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sur 414 notes
Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant aux éditions Héloïse d'Ormesson
1- « Mais aujourd'hui c'est aujourd'hui
Je sens que mon commencement est proche
pareil aux blés de juin. »
Robert Desnos, né en 1900, a vécu dans le quartier populaire des halles, y gravitent des artisans, des commerçants, une faune de nuit qui éveille l'enfant puis l'adolescent, à la diversité des hommes.
Son père le voyait bien épouser une carrière commerciale, auquel le fils opposa un non catégorique car il voulait être poète. A l'école il s'est beaucoup ennuyé, sa vie devait être différente.
«  Tu t'entends bien avec ton père ? interroge Alejo
 Ça a été compliqué, longtemps…, sourit Robert. Quelle colère il a piquée quand je lui ai annoncé que je m'arrêtais au certificat d'études ! Je voulais être poète, je n'en démordais pas. Il m'a jeté : C'est tout ce que tu as trouvé ? Dans ce cas tu te débrouilleras tout seul ! C'était un marché rude, mais honnête. »
Son intérêt pour l'autre, se voit immédiatement dans ce roman, d'une part lorsqu'il ramène de son voyage à Cuba, Alejo Carpentier tout juste sorti des geôles cubaines pour raison politique. Puis August, l'enfant noir venu de Louisiane, qui a maille à partir avec un chef de gare. Et aussi Antonin Artaud, dont il aime « la hauteur dégingandée, ce visage de dieu grec où brûlent des yeux de prophète libertaire. Il devine que son charisme découle d'un déchirement de l'être ; ce point d'insoutenable sur lequel il se tient, bravant la terreur qu'il lui inspire. » Robert Desnos fait partie de ceux qui ont aidé Antonin Artaud à se mettre au vert à Rodez, il ne l'a jamais laissé tomber.
S'il appartient au groupe des Surréalistes, il s'en distingue pour ces raisons, qui font que les idées ne vaudront jamais plus que l'humain.
Gaëlle Nohant dans cette première partie montre bien en quoi Robert Desnos, ne pouvait adhérer à l'autoritarisme de la figure de proue du surréalisme, André Breton, qui n'admettait pas que l'on n'exécute pas sa devise : « La révélation du sens de sa propre vie ne s'obtient pas au prix du travail. [...] Rien ne sert d'être vivant, s'il faut qu'on travaille. »
L'auteur a l'art indéniable de peindre les petites gens comme les figures artistiques.
Pour ses amours Robert Desnos se partage entre Yvonne George « Oh si, j'ai souvent couché avec elle. En rêve… Au point que j'ai souhaité ne plus m'éveiller. » et Youki Foujita « Je suis allée si loin dans l'amour que j'ai pensé ne jamais en revenir. J'ai affronté ses grimaces. Aujourd'hui j'en connais aussi le sourire. Je ne vais pas m'en plaindre ni m'en excuser. »
Une première partie foisonnante de personnages hauts en couleur, entre amitiés, amours, liberté, alcools et drogues, chacun trace son sillon en navigant du premier Manifeste qui définissait le Surréalisme comme « un groupe de rêveurs lucides » jusqu'au naufrage de la purge instaurait dans le second manifeste, le tout sur fond de musique de Jazz.
2- « Et voici, Père Hugo, ton nom sur les murailles !
Tu peux te retourner au fond du Panthéon
Pour savoir qui a fait cela. Qui l'a fait ? On !
On c'est Hitler, on c'est Goebbels… C'est la racaille, »
La deuxième partie amorce la rupture venue des USA, la crise du jeudi noir qui va s'attaquait à l'automne 1930 à toutes les couches de la société. L'iceberg en est la multiplication des soupes populaires. Pour notre poète c'est courir après le moindre boulot : « même s'il est robuste, combien de temps pourra-t-il tenir cette vie dure, privée du confort le plus élémentaire, avec pour seuls luxes la musique qu'il écoute des nuits entières et ses longues promenades dans Paris qui ne fait pas la fière… »
Lorsque le travail se retrouve (une superproduction radiophonique de Fantômas) il s'associe naturellement avec Kurt Weil, juif sympathisant communiste, musicien dont les nazis viennent de brûler les oeuvres et qui ne peut plus rentrer en Allemagne. Il retrouve son ami Antonin Artaud à qui il demande de prêter sa voix et son rire démoniaque à ce « Génie du crime ».
Plus encore, à cette période, Robert Desnos est un homme en action, sa devise : « Ne plus être soi, être chacun ».
A la radio, il se lance le défi de « cultiver l'auditeur en l'amusant » et cela quotidiennement. En ces temps troublés, il ressent au plus profond de son être, la voix de la révolte et de la fraternité.
Ses amis sont emprisonnés, s'exilent, ou se suicident. L'horreur est omniprésente.
La conscience toujours en éveille, avec ses amis de la première heure, Alejo Carpentier, Prévert, Jeanson il fait de nouvelles rencontres, Jean-Louis Barrault, Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca. Nous sommes en 1936, en Espagne, il mesure le silence des tragédies muettes. de retour en France, le Front populaire est un élan qui épouse ses convictions profondes. En septembre l'assassinat de Federico Garcia Lorca soude Neruda et Desnos dans la même émotion d'une conscience éveillée.
Début 1937, lorsqu'il rend un hommage public au poète assassiné, Desnos voit Aragon revenir, enfin débarrassé du joug d'André Breton.
Les invectives fusent de la part des nationalistes à son encontre, impossible d'être dans une brasserie sans que cela dégénère : « Dites-moi, Desnos, pensez-vous que nous allons continuer à tolérer le ramassis de métèques qui profite de notre laxisme pour engraisser sur notre dos et baiser nos femmes ? Ou nous laisser gouverner par un Juif et sa clique de Maçons ? Nous abritons trois millions de parasites, ce pays est le dépotoir de l'Europe. Mais le temps de vos amis est compté, tic tac tic tac… le vôtre aussi d'ailleurs, car avec ce physique, vous aurez du mal à vous faire oublier quand nous lancerons le grand nettoyage. »
Franco en Espagne, Hitler en Allemagne, « Robert sent le grondement de l'orage à ses temps et ferme les yeux. La guerre. Il la devine dans ce murmure qui enfle et obscurcit les rêves des auditeurs, ce souffle qui éteint les bougies et les souhaits. Elle prend la forme de cette marée noire qui va les emporter, de ces rats qui grouillent sur les branches de l'arbre, de ces fosses vertigineuses où ils glissent sans trouver d'appui, des cimetières qui se multiplient le long de leur promenade. »
3- « Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce coeur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères »
En 1940, aux côtés de Jeanson dans le journal Aujourd'hui, Robert Desnos agit.
Il commet des critiques acerbes du gouvernement de Vichy. Lorsque Jeanson est écarté du journal, il somme Desnos de continuer. Avec Interlignes, chroniques littéraires il s'engage à faire que ses lecteurs pensent par eux-mêmes.
C'est aussi le temps des rutabagas et du froid à l'extérieur mais aussi à l'intérieur, des gens disparaissent.
29 mars 1942 apparition de l'étoile jaune qui va trahir et désigner les victimes des prochaines rafles, là non plus, il ne peut rester immobile. Des faux papiers, il doit fabriquer.
Ses nuits, il les passe à noircir le papier, poèmes, livres pour enfants, roman sur l'addiction surtout lorsque son coeur est lourd de l'absence de Youki.
Juillet 1942 : rafle du Vel d'Hiv…
Malgré des menaces de plus en plus précises Robert Desnos, écrit et oeuvre à la justice mais ses batailles doivent prendre l'ombre.
Dans tout ce tumulte il prendra le temps de venir en aide à Antonin Artaud après l'appel au secours lancé par sa mère Euphrasie. Il est comme cela, présent physiquement, il va aller à l'hôpital où est enfermé son ami et où comme des milliers d'autres êtres égarés il subit la faim et mille autres misères.
Avec l'aide du docteur Ferdière il réussira le transfert à Rodez de l'ami Antonin.
Les jours, les nuits, les mois passent, un nom circule Auschwitz, il souffle l'inimaginable, l'indicible.
C'est le chaos…
Il sera arrêté le 22 février 1944, il ne fuit pas.
4 « Même si tu dis des mensonges
si tu simules ton émoi
Pour que le songe se prolonge
Mon amour parle-moi. »
Youpi « Neige rose », la femme volage, insouciante et gâtée, est anéantie.
Pour elle commence la quête, désespérante et incessante pour sauver son homme.
« Cette ville regorge de prisons, de réduits humides, de forteresses profondes où l'on peut faire disparaître quelqu'un du jour au lendemain, effacer ses traces. le silence est une arme psychologique, une torture raffinée dont se délectent les bourreaux et les fonctionnaires, regardant s'allonger ces files de gens qui crèvent de ne rien savoir. »
« Je revisite notre passé. Partout, je vois des indices de ta vie clandestine. »
Des mois de lutte, d'espoirs, de désillusions, d'espoirs à nouveau … Robert Desnos 4 juillet 1900-8 juin 1945.
Ma lecture a été une longue marche dans les pas (tel son ombre) et non sur les traces de Robert Desnos. J'ai arpenté « Paris est une fête », j'ai aimé, souffert ; je me suis révoltée contre l'ennemi.
Le livre de Gaëlle Nohant est un monument d'érudition érigé à l'homme et à son art qui sont indissociables.
Et, oh merveille ! j'ai fait des pauses, telle une ombre posée sur un banc, pour relire ses poèmes au rythme de ce quatuor narratif. Ses vers dansent, chantent, s'engagent, griffent, cisaillent, coulent d'humanité toujours.
Comment ne pas penser à certaines similitudes avec notre époque, mais je reste persuadée, le coeur crevé, que cette flamboyance n'existe plus et que notre monde est bien terne.
J'entends Jean Ferrat chanter :
« Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne »
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 9 décembre 2017.


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Un véritable coup de coeur pour ce sublime Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant.
L'auteur y conte à merveille la vie passionnante que fût celle de Robert Desnos. Son travail de documentation est réellement impressionnant, de fait, on traverse les décennies aux côtés du poète tant est si bien qu'on a vraiment l'impression d'être avec lui. Certains de ses vers sont parsemés au fil du récit et cela ajoute du corps au texte.
J'ai eu le sentiment avec ce livre passionnant de découvrir Desnos que finalement je connaissais bien mal.
Les dernières pages, celles concernant la période de déportation du poète m'ont arrachées des larmes.
Bref,splendide !
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Voilà un livre épatant ! Légende d'un dormeur éveillé est un roman mémorable sur Robert Desnos, surréaliste, fervent adepte de l'écriture automatique et de l'hypnose. Insatiable curieux qui voulait explorer les confins de la création littéraire, aller au-delà de la réalité.
Le lecteur suit, accroché, arrimé aux pages, cet homme exceptionnel, sa vie, sa poésie, ses mots, ses amours, la guerre, la résistance, les copains.

Si vous aimez l'art, le processus créatif, la littérature, ce livre est fait pour vous. Gaëlle Nohant fait vivre avec un rare talent cette période de bouillonnement créatif, d'imagination prolixe, d'essais littéraires en tout genre, d'une véritable révolution artistique. Prévert, Man Ray, Breton, Éluard, ils sont tous là ! L'auteure décortique aussi le processus créatif propre à Desnos, ses mots, sa façon d'appréhender l'écriture, de la travailler, c'est fascinant.

Si vous aimez l'Histoire, l'Entre-deux guerre et la Seconde Guerre mondiale notamment, vous ne serez pas déçu et plongerez dans un Paris déchiré entre la France occupée et celle qui reste libre, dans une ville abandonnée à l'occupant où collabos et parisiens se jaugent quotidiennement, où la Résistance s'organise et où Robert Desnos endosse son plus beau rôle.

Enfin, la prose de Gaëlle Nohant est tout simplement bluffante. D'une grande maîtrise, toujours juste, vivante, imagée, parfois trop riche. Certaines phrases à rallonge, suite de jolis mots assemblés comme un bracelet de perles, alourdissent le texte.
La construction du roman est superbe, la dernière partie est le clou du spectacle. Et ces vers de Desnos, déposés ça et là dans le roman, comme une offrande au lecteur, pour illustrer, témoigner et surtout donner envie au lecteur de prolonger cette délicieuse aventure avec Desnos lui-même.

Je voudrais pondérer cet avis très positif par une réserve sur la multitude d'anecdotes et de name dropping. Bien que très intéressant, cela n'apporte pas grand chose à l'histoire, et cela plombe le rythme. C'est très dense, foisonnant. Ce n'est pas une lecture facile, j'ai souvent eu envie de faire une pause. Ça pêche par excès d'infos, de zèle, de sophistication syntaxique.

Néanmoins, il ne faudrait pas que ce bémol vous fasse passer à côté d'un superbe roman. Prévoyez juste un peu de temps pour le lire 😉
Lien : https://brontedivine.com/201..
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Un roman qui prend des allures de biographie, 600 pages pour conter le destin hors norme d'un poète français, ses fabuleuses rencontres avec quelques grands noms qui ont éclairé le XXème siècle (Foujita, André Breton, Jacques Prévert), ses amours (d'Yvonne qui se meurt à Youki qu'il a ravie à Foujita), ses convictions, son engagement dans la Résistance jusqu'à sa déportation et sa mort.
Une épopée foisonnante, dense (souvent trop...j'avoue avoir lu certains paragraphes en diagonale et avoir éludé presque toutes les citations, en caractères gras dans le texte) servie par une qualité d'écriture qui m'a épatée : Gaëlle Nohant, en plus de restituer à merveille la folie parisienne de l'entre-deux-guerres, exprime toute la palette des sentiments dans une narration impeccablement maîtrisée, très poétique, dont l'intensité s'accroît dans la dernière partie où elle a eu la bonne idée de donner la parole à Youki.
Petit bémol, la difficulté à entrer dans le roman : les premières pages sont un peu laborieuses et difficiles à digérer et le roman souffre sans doute de sa trop grande richesse...J'ai même parfois eu l'impression qu'il aurait pu entrer dans la catégorie « document » tant les recherches de Gaëlle Nohant sont précises sur la biographie du poète. C'est ce qui m'empêche de le noter plus « généreusement »...
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Ce livre me donne grande envie de relire les poèmes de Robert Desnos, de retrouver sa fourmi de 18 mètres et son éléphant à une patte !
A travers ces pages je revois ses jeux de mots, les tableaux de Foujita et Dali, les poèmes de Prévert qui illustraient mes livres de lycéenne.
Gaelle NOHANT nous offre avec cette splendide biographie de DESNOS une envolée dans le Paris des Surréalistes des années folles. Desnos et ses amis étaient considérés comme des « parasites qui dissipent leurs vies dans la fête et l'alcool » . Poètes et artistes ne crachent pas sur la pipe à opium, s'enivrent dans les boites de Montparnasse ou des halles. Vivre la nuit émoustille leur talent. Ils sont là pour bousculer non pour séduire !! Ils sortent de la norme. Desnos, fauché, aux chaussures trouées, aux yeux de myope est attachant pour ses faiblesses, ses amours impossibles avec Yvette Georges ou Youki. Dans années 30 Desnos crée des slogans pour la radio. Il vit enfin avec la belle et infidèle Youki, rue Mazarine. Tous les samedis sont dédiés à leurs amis. Derrière une table couverte de bouteilles de vin, avec Prévert, Queneau, Eluard, Jean-Louis Barrault, ils s'attardent en discussions sur le front populaire, sur la monté du fascisme, sur la guerre civile espagnole où leur ami Garcia Lorca a été assassiné. le film de Bunuel «l'âge d'or » est décrié et provoque des bagarres… Cette génération sait qu'il faut vivre vite, la noirceur de l'horizon est un mauvais présage. Il écrit avec colère un recueil pour les guillotinés « les sans cou ».

Gaëlle Nohant m'a attrapée avec ce livre si prenant au point que dansent sous mes yeux les couleurs de Foujita, de Max Ernst, les photos de Man Ray. J'entends les notes de Jazz qui bercent les poèmes de Desnos dont elle ponctue son texte. Je ne parviens pas à m'échapper de ces pages. Pourtant la troisième partie terriblement émouvante, est bien sombre entre résistance et déportation. Youki maintenant prend la parole, se débat, se démène, utilise même certaines relations douteuses. Elle veut protéger son poète. Desnos trouve un abri dans la poésie. Je vous laisse découvrir ce magnifique roman, qui mériterait un prix littéraire tant la plume est harmonieuse, tant la documentation est riche et précise. Gaëlle Nohant nous redonne le gout de la poésie, de la beauté des mots…
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Gaëlle Nohant, telle une Schéhérazade envoûtante, nous conte en ces pages hypnotiques l'histoire de Robert Desnos, poète de l'ombre qui méritait la lumière qui jaillit soudainement sur lui.

Nous sommes dans les années 20 et Desnos revient de Cuba avec dans ses malles Alejo Carpentier rencontré sur place. Car ses amitiés sont ainsi : fulgurantes et entières, comme ses amours d'ailleurs. Il s'est rapproché plus tôt du mouvement surréaliste, se reconnaissant dans leur envie de tout casser, "d'envoyer bouler la banalité pour révéler le miracle, le merveilleux.", et appréciant de fréquenter des êtres hybrides, aux ambitions révolutionnaires :

"Ils avançaient sur la crête des vagues, tutoyaient la mort et le vertige. Leur rire était un crachat envoyé au ciel. Ils n'avaient que faire d'être taillés, méprisés, excommuniés. Ils revenaient d'entre les morts, la boue des tranchées les avait recrachés in extremis. (...) Ils criaient ce que nous appelons vie, c'est cette cavalcade qui piétine vos charniers, ce débridement de l'être qui vous fait horreur. le merveilleux, la révolte et le blasphème sont nos invités permanents. Nous abolissons les frontières que vous avez tracées pour vous protéger de vous-mêmes. Nous n'avons de patrie que celle des rêves que nous partageons, des femmes que nous aimons, des vins qui nous enivrent. Nous sommes votre pire cauchemar, la porte d'entrée de vos désirs refoulés, des insurrections à venir. Nous sommes l'insomnie des ministres de l'intérieur, des gardiens d'asile, des maréchaux de France. Nous incarnons le désordre, nous fracassons le langage pour que vous ne puissiez plus endormir, mater, endoctriner, faire plier les volontés à l'aide de la grammaire, de la morale,et du dogme,. Nous préparons les lendemains indociles, nous guettons les rencontres improbables, les incendies amoureux, le tressaillement des consciences réveillées et de la liberté qui se déplie." p. 84

Il s'éloigne cependant peu à peu du groupe, refusant la mainmise directive de Breton.

A l'époque, il rencontre aussi Youki, celle qu'il nommera "sa sirène" au chant douloureux et passionné. Leur amour tumultueux marquera sa vie et ses poèmes. S'ensuit une période foisonnante de rencontres amicales, entre artistes qui ressentent ce besoin impérieux de s'abstraire des contingences de la société pour créer un monde à part, préservé, pur, comme Jean-Louis Barrault et sa passion pour le théâtre, Pablo Neruda, Man Ray, Antonin Artaud l'écorché... Sa maison est toujours ouverte, et cet avant guerre a des goûts d'insouciance.

"Le bonheur est sans doute dans le battement d'ailes qui traverse ces fragments d'éternité où chacun est à sa place et où les talents s'épanouissent pour le plaisir de tous, sans affectation ni volonté de briller." p. 206

Dans ce contexte, la puissance de la littérature, de l'art agit comme une évidence :

"La culture est un enjeu. Quand on permet à ceux qui en sont exclus d'accéder à l'art et à la connaissance, on sème une graine de liberté qui peut les soustraire à la toute puissance des tyrans." p. 218

Le poète, comme une pellicule que tout impressionne, sait capter l'essence des instants dans toute leur véracité

"Ses mots tentent de capturer le frémissement, l'instant où quelque chose d'inédit se produit, un accident, une rencontre miraculeuse ralentissant la course éperdue de chacun vers sa mort." p. 76

"Mais lui, loin des signaux fleuris le long des voies,

Parcourait une plage où se brisait la mer :

C'était à l'aube de la vie et de la joie

Un orage, au lointain, astiquait ses éclairs." p. 240 Desnos Fortunes "L'évadé"

"Pour lui, l'écriture est ce territoire mouvant qui doit se réinventer sans cesse, demeurer une insurrection permanente, une fontaine de lave, des corps joints dans la danse ou l'amour, une vois qui descelle les pierres tombales et proclame que la mort n'existe pas, une expérience sensorielle." p. 31

Puis arrivent les années sombres, les années de guerre, l'occupation, l'engagement, comme une évidence.

"Pour le reste je trouve un abri dans la poésie.

Elle est vraiment le cheval qui court

au-dessus des montagnes..." Desnos Lettre à Youki p. 413

La fin du roman prend en charge le point de vue de Youki après la déportation De Robert, comme un journal qui souhaite laisser une trace. Une partie moins forte, avec les témoignages de ceux qui reviennent, des atrocités commises, et toujours en filigrane la personnalité lumineuse De Robert qui distille l'espoir auprès des autres condamnés.

Sous la plume talentueuse de Gaëlle Nohant, le personnage prend vie et toute l'époque s'agite à ses côtés, créant un tableau vivant et passionnant. Un très bel hommage rendu à ce grand poète !
Lien : http://www.lecturissime.com/..
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De Robert Desnos, chacun a en mémoire quelques vers , mis en musique ou non, jouant avec les sons, les images, pleins de fantaisie (Une fourmi de dix-huit mètres... Ce sont les mères des hiboux...). Une photographie vient peut être aussi à l'esprit, celle d'un "dormeur éveillé". Amours malheureuses, Surréalisme, Résistance composent les autres morceaux du puzzle, sans oublier sa mort du typhus juste après la libération du camp de concentration où s'achevait son parcours de déporté.
Avec sa Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant nous propose un roman qui se fixe pour objectif de "rejoindre la vérité par le biais de la fiction, ou en tout cas une vérité possible". Objectif pleinement atteint par ce texte foisonnant de vie, de sentiments, d'énergie, qui fait revivre de manière extrêmement vivante le Paris des années folles à l'occupation et l'existence de cet homme protéiforme.
Et de l'énergie il en fallait pour suivre le parcours de cet homme tour à tour et simultanément, poète critique, inventeur de slogans publicitaires, chroniqueur radio, porté par une telle exigence de liberté qu'il s'engagea dans la Résistance sans tarder. Ayant le coup de poing facile, ne craignant pas les inimitiés, mais extrêmement fidèle en amour comme en amitié, Roberts Desnos se révèle extrêmement attachant et sensible.
Émaillant judicieusement son texte d'extraits de poèmes, dûment référencés à la fin des 521 pages, l'auteure ,dans la dernière partie du livre, la plus poignante, se glisse aussi à la place de Youki, la femme aimée. Sous la forme d'un journal intime, elle retrace la toute dernière partie de la vie de l'auteur de Corps et Biens, une partie qui nous laisse la gorge serrée.

Un très grand coup de coeur, tant du point de vue de l'écriture, parfois lyrique, parfois plus intimiste mais toujours très prenante, que du point de vue romanesque. On ne s'ennuie pas une minute et on dévore d'une seule traite ce pavé addictif ! Vous voilà prévenu(e)s .

Et zou, sur l'étagère des indispensables !
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Je ne suis pas très bon public pour ce genre de roman. En effet je n'ai pas la sensibilité qu'il faut pour apprécier la poésie et /ou la philosophie. Mon système de pensée est beaucoup trop ancré dans la terre et j'ai vraiment des difficultés à me laisser porter par des vers ou des questionnements abstraits.
La première partie de ce roman m'a donc quelque peu rebuté. L'écriture était trop "pompeuse" (ce n'est pas le mot adéquat, il est dans l'excès, mais je n'en trouve pas d'autre pour décrire mon sentiment), trop "romantique" (de part les vers et les pensées de monsieur Desnos). J'ai arrêté de lire les petits apartés poétiques entre les paragraphes, car je n'accrochais pas du tout.
Ensuite, la vie soit disant trépidante des protagonistes dans les années de l'entre deux guerres manque de naturel. Tout m'a semblé forcé, tant la débauche que le besoin, la recherche d'amour et d'amitié. Tout cela se régularise à l'approche de la deuxième guerre mondiale avec l'engagement de Robert Desnos dans la Résistance et...
...La deuxième partie du roman, m'a plu ! J'ai bien fait de persévérer dans ma lecture (hé oui, j'ai failli abandonné 2 - 3 fois). Cette deuxième partie, sous la "plume" de Youki, est plus directe, plus terre à terre, et donc plus dans mon caractère. Il y avait beaucoup moins de digressions philosophiques et plus de descriptions concrètes.
Le style et l'écriture de madame Nohant sont, on ne peut le nier, très jolis. La masse d'informations récoltée est impressionnante. Mais ce style n'est pas (encore) le mien mais qui sait... Un jour peut-être je m'adoucirai.
Lien : http://cath-jenta3.hautetfor..
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En écrivant la "légende d'un dormeur éveillé", Gaëlle Nohant retrace la vie prolifique d'un poète, Robert Desnos, et L Histoire mouvementée de la première moitié du vingtième siècle.
Tout en restant fidèle à la vérité, l'auteure invente, entre les faits historiques, une"vérité possible" par le biais de la fiction. Il s'agit bien, en effet, d'un roman. le roman d'un homme libre, poète facétieux et rêveur, croquant la vie à pleine dents, fidèle en amour et en amitié. Nous suivons son parcours de son retour de Cuba en 1928, «Cuba lui est entré dans le corps à la manière d'un alcool fort», à sa mort le 8 juin 1945, sur une paillasse, vêtu de l'habit rayé de déporté dans un camp de concentration en Tchécoslovaquie.
Autodidacte, fâché avec sa famille et l'école, Robert Desnos fréquente le milieu surréaliste au début des années vingt, en devient un lumineux pilier et travaille comme journaliste pour plusieurs journaux. Robert est séduit par les «discussions à bâtons rompus, les calembours politiques, les formules lapidaires, cet humour noir, autant de gifles cherchant la joue adéquate.» Il cherche la complexité des êtres, l'infini de leurs contradictions, et tente de capturer le frémissement, l'instant.
Epris de liberté, refusant de s'engager dans le communisme, il est exclu du mouvement en 1929 par André Breton, véritable dictateur du mouvement qui, pourtant, annonçait : «le surréalisme est à l'ordre du jour et Desnos est son prophète.»
Desnos, c'est aussi un fidèle en amours et en amitiés. En amour, Desnos est d'abord follement amoureux de la chanteuse de music-hall Yvonne George. Un amour jamais réciproque qui lui inspirera de douloureux et lyriques poèmes : «j'ai tant rêvé de toi, que je perds ta réalité...» Yvonne George meurt en 1930 à trente trois ans. Il se détachera de cet amour platonique dans les bras de Youki Foujita, la femme de son ami le peintre Foujita, avec qui il vivra à partir de 1930 jusqu'à sa mort, un amour chaotique et passionné : «À force d'aimer, je me suis perdu dans l'océan. Et quel océan ! une tempête de rires et de larmes.»
Et fidèle en amitiés. Et quels amis……, nous allons croiser Foujita, Pascin, Artaud, Prevert, Picasso, Jean-Louis Barrault, Pablo Neruda et bien d'autres avec qui Desnos partagera une amitié sincère et honnête.
Puis, vient le temps de la peste brune. en 1942, Desnos intègre le réseau AGIR, auquel il transmet des informations confidentielles et fabrique de fausses cartes d'identité pour des juifs en danger. Mais, le 22 février 1944, il est arrêté par la Gestapo et le 27 avril il est déporté avec plus d'un millier d'hommes à Auschwitz. Puis le 12 mai vers Buchenwald et le 16 mai pour Flossenbürg. le 2 juin il est expédié au camp de Flöha pour travailler dans une usine fabriquant les Messerschmitt. En avril 45, les prisonniers sont dirigés jusqu'au camp de concentration de Theresienstadt où meurt Robert Desnos, le 8 juin, alors que le camp vient d'être libéré par l'Armée rouge. Ce livre magnifique, merveilleusement écrit, est le roman d'un poète épris de liberté et de courage, aimant la vie jusqu'à en mourir.
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J'ai rêvé tellement fort de toi,
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.
Ce poème m'a cueillie un jour, alors que je visitais le mémorial des martyrs de la Déportation, sur l'île de la Cité à Paris. Touchée au coeur, j'ai découvert Robert Desnos.
Ce poème, qui date de 1926 a été retrouvé sur lui à sa mort en juin 1945. Il semble tellement prémonitoire qu'il aurait pu l'écrire dans les dernières heures de sa vie, pour la femme qu'il aimait alors qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même, atteint du typhus, dans le camp de Terezin.
Ce poème termine le livre de Gaëlle Nohant « Légende d'un dormeur éveillé », un roman sur la vie du poète, un des plus beaux romans que j'ai lus.

Ça commence par un petit cours sur le surréalisme, instructif et très documenté que l'autoritaire André Breton rend un poil rébarbatif mais c'est ici que se présentent presque tous les protagonistes de la vie de Robert Desnos. On y fait bien sûr sa connaissance, on y découvre son enthousiasme, sa curiosité, sa sensibilité, ses amours dans un Paris entre deux guerres qui concentre tout ce qu'il faut voir, entendre et vivre de fêtes, de musiques, de peintures en dépit d'un quotidien difficile pour les petites gens et les artistes qui peinent à gagner leur croûte. Ensuite, du travail pour Robert Desnos, il y en a presque trop, entre journalisme, poésie et participations diverses à l'écriture de pièces de théâtre, de scénarii, de publicités… et puis viennent la crise, le fascisme, l'occupation de Paris, les amis et les libertés à peine retrouvées sont menacées, Robert Desnos entre dans un réseau de résistance. La dernière partie, la plus touchante (prévoyez des mouchoirs), se présente sous la forme d'un journal, celui de Youki, si folle, si insaisissable, si frivole et légère, qui semble si détachée du monde terrifiant qui l'entoure et qui se jette corps et âme à la recherche de celui qui ne l'a jamais quittée et qu'elle a ignoré si souvent.

Gaëlle Nohant écrit magnifiquement bien, sa plume poétique et imagée m'a séduite dès les premières pages. Je ne sais quels extraits vous proposer, chaque page est belle. J'en ai choisi quatre : le premier en lien avec le surréalisme, le second et troisième parle d'amour et de Youki et le quatrième illustre l'entrée en résistance du poète.

« Aux yeux De Robert, les surréalistes et les dadaïstes, qu'on pouvait encore confondre en ce temps-là, incarnaient une liberté aussi farouche que la sienne. Ils enterraient joyeusement les valeurs sacrées de leurs aînés, la famille, la patrie, et cette morale bourgeoise qui s'accommode du bordel et du viol mais brocarde la liberté d'aimer. Ils entrechoquaient et frottaient les mots, cherchant l'étincelle d'une poésie surgie de l'étrange et de la surprise, de l'amour des objets hors d'usage et de terrains vagues. A son retour du Maroc, Robert avait rejoint les surréalistes car l'inconscient, le merveilleux et le rêve étaient son territoire de toujours, le seul dont il se sentait un arpenteur légitime. de l'écriture automatique aux cadavres exquis, ils avaient inventorié un bestiaire halluciné, parcouru une jungle qui se perdait au-delà des cartes, s'étaient laissés hanter, émouvoir par des fleurs de verre, des femmes forêt, des étoiles encore non nées.
Ils avançaient sur la crête des vagues, tutoyaient la mort et le vertige. Leur rire était un crachat envoyé au ciel. Ils n'avaient que faire d'être raillés, méprisés, excommuniés. Ils revenaient d'entre les morts, la boue des tranchées les avait recrachés in extremis. Ils n'allaient pas rester sur leurs bancs à écouter les maîtres, lever le doigt, dire pardon mais je ne suis pas d'accord avec votre manière de distinguer les cadavres, de prétendre qu'il y a de nobles charognes, des boucheries bénies, que nous naissons pour mourir au nom d'une cause qu'on choisit pour nous. Ils criaient : ce que nous appelons vie, c'est cette cavalcade qui piétine vos charniers, ce débridement de l'être qui vous fait horreur. le merveilleux, la révolte et le blasphème sont nos invités permanents. Nous abolissons les frontières que vous avez tracées pour vous protéger de vous-mêmes. Nous n'avons de patrie que celles des rêves que nous partageons, des femmes que nous aimons, des vins qui nous enivrent. Nous sommes votre pire cauchemar, la porte d'entrée de vos désirs refoulés, des insurrections à venir. Nous sommes l'insomnie des ministres de l'Intérieur, des gardiens d'asile, des maréchaux de France. Nous incarnons le désordre, nous fracassons le langage pour que vous ne puissiez plus endormir, mater, endoctriner, faire plier les volontés à l'aide de la grammaire, de la morale et du dogme. Nous préparons des lendemains indociles, nous guettons les rencontres improbables, les incendies amoureux, le tressaillement des consciences réveillées et de la liberté qui se déplie.
Pendant six ans, Robert a été le voyant de leur obscurité, le prophète de leur impiété, le pourfendeur des impostures, jouant des poings et de sa verve assassine, décoiffé et couvert d'ecchymoses.

Mais quand ils parlaient, c'était d'amour.
Ils auraient pour un baiser
Donné ce qui leur restait de sang. »
…………………………………………………………………………….

« Robert regagne sans bruit l'appartement désert. La rue Mazarine est plongée dans le sommeil et il devine les rêves de ses voisins, horizons dépliés à perte de vue et festins pantagruéliques. Youki n'est pas là. Ces derniers temps, elle profite du couvre-feu pour passer la nuit dans les dancings et les cabarets. le coeur De Robert se tend comme une corde de guitare quand il passe près de sa chambre vide. Au matin, il la retrouve abîmée sur son lit. Cette odeur d'alcool qui imprègne ses vêtements et sa peau, cette lassitude au fond de ses prunelles sont les signes que sa Sirène va mal. Elle boit, comme on marche vers la vague en espérant qu'elle ne laissera rien de soi. Elle abandonne son corps aux morsures de bouches sans visages, aspirant à un oubli qui ne vient pas. Se réveiller sans mémoire, et que ses souvenirs cessent de la torturer. »
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« Encore un été étouffant à guetter cet appel d'air qui ne vient pas, ce débarquement promis et toujours suspendu qui finit par advenir trop loin, sur les côtes de Sicile, engendrant un espoir fou que ternit au fil des jours la monotonie de l'horreur. Jacques Prévert et Jean-Louis Barrault ont rejoint les studios niçois de la Victorine où débute le tournage des Enfants du paradis. Robert emmène Youki à Pierrefonds, à l'auberge des Trois Marches où vécut Séverine, la féministe au verbe haut, la grande amoureuse. La forêt de Compiègne frissonnant sous l'orage ranime tant de souvenirs… Robert espère qu'ils rendront Youki à elle-même et qu'elle lui reviendra.
Regarde ma Sirène, ici nous avons ri et chanté avec nos amis, nous nous sommes aimés sur des sommiers grinçants, j'ai embrassé chaque centimètre de ton corps, épié les variations de l'émoi dans ton souffle. Je rentrais le chapeau débordant de cèpes et tu m'accueillais pieds nus et décoiffée, avec ce visage de sauvageonne cuivré de soleil et de joie.
Ici, tu t'es griffée aux ronces de la forêt profonde. le parfum de ta peau s'est poivré de senteurs de feuilles mortes et d'humus, tu t'es enivrée de chants d'oiseaux, d'étoiles filantes…
Au coeur d'un été où nous nous sentions en pleine possession de nos vies, nous avons déchiffré incrédules l'ordre de mobilisation sur le mur de la gare.
Mais la vie, ma Sirène, ne s'est pas arrêtée le jour où les soldats d'Hitler sont entrés dans Paris. Elle est le torrent artésien qui court sous l'écorce calcinée, le battement d'un coeur obstiné qui refuse de se rendre. Regarde cette forêt où les bourgeons tirent leur force de la pourriture, où la mort donne la vie, n'est qu'un élément du cycle.

Incroyable est de se croire
Vivant, réel, existant.
Incroyable est de se croire
Mort, feu, défunt, hors du temps.

Nous survivrons à nos peurs.
Je t'emmènerai au Mexique, tu me feras visiter la Chine, dont j'ai tant rêvé à travers ta voix.
Dans chaque note de la partition d'un poème, dans la plus modeste étincelle électrisant le silence, je cache un amour plus grand que ma vie, plus grand que la tienne.
Je cherche les empreintes de nos pas dans la terre meuble des sentiers. Sous les feuilles, les escargots ont remplacé les champignons mais mon émerveillement renaît à chaque foulée, je ne suis pas rassasié de la beauté de ce monde.
Six semaines volées à la tension d'une vie aux aguets. Ecrire et aimer à l'abri de la forêt, réparer ses forces. Les poèmes pour enfants sont presque achevés, la dernière nouvelle se débat sous ses doigts comme un taureau fuyant les banderilles. La poésie et l'amour naissent d'un même désir inassouvi. le poème l'enserre, insaisissable et mouvant comme le corps de Youki. Il cherche à saisir ce qui n'est déjà plus là. Ses mains, ses lèvres, son sexe se referment sur une énigme. Ce qu'il attrape n'est qu'une dépouille frémissante, une coquille vide où l'océan résonne.
Savoir sa victoire impossible, et tout risquer pour la beauté de la tentative. »
………………………………………………

« Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?

- Hum… la fantaisie est manifeste, mais où se cache le réel ? sourit Verdet.
- Et bien, répond Robert, cette fourmi de dix-huit mètres ne ressemble-t-elle pas à une locomotive, et son chapeau à un panache de fumée ? Dix-huit mètres, c'est la longueur précise d'une locomotive avec son tender à charbon. Et ces passagers de toutes les races parlant des langues différentes…
- … sont les déportés ? souffle Verdet, songeur.
- C'est bien possible, murmure Robert. Et le fait qu'on emporte tous ces gens vers un lieu effrayant, que disparaissent ainsi des milliers de femmes et d'enfants, c'est tellement dur à croire… Et pourtant…
- Mais vous l'adressez à des gosses, qui s'arrêteront à la fantaisie.
- Bien sûr, répond Robert. Et c'est bien ainsi. le réel donne au poème son sens caché. Eux n'en ont pas encore besoin, ils le découvriront bien assez tôt. »

4ème de couverture : « Robert Desnos a vécu mille vies – écrivain, critique de cinéma, chroniqueur radio, résistant de la première heure -, sans jamais se départir de sa soif de liberté. Pour raconter l'histoire extraordinaire de ce dormeur éveillé, Gaëlle Nohant épouse ses pas ; comme si elle avait écouté les battements de son coeur, s'était assise aux terrasses de cafés en compagnie d'Eluard ou de Garcia Lorca, avait tressailli aux anathèmes d'André Breton, fumé l'opium avec Yvonne George, et dansé sur des rythmes endiablés au Bal Blomet aux côtés de Kiki et de Jean-Louis Barrault.
S'identifiant à Youki, son grand amour, la romancière accompagne Desnos jusqu'au bout de la nuit.
Légende d'un dormeur éveillé révèle le héros irrésistible derrière le poète et ressuscite une époque incandescente et tumultueuse, des années folles à l'Occupation. »

J'espère que je vous ai donné envie de lire ce très beau roman, de découvrir l'écriture de Gaëlle Nohant et les poèmes de Robert Desnos. Quant à moi, je vais chercher sa biographie par Anne Egger et les mémoires de Youki Desnos. Par ailleurs, j'ai poursuivi ma lecture sur les camps par « Si c'est un homme » de Primo Levi qui (par un fait étrange dans tous les livres sur le sujet, je choisis celui-là) a été déporté le même jour que Robert Desnos, le 22 février 1944.
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