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3,71

sur 168 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans cette fresque américaine de près de 800 pages, JCO nous livre un roman foisonnant et incroyablement complexe aux niveaux de lectures multiples. Écrit sous forme de travail de recherche par un historien de Princeton, le récit regorge de références multiples et de notes de bas de pages incroyablement fouillées et détaillées.

Nous sommes à Princeton, en 1905, et il se passe bien des choses étranges dans cette bourgade du New-Jersey. Il y a Annabelle Slade, enlevée au nez et à la barbe de ses invités et de son époux, le jour même de son mariage, par un certain Axson Mayte, qui pourrait bien être le diable en personne. Alors que le tout Princeton est terrassé par la nouvelle et que son frère, Josiah, part à se recherche, il apparaît que la disparition de sa soeur pourrait bien être le point culminant d'une série d'événements étranges et inexplicables. En parallèle, le lecteur suit Woodrow Wilson qui se bat bec et ongles pour garder sa place en tant que Président de Princeton, alors qu'un vent de révolte menace de le faire tomber de son piédestal. Pour finir, il y a également Upton Sinclair, jeune homme socialiste qui se prend à rêver de succès politique grâce à ses écrits engagés.

Au fil des pages, chacun des personnages évolue et se croise au gré des rencontres qui se font parfois écho entre elles. L'entreprise littéraire est titanesque et Joyce Carol Oates entremêle les codes des genres littéraires à la perfection. Ainsi, alors que le destin d'Annabelle a tous les attributs du roman gothique, les vies de Woodrow et d'Upton surfent, quant à elles, avec les codes du roman historique et social. JCO se joue de tout et de tout le monde et profite de son entreprise pour critiquer une société universitaire se croyant supérieure à tous, le racisme environnant, mais aussi la misogynie qui régnaient - et règnent encore - dans l'Amérique du XXe siècle.

C'est un roman immense, d'une grande intelligence… comme seule Joyce Carol Oates sait les écrire.
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Maudits est un livre incroyable, hors-norme et ambitieux autant sur le fond que sur la forme : Quelle portrait (sans concession) de l'Amérique ! Quelle langue !
A priori, je ne lis pas de livres de vampires ou d'histoires surnaturelles (mais comme toute règle a ses exceptions, j'avais adoré le magnifique Dracula de Bram Stoker et La nuit de Walpurgis étant adolescent, et depuis, à peu près rien... Sinon un vif souvenir du fantôme de Kafka sur le rivage).
Mais, plus qu'un ouvrage sur les fantômes ou les vampires, le livre de Carol Joyce Oates (CJO) est avant tout, me semble-t-il, une sévère critique sociale de l'Amérique puritaine du début du XXe siècle. le portrait qu'en dresse CJO est saisissant : femmes reléguées à l'hystérie, noirs traités comme des moins qu'humains, prolétaires écrasés sous le travail, l'Église (presbytérienne dans ce livre) ne servant qu'à justifier ces oppressions emboitées dont l'homme blanc est l'ultime bénéficiaire.
Concernant les femmes de la haute société de Princeton qui est le cadre (ô combien gothique !) du récit, elles sont tenues dans un état d'aliénation complet, avec l'approbation de la plupart d'entre elles, et mises à l'écart de tout débat politique comme des faits divers – autant de sujets unladylike (le mot m'a fait tilté).
Les ouvriers sont des esclaves dont la condition est voulue par Dieu comme le souligne cette mémorable citation du révérend Beecher (p. 246 dans l'édition Philippe Rey) : « Dieu a voulu que les grands soient grands et les petits, petits ; et l'ouvrier incapable de se satisfaire d'un dollar par jour, de pain et d'eau, ne mérite pas de vivre. »
Les Noirs peuvent, au mieux, atteindre la domesticité, on les moque, ils ne connaissent pas la neige, ils sont angéliques et débonnaires, on les considère comme des simples d'esprits. CJO étale tous les clichés d'un racisme chimiquement pur produit de l'élite du West End de Princeton, société hyper hiérarchisée sans autre espoir de sortie que la mort ou l'exil (au moins à New York comme le fait Wilhelmina Burr, l'une des rares jeunes femmes à s'affranchir de sa caste triomphante et rongée de l'intérieur par l'empilement de ses crimes.
Les scènes surnaturelles sont très intéressantes, on frisonne (le château des Marais), comme le reste du texte, ces pages sont magnifiquement écrites. La visite du « modèle de Sherlock Holmes » (sic) au Dr. van Dyck est inénarrable et terrifiante. le passage de Jack London (habité par un démon, littéralement forcené) est mémorable — on ne sait pas qui est habité par le diable dans ce livre aux très nombreux personnages. On le devine bien sûr. Certains maris, habituellement « aimables » virent à la folie complète et sont terrorisants (Coppelstone Slade face à sa femme, vaut bien le Jack Nicholson de Shining).
Pour autant, ce n'est pas tant le sujet qui fait la force de ce livre, mais sa forme. On est manifestement, quelques pages suffisent à s'en convaincre, face à un chef-d'oeuvre. le style est aussi travaillé que la psychologie et la description sociale. Ce n'est pas le tout d'avoir un bon sujet, il faut pouvoir lui donner forme et celle-ci me paraît grandiose.
Je n'avais jamais lu de livre de CJO, mais je qualifierai le style (et donc la traduction) de magnifique. En cours de lecture, on retourne vers ce livre pour se pâmer devant sa qualité. Je ne sais pas sur quel critère on élit les prix Nobel, mais rien qu'à lire Maudits, je me suis dit qu'il ne serait pas déplacé de l'offrir à cette autrice qui fait du grand art.
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JCO est un écrivain fantastique, elle écrit plus vite que son ombre et me laisse à chaque fois muette devant son talent. Je ne sais pas comment elle fait (elle ne doit pas dormir la nuit), mais quel bonheur pour la lectrice acharnée que je suis.
Une nouvelle fois, JCO renoue avec la veine gothique déjà présente dans BLOODSMOOR, BELLEFLEUR ou LES MYSTERES DE WINTERHURN et on retrouve le souffle des écrits de Mary SHELLEY, de Bram STOKER ou des soeurs BRONTOE.
Le roman se déroule à Princeton, site universitaire, que l'auteur connaît bien pour y être enseignante, où se déchaîne des meurtres, morts violentes, disparitions mystérieuses au cours des premières années 1 900. Et par le biais de ces évènements, on découvre une multitude de personnages allant des universitaires (président et élèves) en passant par la bonne société bourgeoise et soumis à la religion, aux noirs affranchis, mais toujours esclaves et en butte au KLU KLUX KLAN, aux jeunes socialistes idéalistes comme Upton SINCLAIR ("Pétrole" est un superbe roman transposé à l'écran sous le titre "There will be blood" par Pau Thomas Anderson), Jack London, en aventurier gonflé comme une outre, "légèrement" fasciste sur les bords (la légende en prend un coup), Mark Twain, roublard et dandy le tout sur fonds de vampirisme (quoi que, possession serait plus juste peut être) et d'oeil dans la tombe qui regardait Caïn. Une merveille de roman dont on arrive à la fin, triste pour mon cas, car lorsque le plaisir s'arrête, c'est très dur ...
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Je viens de terminer la lecture de "Maudits" de Joyce Carol Oates, auteure prolifique que j'aime beaucoup. Etant habituée à lire des romans d'elle qui sont d'une veine plus sociale, comme le magnifique "Nous étions les Mulvaney", j'ai été surprise par ce livre. Princeton, 1905. La prestigieuse université est présidée par Woodrow Wilson qui craint qu'on ne lui vole son poste prestigieux. Autour de lui vivent plusieurs familles puissantes et bien sûr, des étudiants. Conscients de représenter l'élite d'un pays, les "princetoniens" du livre ont les préjugés de leur temps : les noirs, libérés de l'esclavage, ne sont pas des êtres à part entière, les femmes sont par essence d'une nature faible qui les rend inaptes à la vie politique, l'éducation des jeunes filles de la bonne société est stricte et tout mouvement social reflétant des revendications ouvrières est insalubre. le décor est planté et le Mal peut s'introduire. Il frappe particulièrement la famille du pasteur presbytérien Slope qui perd ses trois enfants. le diable prenant tantôt une apparence masculine tantôt une apparence féminine, personne n'est à l'abri. le mari se retourne contre sa femme, la femme contre son mari, les enfants sont déchirés et, sous forme d'apparitions fantomatiques, de voix intérieures ou d'immondes serpents, le mal pervertit et détruit. En parallèle, le personnage d'Upton Sinclair, qui défend des idées socialistes semble, bien que sa vie soit difficile, exempt de toute attaque du Malin...
Dire que j'ai saisi dans son ampleur le propos de Joyce Carol Oates serait mentir. Je lis souvent ses livres deux fois. Remarquablement construit, le livre alterne les points de vue et les options. Il peut être tantôt réaliste tantôt fantastique. A ce titre, le récit fait des vacances aux Bermudes où des enfants meurent d'être attaqués par des méduses, est époustouflant comme le sont les deux passages sur l'enfer. Celui que rencontre Annabel Slope quand elle est envoûtée et celui dans lequel déambule de son plein gré le jeune Todd Slope. Ne serait-ce que pour ces incursions dans le Fantastique et le Gothique, le roman mérite d'être lu. Mais il existe bien sûr de nombreuses autres raisons de le faire.
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Difficile d'écrire une chronique sur un livre aussi dense et riche...
De Joyce Carol Oates, je n'avais lu que Délicieuses pourritures, qui, si je me souviens bien, ne m'avait pas emballée plus que cela, mais là c'est tout autre chose. J'ai le sentiment d'avoir effectué une longue et captivante plongée dans un immense roman gothique.
On y trouve les caractéristiques du genre : la malédiction d'abord, celle qui frappe la communauté de Princeton en cette année 1905, avec l'apparition de créatures maléfiques et autres manifestations surnaturelles, une atmosphère poisseuse et effrayante, un royaume tout entier dédié à l'horreur la plus totale, des personnages au bord (voire davantage) de la folie. Ce roman constitue aussi une virulente critique de la société puritaine et bourgeoise américaine du tout début du 20e siècle ainsi que de la religion. Inégalités sociales, racisme, misogynie sont dévoilés dans toute leur ignominie et perversité.

Il me semble que la grande force et habilité de l'auteure est de parvenir à insérer tous ces éléments fantastiques dans un récit soi-disant historique. le narrateur - antipathique dès le départ - et qui intervient régulièrement dans le récit, est présenté comme un historien ayant à coeur de retracer les faits en s'appuyant sur tout un tas d'archives et documents personnels. Sont aussi présents des personnages ayant réellement existé. On trouve ainsi, entre autres, Woodrow Wilson, président de l'université de Princeton (qui deviendra président des Etats-Unis), Upton Sinclair écrivain socialiste, auteur de “La Jungle”, et Jack London (présenté ici sous un visage fort peu sympathique...).

Mais il est impossible d'évoquer tous les différents aspects de ce roman, tant ils sont nombreux. Je pense d'ailleurs être forcément passée à côté de certains et je le relirais bien, si je n'étais découragée par la taille de l'ouvrage (plus de 800 pages quand-même).
Un roman dont je conseille donc la lecture. Attention cependant, mieux vaut prévoir du temps et une certaine attention, ainsi que l'envie de se plonger dans un univers déroutant.
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Que dire ?...
C'est un pur chef-d'oeuvre, hors norme.
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J'ai adoré mais même avec du recul, je l'ai lu en juin, je me demande si mon impression est la bonne.
En effet, j'ai tendance à le voir comme une petite fin du monde à échelle locale, nous sommes début 1900 quoi de mieux qu'un changement de siècle pour apporter son lot d'inquiétude quand au futur.D'un côté, il y a l'ancien monde avec ses coutumes, ses conventions, son puritanisme et ses secrets. de l'autre, il y a ce nouveau monde représenté par les jeunes, par un Jack London trés désabusé, un Upton Sinclair plein d'espoir et des jeunes filles qui cherchent à s'émanciper de l'autorité masculine.Tout ce petit monde se retrouve pris dans la tourmente après la disparition d'un des personnages. Ils sont pris d'hallucinations, de visions qui pourraient aussi bien être leur conscience qui les travaille. Quelques uns des plus jeunes vont se retrouver dans un monde intermédiaire apparenté à l'Enfer et en réchapperont. Beaucoup de personnages agés vont disparaitre, laissant la place aux plus jeunes qui vont changer les codes et former un monde plus humain.
Malgré une difficulté à entrer dans l'histoire, une bonne centaine de pages, Joyce Carol Oates fait partie des auteurs que je découvre et que j'ai envie de mieux connaître, j'ai gardé un excellent souvenir de la fille du fossoyeur. Donc si vous êtes ouvert à tout et doté d'une grande curiosité ce livre est pour vous.
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The Accursed
Traduction : Claude Seban

ISBN : 9782757832271

Le grand Stephen King en est resté "baba" et, croyez-moi, il ne s'agit pas d'une critique de complaisance, bien loin de là. "Maudits" est peut-être d'ailleurs le livre que King rêve d'avoir écrit. On y retrouve une Joyce Carol Oates que l'on n'avait pas vue depuis longtemps aussi en forme, partant d'un thème fantastique (une mystérieuse "malédiction" qui aurait sévi, entre 1905 et 1906, dans la ville de Princeton et ses environs, Princeton dont le Directeur d'Université n'était autre alors que Woodrow Wilson, futur Président des Etats-Unis d'Amérique) pour nous dresser une fois de plus non pas le portrait des Etats-Unis mais, allant bien plus loin, avec une lucidité qu'on ne pourra que saluer avec respect, celui de la dégénérescence d'une société mondiale que le Mal et le Chaos dominent actuellement.

Comment Oates atteint-elle à ce miracle en nous donnant, comme point d'appui, une préface rédigée par le narrateur du roman, lequel fut, à sa naissance mais uniquement par certains "initiés", suspecté d'être un rejeton du Démon en personne (!!), puis en s'étalant à plaisir sur la lutte sournoise qui oppose un Woodrow Wilson dévoré par l'hypocondrie à son rival, le doyen Andrew West (qu'on suspecte de pratiques satanistes) avant de, après une entrevue capitale entre Wilson et son mentor, le Révérend Winslow Slade (dont la famille tout entière va bientôt entrer dans la tourmente de la "malédiction"), déployer tout son art pour nous dépeindre une Amérique à ses débuts mais qui se voit déjà, comme son président de l'époque, le flamboyant Teddy Roosevelt, en futur "gendarme du monde civilisé" ? Oui, comment s'y prend-elle tout en utilisant dans ce roman si inclassable, avec la maestria qu'on lui a connue dans ses plus grandes oeuvres (comme "Blonde" ou "Nous Etions Les Mulvaney" et j'en passe), à peu près tous les genres littéraires connus : du fantastique teinté de gore à une sorte de S. F. qui ne dit pas son nom (Cf. la fin, dont je ne veux rien vous révéler) en passant par la description fortissimo d'une Amérique où se croisent les extraits de journaux intimes et de confidences à demi-mots de femmes "malades" qui révèlent tant sur la sexualité puritaine de l'époque ; les bribes rêveuses de la vie d'un Upton Sinclair qui vient d'écrire "La Jungle" et dont le plus grand rêve est de rencontrer son idole, Jack London (la scène du restaurant, entre Sinclair, le Végétarien utopiste et London, le Carnivore opportuniste, atteint à des sommets où la réalité, le fantastique quasi lovecraftien et le désenchantement sont, pour moi en tout cas, du jamais vu en littérature sauf, peut-être, chez Boulgakov) ; les visions tantôt glauques, tantôt ensoleillées, tantôt irréelles ou franchement décalées d'un Princeton inquiétant puis d'un New-York qui commence à tordre ses tentacule avides dans tous les sens ; les réflexions, toujours présentes chez Oates, sur la Mort et son devenir ainsi que quelques meurtres inexpliqués commis par des notables sur l'un ou l'une de leurs proches ; une quadruple résurrection hallucinante et le non moins hallucinant manteau d'oubli que Princeton finit par jeter autant sur la "malédiction" et ses acteurs que sur la dissolution, dans le vent, dans l'air enfin purifié, de toute cette histoire qui, pour quiconque ne connaît ni le génie, ni l'univers de Joyce Carol Oates, risque de passer pour n'ayant ni queue, ni tête ?

Sous-jacente et précise, la réflexion politique et historique est d'une intensité, d'une amertume et d'une lucidité implacables. L'Homme n'est qu'un homme, nous dit l'auteur, oh ! doué de qualités certes mais qui écoute trop souvent ses défauts. Et c'est pour cela que les USA sont aujourd'hui ce qu'ils sont et, partant, que le monde est ce qu'il est. Pour autant, n'allez pas croire que Oates prenne parti pour une quelconque formation politique. Elle rejette seulement ce qu'elle tient pour injuste et immoral comme le Ku Klux Klan (tout en mentionnant, cependant, que, à ses débuts, le KKK n'avait pas la triste vocation devenue la sienne), l'opportunisme et l'argent qui mettent en place des politiciens qui se laissent vite corrompre et qui, de ce fait, corrompent ce qui les entoure et, ce qui est plus grave, perdent très vite le contrôle de ce qu'ils font, la sexualité et la place, toutes deux soumises, de la femme dans une société le plus souvent patriarcale, les excès que cela annonce déjà en 1905 et qui sévissent actuellement tant en la personne de ceux qui veulent à tout prix "voiler" la femme qu'en celle des "Fémens" et autres pseudo-féministes, les uns et les autres radotant à plaisir et ayant, eux aussi, perdu tout contrôle ...

Oh ! bien sûr, Oates nous jette en pâture un "Malin" (Axson Mayte) qui semble avoir vécu mille vies, possède mille identités et règne sur des Marais dignes d'Arkham, un "Malin" qui joue du sexe et de l'argent mais, très vite, on le perd de vue et l'on raccourcit son nom pour ne plus le désigner que comme le "Mal", ce mal éternel qui, Oates nous le certifie, ne remporte pas, lui non plus, tous les combats, mais qui se relève toujours, prêt à fomenter un nouvel incident, une nouvelle brouille, une nouvelle fâcherie définitive, un nouveau duel, un nouvel assassinat, une nouvelle déception, un nouvelle scission dans un parti qui promettait pourtant d'améliorer le monde, une nouvelle guerre, et une autre encore, et ...

Insaisissable, talentueuse, géniale même, n'ayons pas peur des mots, malicieuse aussi, pleine d'ironie mais tout autant de compassion, dotée d'un sens de l'Histoire particulièrement aigu et affiné, Joyce Carol Oates, qui reste l'un des plus grands écrivains engendrés par les USA (dans mon panthéon personnel, pour la seconde moitié du XXème siècle, elle se place immédiatement après le non moins fabuleuxPhilip Roth) représente à mes yeux une authentique "Citoyenne du Monde" en ce que ce terme présente de plus noble et de plus élevé.

Inutile donc, je crois, de vous préciser que je vous recommande très chaudement ce "Maudits" dont la chute magistrale symbolise une fois encore la méfiance de l'auteur envers la Religion mal comprise et mal appliquée. Toutefois, ce "pavé" de plus de 800 pages impressionnera peut-être les néophytes qui n'ont jamais lu cet auteur. A ceux-là, je conseillerai de commencer par "Délicieuses Pourritures" ou encore par "Hantise", merveilleux recueil de nouvelles de l'auteur, bref, par un texte plus court à moins qu'ils n'osent se risquer dans la vie de Marilyn Monroe, "Blonde, revue et corrigée par Joyce Carol Oates.

Quoi qu'ils fassent, il leur arrivera certainement d'être déçus par tel ou tel ouvrage - Oates se double d'une graphomane, ne l'oublions pas - mais quand ils en découvriront un qui parlera à leur coeur, qu'ils sachent qu'ils ne l'oublieront jamais.

Jamais. ;o)
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Bon, ça y 'est. C'est parti. Je m'attèle enfin à cette chronique. La chronique d'un pavé de 802 pages. Je ne vous cache pas mon appréhension avant de commencer la lecture et cette inquiétude était toujours présente au début du livre pendant les quarante premières pages, où les personnages et le style narratif de l'auteur prêtent à confusion. Et j'ai pris des notes, oui, car c'est dense, complexe mais intense! Une lecture qui n'est pas de tout repos et qui ne laisse pas de marbre.

La première chose qu'il faut savoir c'est que ce livre ne laisse pas le lecteur impassible. Il met en colère, surprend, effraie, émeut. C'est tout ce que l'on demande à un livre, n'est-ce pas ? A travers le regard et la plume vive et intelligente de l'auteur, nous retournons dans un passé trouble. En cela l'oeuvre de Joyce Carol Oates est une oeuvre qui va aux fondements de l'Amérique, qui en prend les racines et les tord et les entortille pour mieux transgresser les codes du roman et nous promener à gauche et à droite sans nous lasser.

Il y a des moments majeurs dans ce roman dont l'efficacité est indéniable et la puissance littéraire incroyable ! Ce que j'ai absolument adoré dans ce roman c'est que l'auteur se joue des codes de la chronique historique. Ce thème si bien utilisé dans des romans du mythe faustien chez Goethe et Thomas Mann que j'ai adoré étudier à la fac !

D'ailleurs le mythe faustien n'est pas bien loin. La tentation du Diable, du pacte avec le Diable, l'incompréhension face à la violence des hommes et l'homme face à ses péchés entrainèrent une lecture de la Bible très exigeante et déviant de sa source originale. Parlons des sources. Joyce Carol Oates est maligne. Elle nous entraîne, à travers l'enquête d'un pseudo historien, au coeur de l'Amérique des années 1900. Avec Woodrow Wilson et consorts à l'université de Princeton. Ce milieu universitaire qui ne se suffit plus à lui-même part à la dérive, à l'image même du Faust de Goethe ou celui de Thomas Mann, qui finissent dans le sectarisme et l'occulte (même si celui de Goethe se termine bien). C'est l'histoire d'une décadence américaine, d'un puritanisme outrancier, d'une religion qui ne regarde pas les "autres", les "différents", les Noirs, les faibles, les femmes, les gens de gauche, les pauvres... C'est l'histoire d'une société qui se délite petit à petit (et aujourd'hui mesdames et messieurs, l'Amérique hérite de Trump !). C'est l'histoire de la folie des hommes qui comme à la Renaissance et au Moyen Âge prêtaient des causes magiques et occultes à l'incompréhensible. "L'indicible" comme Joyce Carol Oates l'écrit.

Les personnages sont effrayants, truculents, drôles, émouvants, bizarres parfois. Elle a l'art de nous les faire adopter immédiatement malgré que la plupart soit des monstres...

On retrouve avec délectation des références gothiques dans la grande veine romanesque de l'Amérique. Des références anglo-saxonnes, telles que "La chute de la maison Usher" d'Edgar Allan Poe, avec ces marais qui entourent la demeure du royaume des Marécages où Todd Slade jouera une partie de Dames magistrale ! Des références au Prométhée grec mais aussi à celui plus moderne de l'oeuvre de Mary Shelley, avec un style narratif semblable de mise en abîme. L'auteur se joue aussi des enquêtes du célèbre détective Sherlock Holmes en le faisant "apparaître" dans ce roman, quel plaisir ! On retrouve des références à Jane Eyre et à son Mr Rochester, lecture de femme pour les femmes à l'époque... mais aussi des thème de la Renaissance: le style narratif de la chronique historique, les thèmes de l'occulte, de la magie noire, du puritanisme (comme autrefois Luther contre le Pape catholique), les thèmes de l'hermétisme et du secret, le thème donc faustien dont j'ai parlé ci-dessus, la question philosophique néo platonicienne de l'essence de l'être et du savoir.

Et puis il y a cette malédiction. Qui traîne et traîne tout au long du livre, emportant avec force et démonstration tous les personnages un par un vers la folie ou la mort. On retrouve des aspects de la société de l'époque qui nous frappent aujourd'hui tant ils paraissent arriérés : le traitement des femmes (quasi toujours hystériques, des objets et des ventres pour enfanter), le fait qu'à cette époque un homme qui enlevait une femme pouvait ruiner sa réputation et celle de sa famille entière (un peu à l'image de ce qui arrive aux Bennet de Jane Austen). Mais ce qu'il y'a de bien dans ce roman c'est qu'il contient l'essence de l'Amérique: si tu tombes tu te relèves et ça n'est pas une "malédiction" qui fera chuter l'élite américaine, non. Tout finira par renaître de ses propres cendres. L'Amérique ou le symbole du phénix.

Le style de l'auteur est parfait, passant du narrateur fictif historien, érudit, au journal intime d'une dame un peu parano, en passant par la correspondance écrite d'autres membres importants de Princeton ou encore dans la retranscription de documents divers et variés, avec les codes de la mise en forme du texte de la transcription des véritables historiens (ça m'a rappelé mes propres études!!). L'esthétique du roman est pour une grande part dans la réussite de cette oeuvre gigantesque.

L'excitation arrive à son paroxysme à la fin du roman. Les derniers "chapitres" sont de véritables "page-turners" et en un tour de main, l'auteur nous emmène là où on ne s'attendait pas à se retrouver!

Ce roman est un chef d'oeuvre. Surtout pour moi qui ai fait des études de littérature et civilisation anglaises et des études d'histoire de la Renaissance, j'ai franchement adoré. Ce qui n'est pas "raisonnable" suscite toujours à travers les âges le mystérieux et la magie, et cela l'auteur l'a très bien retranscrit. Dans ce roman nous sommes en 1900 et des poussières, mais on a vraiment l'impression d'être à la fin du Moyen Âge, dans l'obscurantisme total (vous savez le Ku Klux Klan et compagnie...), avec toujours cette kabbale, cette recherche métaphysique, cette quête inépuisable de l'homme pour atteindre "Dieu" ou plutôt pour être et exister pleinement sur cette Terre cruelle et sauvage.

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Je ne sais plus chez quel lecteur de Babelio j'ai repéré ce livre, mais merci infiniment pour cette découverte !
Sous la plume d'un "historien amateur", qui tente de analyser et possiblement résoudre la suite des événements étranges et tragiques connus sous le nom de "La malédiction de Crosswicks" commence à apparaître peu à peu un portrait extrêmement dense et sans fard de toute la société américaine des débuts du vingtième siècle. Aucune classe sociale n'y est épargnée, ni l'aristocratie décadente avec ses préjugés victoriennes, ni la classe ouvrière émergente avec ses idées révolutionnaires pour changer le monde.
Un roman-mosaïque qui met en scène les personnages connus et moins connus de l'époque, hommes politiques, écrivains, médecins, charlatans, subtilement entraînés dans la relation avec le Malin; dosage tantôt très discrète, tantôt toutes les vannes ouvertes. On peut passer de la réunion de la partie socialiste directement au terrible royaume des marécages rempli des cadavres putrescents et cela ne nuit en rien au charme de ce livre qui est vraiment un mélange incroyable des styles littéraires et où les références sont légion. Un vrai régal !
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