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Amélie Nothomb était à l'affiche de la foire du livre de Bruxelles ce week-end. Longue longue file d'attente pour l'embrasser ou lui serrer la main. Que je regrette de ne pas avoir été là ce samedi ! Merci à mon cher et tendre d'avoir attendu deux longues heures les trois minutes de tête à tête avec la sulfureuse Amélie.
« A Magali, fidèle lectrice. de tout coeur. AN. » Voici les premiers mots que je lis en ouvrant les prénoms épicènes...

Amélie s'en donne à nouveau à coeur joie dans les tribulations métaphysiques sur un thème qui semble lui être cher : la relation père et fille. Épicène est une enfant épatante, née de l'union de deux prénoms épicènes (Dominique et Claude (qui veut dire boiteux en latin)), elle grandira grâce à l'amour de sa mère mais aussi grâce ou malheureusement à la haine de son père.
La haine est proche de l'amour mais « la personne qui aime est toujours la plus forte ».

Des prénoms épicènes, des prénoms mixtes pour doubler et mixer la vie de nos protagonistes. Mirages, faux-semblants, équivoques, Amélie nous sert avec son champagne une histoire à la Dallas, de haine et d'amour, avec des dialogues croustillants et de la répartie intellectuelle dont elle seule a le talent.

Amélie toute de noire vêtue, avec ton grand chapeau, tes roses et ton champagne, tu m'impressionnes et m'embrigades à chacun de tes romans pour un tour dans un monde décalé et tu parviens à tirer le meilleur du pire.
Bravo Amélie.
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Rentrée littéraire 2018 oblige, Amélie NOTHOMB est au rendez-vous ; certes avec un livre très court (150 pages) mais néanmoins captivant avec les thèmes de prédilection de l'auteure, et aujourd'hui sur la relation père/fille.
Difficile d'en parler sans un dévoiler trop… J'ai été conquise et je vous laisse le découvrir avec une coupe de champagne ! ou non...
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- Bonjour, alors dis-moi, comment tu t'appelles ?
- Je m'appelle Samia et j'ai sept ans.
- Et qu'est-ce que tu vas nous lire Samia ?
- Ben je vais vous réciter un petit extrait d'un grand classique d'Amélie Nothomb, "Métaphysique des tubes".
"Ce … spect-acle de mon pu … public assi … assistant à ma … mort … ( … )"
Je laisse la jeune demoiselle me casser les oreilles quelques minutes, après tout c'est pour ça que je suis payé.
La foule de spectateurs se lève et applaudit, Amélie également.
La bande de sales gosses brandit des cartons pour noter la piètre prestation de leur camarade. Vu les multiples hésitations et l'absence du moindre ton, je n'aurais pas mis plus de 02 mais je simule l'enthousiasme en m'exclamant :
- Oh un 09 ! Un 08 ! Et un autre 09 ! C'est bien mérité, tu as vraiment été formidable Samia, quelle belle lecture !
J'appelle ensuite l'enfant suivant.
Vivement que la journée se termine...

Une silhouette androgyne s'approche. Impossible pour moi de savoir s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon. Mais je devrais bientôt être fixé grâce à la question magique.
- Bonjour toi, alors, dis-moi comment tu t'appelles ? dis-je d'une voix gâteuse comme quand je demande à mon chien d'aller chercher son nonos.
- Bonjour Antyryia, bonjour à tous. Je m'appelle Epicène Guillaume.
Et merde. Me voilà bien avancé.
- Epicentre, c'est vraiment un très joli prénom. Et dis-moi, tu viens d'où comme ça ?
- Je me prénomme Epicène. J'habite à Paris. Mon père a insisté pour que je prétende habiter près de la place des Victoires, mais en réalité je réside rue Etienne Marcel. Il en a un peu honte, pour une question de standing je crois. Son ascension sociale est très importante pour lui.
- Ah bon ? Et dis-moi il est où ton papa ? Tu peux me le montrer avec ton doigt ? Comment il s'appelle ?
- Il s'appelle Claude. Mais il n'est pas venu. Il ne m'aime pas et je dois dire que je lui rends bien. On s'adresse à peine la parole, il était hors de question pour lui de m'accompagner ici aujourd'hui. Il pourvoit aux besoins matériels de notre famille, c'est tout.
"Je le hais encore plus qu'il me hait."
On ne me l'avait jamais faite celle-là ... Pour la première fois de ma carrière je me sens déstabilisé par ces réponses qui n'ont rien d'infantiles. Je suis déconcerté.
- Et tu as quel âge Epictète ?
- J'ai sept ans et demi. Je suis née le 09 septembre 1974. Et je m'appelle Epicène.
- Et qui t'a accompagné alors aujourd'hui dis moi ?
- Juste ma maman Dominique. Elle est là bas !
Mon regard se tourne vers une dame souriante, élégante, quelque peu embourgeoisée cependant.
- Alors Dominique, vous devez être très émue de voir votre enfant sous les feux des projecteurs, devant des dizaines de téléspectateurs !
- Oui je suis très fière de ma fille. Elle est formidable, vraiment.
"La petite était exceptionnellement éveillée, elle comprenait tout et éclatait de rire à la moindre occasion."
( Oh merci madame, sans le savoir vous venez de m'enlever une belle chandelle du pied ! )
- Si ça n'est pas trop indiscret, pourquoi avoir choisi ce prénom, Epiphanie ?
- Eh bien Claude mon mari et moi avions tous les deux constaté que nous avions des prénoms épicènes, mixtes si vous préférez. Et il nous a alors paru évident d'appeler notre enfant Epicène, qu'il s'agisse d'une fille ou d'un garçon.
"Nous avons un point commun toi et moi. Nos prénoms ne spécifient pas de quel sexe nous sommes."
Soulagé de pouvoir mettre une identité sur la starlette assexuée, je me retourne vers Piscine et lui demande avec mon air gaga :
- Alors ma petite, Amélie Nothomb fait partie de tes auteurs préférés ? Ca fait combien de temps que tu es fan ?
- J'ai commencé à dévorer ses romans depuis l'âge de trois ans. Aujourd'hui je lis davantage Homère ou Victor Hugo parmi tant d'autres mais c'est Amélie m'a fait découvrir et aimer les livres.
- Et qu'est-ce que tu vas nous chan ... Euh, nous lire comme extrait ?
- Je vais vous interpréter un texte extrait de son dernier livre, "Les prénoms épicènes".
Le contraire m'aurait étonné.

"Bizarrement, maman aimait papa. Elle ne lui avait pas dit, mais cela se voyait, se sentait, s'entendait. Maman avait pour s'adresser à papa une voix pleine de déférence, des yeux intenses et des gestes choisis. Papa ne remarquait pas ses manières, ni ne partageait pas son trouble. Si Epicène avait du formuler le sentiment de sa mère pour son père, il eût dit qu'il la supportait - à condition qu'elle parle peu et qu'elle existe le moins possible."
Prononcé sans la moindre hésitation, déclamé même, je remarque que la salle entière est silencieuse, écoutant religieusement la prodigieuse petite fille lire son paragraphe. La moindre allocution présidentielle ferait pâle figure à côté de cette prouesse verbale. Amélie Nothomb elle-même se lève pour rejoindre Epistole et l'accompagner au micro.
"Et elle, est-ce qu'il la supportait ? Pas sûr. Les rares fois qu'il lui disait quelque chose c'était :
"Tu es insupportable !"
Epicène était insupportable quand elle jouait au salon, quand elle chantait dans sa chambre, quand elle ne mangeait pas, quand elle mangeait, quand elle manifestait de l'enthousiasme.
Maman n'osait pas prendre la défense de sa fille. Elle attendait que papa s'en aille et disait :
"Papa est énervé par son travail."

La dame au chapeau et la fillette partagent une brève étreinte émue après leur discours dénonçant les dysfonctionnements de la famille Guillaume. On sent toute la salle crispée par par la description de ce père incapable d'apprécier son propre enfant, si brillant, si réaliste, si en avance sur son âge ; et par cette mère dédaignée, amoureuse mais incapable de lui tenir tête aussi graves que puissent être ses propos.
Enfin, les applaudissements fusent et les pancartes se lèvent, donnant 10 à l'unanimité à la prestation éblouissante d'Epuration. Et pour la première fois de ma carrière, je suis d'accord.
Comme j'ai encore quelques minutes avant que l'émission ne s'achève, j'enchaîne en demandant à la surdouée ce qu'elle a pensé de ce dernier roman de mon invitée belge.
- Eh bien je dirais que je l'ai lu à la façon dont on dévore une gourmandise. Qui aurait eu un goût parfois sucré, parfois amer. L'histoire qui est relatée dans Les prénoms épicènes n'est absolument pas crédible, tout y est exagéré, déformé, et comme souvent dans les romans d'Amélie j'ai davantage eu l'impression de lire un conte. Un récit farfelu qui va toujours droit à l'essentiel, avec des ellipses temporelles quand c'est nécessaire et une économie de mots telle qu'on a parfois l'impression de lire davantage une longue nouvelle qu'un véritable roman. Mais ce conte, je dois bien avouer que je n'ai pas pu le lâcher. le vocabulaire d'Amélie est toujours aussi riche, sa façon de s'exprimer toujours aussi unique en son genre. Même si les personnages sont un peu stéréotypés puisque leur psychologie n'est pas très approfondie, il n'y a pas besoin de davantage pour plonger au coeur du récit de la première à la dernière page sans pouvoir s'arrêter avant la conclusion. Un père odieux et manipulateur, une épouse aimante et complexée et une fillette adorable, intelligente et solitaire suffisent à insuffler suffisamment de vie aux membres de cette famille pour qu'on s'intéresse à leur devenir.
- Et quels thèmes selon toi sont abordés dans ce roman ?
- Beaucoup de thèmes sont communs au roman qu'elle avait sorti l'année dernière, Frappe toi le coeur. Comme dans son pénultième livre, Amélie aborde le sujet de la relation entre les parents et leurs enfants, en se demandant si l'amour est inné, et en présentant tour à tous les points de vue de la mère et de la fille. Mais cette fois le père joue un rôle beaucoup plus important puisque c'est lui cette fois qui s'avérera incapable de s'attacher à sa fille. On dit que la haine est préférable à l'indifférence, mais dans une telle relation familiale est-ce vraiment envisageable ? L'amour, qu'il soit filial ou sentimental, peut-il se commander ? La colère peut-elle cohabiter avec l'affection ? Comme autre thème important il y a bien sûr celui de la vengeance, ce fameux plat qui se mange froid, mais cela je laisse le soin de le découvrir à tous ceux qui n'ont pas encore lu le livre. Et puis bien sûr, il y a tout ce qui tourne autour du paraître. La réussite sociale est une obsession maladive pour le père, pour qui seules semblent compter les apparences : le métier, les relations, les fréquentations de sa fille, le prestige de son adresse ...

- Et pour conclure, qu'aimerais-tu dire à Amélie ?
- Eh bien, évidemment je souhaite la remercier pour tous les merveilleux moments que m'ont fait passer ses livres. Celui-ci présente la particularité d'être l'un des plus prenants, et pourtant à contrario je pense que je l'oublierai très vite, d'où ma comparaison avec une sucrerie dont on se délecte mais dont il ne reste qu'un léger goût en bouche finalement, qui finit rapidement par disparaître. J'aurais également voulu demander à Madame Nothomb de ne pas couler dans la résine les soixante-sept romans qu'elle a rédigés et qu'elle n'a pas souhaité publier, comme je l'ai lu dans un journal. Ce serait dommage de priver son public d'autant d'oeuvres inédites après sa mort, alors que je suis convaincue que beaucoup vaudraient le détour et nous feraient en prime découvrir d'autres facettes de son talent.

* Générique de fin *

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Claude a épousé Dominique, qui lui a donné une enfant : Epicène. Mais le père n'aime pas sa fille, qui croit bien le lui rendre. Dans cette famille épicène où les prénoms sont toujours mixtes, les sentiments aussi restent indécis quant à leur genre. Amour ou haine, nul ne sait plus, et dans la confusion, chacun leurre sa souffrance dans un désir de vengeance.


Comment mener son existence lorsqu'elle repose sur une blessure indélébile ? En filigrane de la vie de Claude et d'Epicène, s'enroule et se déroule la douleur de l'amour non partagé : l'amour pour une femme chez lui, l'amour filial chez elle, tous deux transmués en haine par le désespoir. Mais la vengeance est-elle une solution ? Guérit-on jamais d'une carence d'amour parental ?


Aussi courte que son écriture est minimaliste, comme rabotée à l'essentiel, cette histoire aux allures de conte est indéniablement ciselée au millimètre, sa construction parfaitement calibrée, le choix des mots soigneusement réfléchi et son motif habilement dessiné. Au-delà de mon admiration pour une telle maîtrise littéraire, il m'a toutefois manqué un soupçon d'émotion, ce je ne sais quoi qui transfigure la lecture en un moment de communion et vous la rend définitivement mémorable.


Ecrit avec un talent littéraire indéniable, ce livre brillamment mené m'a en définitive plus touché l'esprit que l'âme, plus l'intellect que le coeur. Suis-je moi aussi victime d'un ressenti épicène ?

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Amour, vengeance, manipulation, remord, pardon,... Qu'est ce qui fait que nous sommes qui nous sommes ? L'amour ou la haine de nos proches ?
Amélie Nothomb, par ce court roman, nous amène à nous questionner. Comme toujours, c'est très court, incisif mais terriblement efficace. Serions nous ce que nous sommes sans les autres ?
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le roman commence par une rupture. Je dois avouer que si j'avais relu les deux premières pages vers la fin du livre, j'aurais compris plus vite mais je ne fais jamais cela que lorsque j'ai terminé ma lecture pour en comprendre mieux les clés.
Prénoms épicènes qui conviennent aussi bien à un garçon qu'à une fille ; Dominique rencontre Claude qui l'invite immédiatement à se marier et à aller vivre à Paris.
Très étrange, Dominique se laisse porter par cette aventure tout en le trouvant bizarre.
Leur fille, Epicène du nom d'une héroïne de Ben Jonson, un contemporain de Shakespeare, est le symbole de la femme parfaite.
Claude continue à se montrer étrange, n'éprouve rien pour sa fille ni son épouse d'ailleurs jusqu'au jour où il place Dominique au premier plan pour faire la connaissance d'un couple très en vue à Paris.
Dominique n'y voit que du feu dans la manipulation de cet homme.
La haine qu'éprouve la petite Épicène pour son père monte en crescendo.Se dirige-t-on vers une tragédie ?
Dominique va-t-elle un jour se libérer de l'emprise de cet homme gravement frustré ?
Un petit roman comme Amélie Nothomb en a la spécialité avec un être cruel comme dans beaucoup de ses livres, avec un titre énigmatique qui traduit peut-être la neutralité des personnages ?
Quand elle fait appel à des notions historiques, Amélie Nothomb nous les explique à nous, lecteurs qui ne sommes pas censés tout savoir et elle le fait très habilement sans trop de longueurs.
Parfois, j'ai trouvé le style un peu trop sec dans les dialogues mais cela fait partie du jeu de l'auteure avec les faits et les mots.
J'ai bien apprécié ma lecture, pas autant que "Les catilinaires" ou " Frappe-toi le coeur" mais quand même, je crois que je ne l'oublierai pas tellement il est singulier.
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Famille: amour et haine (encore?)

C'est la rentrée littéraire... c'est l'incontournable production de septembre de la Dame au chapeau!

À chaque sortie, je la lis plus par curiosité que par fidélité. Il m'est arrivé d'être plutôt satisfaite de ma lecture et d'autres fois légèrement contrariée de la perte de temps. C'est le cas ici et j'en perds toute argumentation pour construire cet avis tant il se résume à une moue dubitative.

Elle se frotte encore une fois à la sphère familiale avec une partition de vengeance et haine. Ou comment construire une vie sur une relation toxique complètement improbable avec des personnages caricaturaux, sans aucune crédibilité… J'en suis ressortie peu convaincue.

Sur le plan du style: sans surprise.
Ça a au moins le mérite d'être écrit de façon minimaliste, fluide et sans pesanteur pour être lu en deux heures. J'apprécie néanmoins d'y trouver à chaque livre de l'originalité, voire de la cocasserie, des marottes surprenantes comme ces prénoms mixtes, des thèmes de sociétés complètement détournés.

Mais je laisse le choeur des groupies chanter ses louanges (sans moi) ;-)
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Dominique est une jeune femme effacée.

Lorsque Claude la rencontre, très vite ce sera la demande en mariage, le départ à Paris, l'enfant dont le prénom sera le reflet de ceux qui les entourent : Épicène (à la fois masculin et féminin).

Dominique se laisse entraîner dans ce tourbillon sans comprendre les variations d'humeur de son mari et son manifeste manque d'intérêt pour sa fille alors qu'il était tellement pressant de la voir naître.

Épicène aussi aura donc une relation particulière avec ce père, absent ou mal présent.

Elle finira par le haïr.

Cependant, même si Dominique se satisfait de cette vie, sans doute meilleure que celle qu'elle espérait, comprendra-t-elle enfin qui est Claude ?

A mon avis :
Pour mon premier roman d'Amélie Nothomb, je pars donc sans à priori et sans habitude, contrairement à beaucoup de ses lecteurs qui attendent chaque année le nouvel opus de l'écrivaine avec impatience et avec souvent un avis préconçu.

Après une lecture assez rapide, d'autant que le roman est assez court, je me dis que celui-ci n'offre pas grand intérêt.

L'histoire est assez simpliste, on en devine une grande part très rapidement, le sujet manque d'originalité.

La haine, la vengeance, la tromperie et les rapports mère-fille et père-fille y sont abordés, mais manquent de profondeur.

On ne fait que survoler le sujet, tout comme on survole ce livre dans lequel on a du mal à s'investir.

Et les 162 pages qu'il comporte ne suffisent pas à y entrer complètement et s'achèvent sur un final assez plat.

Néanmoins, l'écriture est limpide et il se lit facilement... presque comme un roman de gare.

Rien de bien transcendant quoi...


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Le temps n'est jamais long quand on aime lire. Et, comme les circonstances font que, en ce moment, je suis régulièrement amenée à me trouver plusieurs heures d'affilée hors de chez moi en n'ayant rien d'autre à faire que lire... du temps, j'en ai.
Par ailleurs, avoir toujours un bouquin avec soi offre l'avantage pour les gens comme moi à la sociabilité relative, d'éviter de faire la causette à des personnes, certainement charmantes, mais à qui on n'a rien à dire.
Lundi dernier, j'avais donc emporté "Les prénoms épicènes". Et, entre deux banalités d'usage échangées avec la personne présente - ben voui, j'ai beau ne pas être très sociable, je n'ai pas été élevée chez les sangliers non plus, hein ! - j'ai lu ce livre d'une seule traite.

Je l'ai beaucoup aimé. Il m'a vraiment captivée. Je ne dirais pas que c'est un chef d'oeuvre de la littérature mais il est bien écrit, accrocheur et je n'ai pas vu le temps passer. Il a comblé mes attentes et mon attente. Et comme je ne lui en demandais pas plus, c'est sans hésiter que je lui attribue un 4/5.
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Amélie Nothomb voudrait-elle payer sa dette aux auteurs qui l'ont nourrie ? le titre du roman précédent Frappe-toi le coeur lui avait été inspiré par Alfred de Musset. Cette fois, avec Les prénoms épicènes, elle fait un clin d'oeil à Ben Jonson, contemporain de Shakespeare, qui a écrit « Epicène ou la femme silencieuse ».
Arrêtons-nous sur le sens de l'adjectif « épicène »: il désigne des prénoms « qui ne spécifient pas de quel sexe nous sommes ». Soulignons le talent de « la reine de l' onomastique. », dixit Augustin Trapenard !

Le premier chapitre mettant en scène Reine congédiant l'homme qui l'aime depuis cinq ans, peut dérouter, car ce n'est qu'à la page 107 que l'on découvre l'identité de celui qui n'a toujours pas « décoléré ».
Moment où tout va basculer, faire exploser un couple et modifier l'avenir d'une mère et de sa fille.

Nous suivons ensuite le couple formé par Dominique et Claude, depuis leur rencontre, leur mariage, la montée à Paris, le mari créant une filiale de la société Terrage. À la naissance tant attendue de leur fille, le père s'éloigne, ainsi il ne manifeste aucune joie à voir sa fille marcher. Son absence de plus en plus fréquente va renforcer les liens fusionnels entre mère et fille. Mais que cache cette indifférence, cette indisponibilité du géniteur ? le sens de son prénom, Claude, signifiant «  boiteux » aurait-il une influence sur son comportement ?

La scolarité de leur fille Épicène donne l'occasion d'une mixité sociale, la mère réussissant à sympathiser avec Reine Cléry, partageant les mêmes soucis de parents d'adolescentes, lors des rencontres avec les enseignants. le professeur de latin ne manque pas d'asséner ses quatre vérités, ce qui rapproche les deux femmes, prêtes à s'épauler.
Elles se fréquentent, sortent, s'invitent, mènent grand train. « Une amitié neuve qui ne cesse de s'intensifier ». Une nouvelle vie pour Dominique qu'elle se plaît à relater à son mari le soir. Mais n'est-elle pas, depuis le début, manipulée par son époux ? Pourquoi manifeste-t-il un besoin si impérieux de rencontrer M.Cléry ? Est-il vraiment motivé par des raisons professionnelles ? Comment s'immiscer dans cette famille sinon en étant invités à une de leurs réceptions ? le plan fonctionne grâce à Dominique !

Le jour J, la soirée fixée au 26 janvier, tourne au cauchemar. Scène très théâtrale où Dominique surprend une conversation entre son mari et Reine.
Rebondissement du récit, tournant décisif dans la vie des Guillaume.
Les confidences de Claude à Reine, si édifiantes, si consternantes, provoquent un terrible séisme chez Dominique trahie. Tout s'écroule pour elle. C'est sur le champ qu'elle décide de partir avec sa fille.


La narratrice autopsie les sentiments de ses protagonistes avec subtilité et brosse des portraits très contrastés.
Que penser de Claude, ce père ambitieux, qui n'a jamais eu le temps pour sa fille ? Un citoyen, pour qui les apparences importent, au point de déménager pour la rive gauche de la Seine! Un homme qui incarne l'hypocrisie et suscite l'indignation.
Que penser de Dominique, l'épouse, qui n'intercède pas quand le père brise l'amitié de sa fille avec Samia ? Une épouse que le mari comble d'objets luxueux lui laissant subodorer un retour de flamme jusqu'au moment où « stupeur et tremblements », elle découvre la vraie face de celui qu'elle aime. La narratrice montre comment l'amour qui la transcendait à ses débuts va se transformer en une force destructrice.
On retrouve dans les personnages cet esprit des « loyautés » de Delphine de Vigan, « des liens invisibles qui nous attachent aux autres ».
Reine n'est- elle pas loyale envers sa nouvelle amie quand elle traite le mari de celle-ci, de «  monstre », « de cinglé » ?
Quant au lien entre Reine et Claude, ne dévoilons rien.

L'auteure «  met toujours au monde » des « enfançonnes » surdouées.
Ici Épicène réussit admirablement au collège, donne satisfaction à son professeur de latin, puis décroche le bac brillamment. Et pourtant, pour le père, elle est cet enfant «  insupportable » à qui il consacra si peu de temps.

Mais l'intelligence condamne à une certaine forme de solitude. N'est-ce pas pour cette raison qu'elle adopte «  le stratagème du coelacanthe » ? ( 1)

Épicène sidère par sa maturité, à 15 ans, elle prend les choses en main dès leur retour à Brest chez ses grands-parents et s'avère être quasi le pilier de sa maman. Elle déploie un tel «  grit » (2), que sa mère se montre battante à retrouver du travail.

La vocation des héroïnes d'Amélie Nothomb est dictée par la littérature. Épicène, bachelière brillante se tourne vers un cursus d'angliciste, influencée par Ben Jonson, ce qui n'est pas sans rappeler la motivation de Diane qui a embrassé le métier de cardiologue, impressionnée par la phrase De Musset : «  Frappe-toi le coeur, c'est là qu'est le génie. »
Dans la foulée la « fabuleuse » étudiante éblouit par sa thèse, décroche l'agrégation « haut la main », et un poste d'enseignement à Brest.

La romancière aime explorer les relations parentales complexes et les couples. Ses livres traitent souvent de conflits, d'injustice et de vengeance.
Elle montre jusqu'où certains peuvent aller par amour. le défi du père en fait un personnage exécrable, antipathique.
On pense à « Tuer le père », si ce n'est que « ce mec ignoble », ce « type infect » pense, lui, à supprimer sa fille ! Un vrai drame.
L'académicienne se réfère au prince de Ligne, moraliste belge, pour commenter le geste létal de celle qui a, pendant des années vécu, comme « le coelacanthe ». Elle aborde la question de la préméditation ou non et du remords.

L'image d'Épicène qui, lors de son départ précipité, considère comme « essentielle » son édition bilingue de l'Iliade  convoque les paroles dithyrambiques de Sylvain Tesson sur Homère, ce maître de poésie et de vie, dont « l'oeuvre est une sorte de bréviaire de l'homme, un enchantement de lecture., un trésor. Homère, c'est Goldorak » !
Et nous, que prendrions-nous d'essentiel, en cas de départ précipité?

Pour rester fidèle à son titre «  d'ambassadrice du champagne », Amélie Nothomb fait couler un grand cru, le préféré de Reine Cléry. Et elle ne manque pas de distiller les effluves d'un parfum de renom, ainsi que son sempiternel mot : « pneu », ici il faut les regonfler !

Les anglicistes et anglophiles seront ravis de lire que « L'anglais est une langue étonnante. Un seul mot suffit là où nous affaiblissons à coup de périphrases ». Pour les autres, enrichis du verbe «  crave », ils auront « un besoin éperdu de » lire les romans précédents de «  Crotteke » ! (3)

La romancière tresse une tragédie psychologique entrelaçant le destin de deux familles, digne des pairs qui l'ont inspirée.
Un roman irrigué par la haine, «  deux vengeances (une qui rate, une qui réussit ! » selon l'écrivaine) et l'amour, étayé par cette déclaration :
« La personne qui aime est toujours la plus forte ».

(1) Coelacanthe : «  poisson qui a le pouvoir de s'éteindre pendant des années si son biotope devient trop hostile ».
(2) grit : Ce terme désigne la capacité de ne pas se résigner, de persévérer.
(3) Surnom donné à Amélie Nothomb par ses proches.

A écouter : l'émission Boomerang du 28 août 2018 où Augustin Trapenard reçoit Amélie Nothomb.
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