté de n'être qu'un nom peu important par rappport à l'oeuvre elle-même, certains s'intéressent justement davantage à résoudre le mystère en jouant au détective plutôt que respecter le souhait des auteurs concernés.
On ressent du dégoût d'ailleurs de la part de Musso pour les paparazzi et autres journalistes avides de scoops.
Et je peux le comprendre.
"Le bon sens et la raison avaient déserté le monde."
La vie est un roman.
C'est on ne peut plus vrai aujourd'hui puisqu'il n'y a que dans Pandemia de
Franck Thilliez ou quelques récits d'anticipation que nous aurions imaginé vivre dans un monde d'abord confinés à domicile, puis libres de sortir avec un masque. Qui l'aurait imaginé il y a quelques mois à part un écrivain ?
Et qui aurait pensé l'homme assez stupide en temps de pandémie pour, à la première occasion, venir s'entasser les uns sur les autres sur les plages et dans les piscines ? Au risque de contaminer leurs proches d'un virus potentiellement mortel ?
En tout cas, intellectuel ou pas, j'ai trouvé ce roman de Musso particulièrement réussi. Il n'évite pas quelques petits écueils mais je vais surtout retenir de ce livre qu'il était plaisant, surprenant, amusant, dramatique, émouvant, et surtout qu'il m'a fait passer un très bon moment.
Et n'en déplaise à certains, Musso dispose d'une réelle érudition littéraire et d'un vrai recul sur son métier, et j'ai d'autant plus apprécié de pouvoir passer ce moment virtuel en sa compagnie.