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Rose-Marie Makino-Fayolle (Traducteur)Maya Morioka-Todeschini (Traducteur)
EAN : 9782253933755
224 pages
Le Livre de Poche (15/03/2003)
4.26/5   46 notes
Résumé :
C'est un portrait terrible de la guerre et de ses ravages que nous livre Shohei Ôoka dans ce roman considéré comme un des chefs-d'œuvre de la littérature japonaise de l'après-guerre. Car le drame de Tamura, simple soldat et intellectuel dans le civil, envoyé dans la jungle des Philippines, où il rencontre la solitude, la faim, la peur et finalement sa propre folie, ne concerne pas seulement les Japonais ; ce drame symbolise de manière universelle la tragédie de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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« Je reçus une gifle. » C'est la 1ère phrase du roman de Shohei Ooka. C'est aussi ce que ressens le lecteur qui arrive à la fin des « feux ».

« Les feux » n'est pas un roman de guerre comme les autres. D'ailleurs peut-on vraiment le qualifier de roman de guerre. Les combats ne sont pas au coeur de l'intrigue. Il faut dire que le récit prend comme contexte la déroute de l'armée japonaise dans les Philippines après la défaite de Leyte en 44. Il y a très peu d'action dans « les feux », le roman est assez contemplatif et, en adéquation avec ce que vit son personnage principal, ressemble à une errance. Très inspiré de ses souvenirs personnels, Ooka livre un roman très singulier, étrangement poignant.

« Les feux » offre une lecture très particulière. C'est une expérience très sensorielle. Si parfois Tamura pense, réfléchit, la plupart du temps il n'est qu'un corps, quasiment réduit à une forme d'animalité. Il s'agit ici de survivre, et dans des conditions extrêmes la survie de l'esprit est conditionnée par la survie du corps. La faim, terrible, intense, qui creuse les joues et le ventre, qui conduit à la folie, est le véritable ennemi, la principale préoccupation.
Tout au long du roman, il est beaucoup question des corps, des sensations physiques. D'ailleurs, l'auteur utilise énormément les mots relatifs aux sens : voir, entendre, sentir… S'il place le corps, dans tous ses aspects même les plus triviaux, au centre du récit, « les feux » est un roman qui a du coeur et de l'esprit. En parlant des corps, celui de Tamura, mais aussi ceux des autres, morts ou mourants, Ooka parvient à parler de l'âme humaine.

Le lecteur est amené à réfléchir, notamment à s'interroger sur la responsabilité individuelle dans un fait collectif. S'il n'apporte pas de réponse, Ooka pose la problématique de façon brillante. Mais si l'intellect du lecteur est stimulé, le roman touche d'abord au coeur et aux tripes. On est constamment collé aux basques de Tamura, on ne le quitte jamais, partageant son errance, sa solitude, ses souffrances. le premier sentiment qu'éprouve le lecteur c'est la compassion la plus entière. Face à tant de douleurs et de souffrances, on pardonne tout à Tamura, même le pire.

« Les feux » est plus qu'un roman qui traite de la 2nde Guerre Mondiale vue du côté des japonais, « les feux » est un roman au propos universel. C'est de toutes les guerres qu'il est question. Qu'il soit du « bon » ou du « mauvais » côté, vainqueur ou vaincu, le soldat est un soldat, un Homme confronté au pire de l'Homme, confronté au pire de lui-même aussi.

Je remercie Babelio et les éditions Autrement pour m'avoir permis, dans le cadre de la masse critique, de découvrir une oeuvre si puissante. « Les feux se hisse au niveau des plus grandes oeuvres antimilitaristes.

Tout bien réfléchi, « les feux » n'est pas un roman qui fout une claque, c'est un roman qui saisit le lecteur et, petit à petit, resserre son étreinte de plus en plus fort, jusqu'à l'oppresser, le faire suffoquer. C'est encore plus fort qu'une gifle.
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Dans l'imagerie populaire, le combattant japonais de la seconde guerre mondiale est l'héritier du samouraï. Il ne craint pas la mort, il consent au sacrifice de sa vie pour servir son pays. Au déshonneur, il préfère le suicide. le soldat du roman de Shôhei Ôoka, Tamura, est tout le contraire. L'anti-héros parfait. Il est couard, égare son fusil, assassine une pauvre femme sans mesurer la gravité de son acte, se cache quand les balles sifflent et fait peu de cas de son Empereur. de toute façon, la mort se refuse à lui. Elle le poursuit sans jamais l'atteindre, de l'hôpital en feu où il demande asile jusqu'aux rivages bombardés par l'aviation américaine. Ça fait de lui un zombie parmi les cadavres en décomposition de ses camarades et les paysages calcinés. Là réside le paradoxe. Plus il survit, plus il souhaite mourir et moins son périple lui en donne l'occasion. Serait-il l'envoyé de Dieu ? Dans quel but ? Tamura interroge le ciel embrasé, les animaux qui fuient, les plantes qu'il dévore – il se confronte au vivant et fait ce constant terrifiant : je ne mérite pas ce monde. Beaucoup de scènes m'ont rappelé le film de Terence Malik, la ligne rouge, quand le soldat fait corps avec la nature et que les hommes (les ennemis) l'en délogent. C'est un livre dont le titre rappelle aussi le chef d'oeuvre d'Henri Barbusse. Il en est proche, notamment dans l'implacable description du processus de déshumanisation des soldats confrontés aux horreurs des combats. Dans ce roman, la négation de l'homme, a le visage du cannibalisme. L'innommable, dans cette guerre-là, c'est de manger son prochain. Tamura en sera marqué pour le restant de ses jours. Tout comme la lectrice que je suis.

Bilan : 🌹🌹
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Première partie d'une chronique portant aussi sur les deux adaptations cinématographiques du roman : http://nebalestuncon.over-blog.com/2019/03/les-feux-de-shohei-ooka/feux-dans-la-plaine-de-kon-ichikawa/fires-on-the-plain-de-shinya-tsukamoto.html

Je vais retenter la même expérience que pour Narayama il y a quelque temps de cela, en chroniquant en même temps un roman japonais, en l'espèce Les Feux (Nobi 野火) d'Ôoka Shôhei, datant de 1952, et ses deux adaptations cinématographiques japonaises, tout d'abord Feux dans la plaine, d'Ichikawa Kon (1959), et ensuite, bien plus récente, Fires on the Plain, de Tsukamoto Shinya (2014).



Et attention, les gens : si parler de SPOILERS est à vue de nez un peu étrange pour ce roman et ces films, je vais, dans cet article, révéler des éléments cruciaux du récit – alors à vous de voir…



À l'origine, il y avait donc un livre : Les Feux, roman d'Ôoka Shôhei, paru en 1952, et qui a considérablement marqué la littérature japonaise de son temps en envoyant aux orties un certain nombre de tabous. C'est que l'auteur y revenait sur son expérience de la guerre, et des atrocités qui lui étaient liées. Or, à cette époque, c'était là un sujet très difficile à traiter au Japon : les Japonais n'étaient guère disposés à revenir sur ce qui, pour eux, avait constitué une humiliante défaite, et encore moins enclins à mettre dans la balance les crimes commis par l'armée japonaise, en son sein mais plus encore contre les populations conquises (à vrai dire, sur ce point, c'est toujours compliqué aujourd'hui...) – et, durant les années qui ont suivi immédiatement la capitulation, les autorités d'occupation américaines préféraient de même que l'on évite de traiter de certains sujets jugés trop noirs et dangereux en étant tournés vers le passé, là où il valait bien mieux « construire ensemble » un avenir plus lumineux et démocratique : la censure pouvait donc se montrer très sévère.



Ôoka Shôhei, critique et spécialiste de la littérature française (notamment De Stendhal), a combattu sur le front : il a été appelé courant 1944, alors que la situation était déjà catastrophique pour le Japon depuis bien deux ans, et, après une formation hâtive, il a été envoyé sur le théâtre d'opérations philippin, qui devait sceller le sort de l'armée japonaise : fin 1944, début 1945, les Américains et les partisans philippins emportent la bataille terrestre sur l'île de Leyte, tandis que la flotte japonaise est anéantie durant la bataille dite du golfe de Leyte – la plus grande bataille navale de l'histoire.



Là-bas, Ôoka Shôhei, comme tant d'autres de ses compatriotes (pensez à ce que raconte Mizuki Shigeru dans les tomes 1 et 2 de Vie de Mizuki, par exemple), subit un véritable enfer et assiste à des atrocités sans nom. Il erre dans la forêt, seul, pendant des dizaines de jours, avant d'être capturé, en janvier 1945, par les Américains, et envoyé dans un camp de prisonniers – il ne rentrera au Japon qu'à la fin de 1945.



L'expérience avait constitué un véritable traumatisme – et, exceptionnellement, l'emploi de ce terme n'est pas une figure de style, ainsi qu'on aura l'occasion de le voir. Ôoka ressent le besoin de parler, de témoigner, dans un contexte qui, on l'a vu, n'y était pas très favorable. C'est le moteur de sa carrière littéraire : à la suggestion d'amis, mais aussi semble-t-il de son psychiatre, il rédige ses mémoires, Journal d'un prisonnier de guerre, ce qui lui impose de jongler avec les sentiments de la censure américaine. Un premier roman, sur un tout autre sujet, La Dame de Musashino, lui vaut également l'attention de la critique. Mais il n'en a pas fini avec la guerre, et, en 1952, il publie donc Les Feux, qui revient sur son expérience aux Philippines ; il s'agit cette fois d'un roman, pas de mémoires, mais les traits autobiographiques sont nombreux, personne n'en doute. Et le livre fait l'effet d'une bombe, si j'ose dire : Ôoka y dénonce frontalement les méfaits du commandement impérial qui avait totalement abandonné ses soldats sans le moindre ravitaillement, les amenant par la force des choses à perdre toujours un peu plus leur humanité, jusqu'à franchir la ligne rouge – celle… du cannibalisme. le réquisitoire est impitoyable, et ce d'autant plus qu'il sonne vrai, même sous sa forme romanesque ; il en résulte un tableau proprement terrifiant, une condamnation sans appel des horreurs de la guerre et des crimes de l'armée japonaise.



Le roman met en scène un soldat du nom de Tamura, qui souffre de tuberculose – une mauvaise idée, sur le front… Son supérieur, le jugeant incapable de se montrer utile, l'en rend responsable, et le chasse pour qu'il retourne à l'hôpital de campagne qui l'avait pourtant renvoyé, avec de maigres rations – mais on le chasse également de l'hôpital… Alors il n'a que se suicider ! Il a bien une grenade, qu'il s'en serve, c'est le seul moyen pour lui de se montrer utile à son pays ! Autant dire que ça commence bien…



Mais l'hôpital est bombardé, et Tamura contraint d'errer seul dans la jungle. Puis, attiré par la croix surmontant un clocher, il arrive dans un village abandonné, et y trouve quelque chose de très précieux : du sel ! Hélas, c'est le moment que choisit un couple de jeunes Philippins pour retourner au village – et, sous le coup de la panique, Tamura abat la femme ; l'homme prend la fuite, et il ne fait aucun doute qu'il va chercher les partisans – qui effrayent les soldats japonais bien plus que les soldats américains : les guérilleros philippins entendent leur faire payer les rigueurs de l'occupation… Et c'est à cela que renvoient ces « feux dans la plaine » : des fumées qui s'élèvent çà et là, dont les soldats japonais ne comprennent pas très bien le propos, mais qu'ils sont portés à envisager comme un moyen de communication employé par les partisans – ces feux sont une menace permanente, d'autant plus terrifiante qu'elle est impalpable…



Les errances solitaires de Tamura, qui a abandonné son fusil par dégoût, sont interrompues par la rencontre d'autres soldats japonais, qui l'informent qu'ils doivent traverser l'île et se rendre à Palompon pour y continuer le combat – mais atteindre cette destination implique de franchir les lignes américaines, autant dire que c'est du suicide…



Et la situation est rendue plus terrible encore par la faim omniprésente. L'armée japonaise ne s'est jamais montrée très généreuse avec ses soldats, pour ce qui est des rations – mais, à ce stade du conflit, elle les a tout bonnement abandonnés… Il n'y a aucun ravitaillement : les soldats de l'empereur sont supposés vivre du terrain, Demerden Sie sich autrement dit, et la situation est toujours plus catastrophique…



La faim est le motif central des Feux – et son moteur, et un outil métaphorique de choix. Tout y renvoie à la faim – et ce dès le tout début du roman comme des films, avec ces bien maigres rations, de patates douces ou de manioc, qui sont censées « acheter » une place temporaire à l'hôpital ; de même quand Tamura tombe sur un Philippin en train de cuisiner, ou trouve le sel dans le village, etc.



Mais ce thème à la base très dur devient plus sombre encore à mesure que la menace du cannibalisme est introduite dans le récit. Dans les premières occurrences, notamment quand Tamura rencontre un petit groupe de trois soldats très intéressés par son sel, cela sonne comme une mauvaise blague – un peu inquiétante d'ores et déjà, cela dit : cela semble beaucoup amuser le caporal que de faire trembler Tamura en lui racontant que son groupe, pour survivre en Nouvelle-Guinée, a bien dû recourir à la consommation de chair humaine… Mais chaque nouvelle mention du cannibalisme sonne plus concrète que celle qui précède, et la mauvaise blague n'a très vite plus rien de drôle. Ainsi quand Tamura tombe sur un soldat devenu fou, et emporté par une crise mystique bouddhique (nous verrons que Tamura n'est pas insensible à ces pensées, même si, dans son cas, c'est la mystique chrétienne qui l'emportera), qui lui offre de le manger une fois qu'il sera mort…



Et le cauchemar devient toujours plus matériel. Lors de ses pérégrinations, seul ou en groupe, Tamura ne cesse de recroiser les mêmes deux personnages : Yasuda, un vieux bonhomme cynique à la jambe cassée, et Nagamatsu, un jeunot naïf que le précédent exploite sans vergogne – Yasuda a accumulé une réserve de tabac, que Nagamatsu (peu doué…) est supposé échanger contre du manioc ou des patates douces. Mais, lors de cette ultime rencontre, les choses ont changé – c'est qu'ils ont à manger ! Yasuda a appris à Nagamatsu comment chasser « les singes »… et Tamura ne se fait guère d'illusions sur ce que cela signifie : Nagamatsu chasse des êtres humains, des soldats japonais ! L'ultime ligne rouge a été franchie, la déshumanisation est totale… Et double, en fait, car cela s'applique aussi bien au prédateur, qui abandonne de lui-même son humanité, qu'à la proie, hypocritement animalisée par cette désignation de « singe ». Or la confiance ne règne pas entre les trois soldats, en toute logique, et tout cela s'achèvera dans une tuerie…



Mais, ici, le roman et les films (surtout celui d'Ichikawa Kon) se concluent de manière très différente. le roman, en effet, se termine par un épilogue assez développé, quelques années plus tard : Tamura est dans un hôpital psychiatrique, où on le soigne en raison du véritable traumatisme qu'il a vécu sur Leyte – on le voit, le mot n'est pas employé gratuitement ici, c'est bien d'une pathologie psychiatrique qu'il s'agit. Ce traumatisme affecte la mémoire de Tamura, qui ne sait plus très bien ce qui s'est passé « à la fin », en même temps que le souvenir de la femme qu'il a tuée continue de l'obnubiler.



Mais l'esprit malade de Tamura a eu recours à un moyen un peu tordu pour lui permettre de « survivre » et de composer avec les atrocités qu'il a vécues. Lui, « l'intellectuel », qui dissertait sur Bergson durant ses errances solitaires, mais tout autant théologie, après son expérience dans l'église, a développé une sorte de complexe messianique d'inspiration essentiellement chrétienne (avec quelques traits bouddhiques cela dit – notamment concernant le respect de tout le vivant, animal ou végétal, qu'il ne faut pas tuer pour manger), doté d'une symbolique forte qui englobe aussi bien la croix que les feux des partisans, dont la signification devient en quelque sorte apocalyptique, un délire dans lequel l'idée de l'eucharistie se teinte de nuances forcément plus sombres au regard des pratiques cannibales des soldats japonais abandonnés. La foi et la faim sont ainsi imbriquées jusqu'à la folie obsessionnelle, et Tamura halluciné se figure tantôt en ange exterminateur, tantôt en ascète, tel un bouddha christique porteur de la bonne parole de la faim ; écrire doit lui permettre de ramener du sens dans son passé traumatique et absurde…



Les Feux est un roman très éprouvant – on conçoit bien à quel point ce livre, en 1952, dans un contexte où le Japon refusait de se repencher sur son passé immédiat (ce qui confère d'ailleurs au traumatisme de Tamura une signification supplémentaire), ce livre donc a pu produire un tel choc. Il a contribué, avec d'autres, à libérer la parole des conscrits – ces jeunes gens qui, au nom du fantasme impérial, et au travers de mille mensonges de l'élite militaire, ont vécu sur le terrain un véritable enfer. S'il n'adopte pas les atours d'un pamphlet, le roman d'Ôoka Shôhei n'en dénonce pas moins les impostures de la guerre comme du nationalisme, avec la force de la colère et de la honte : il n'y a rien d'héroïque dans la guerre, qui n'est qu'une entreprise de déshumanisation poussée jusque dans ses extrêmes limites – et même la franche et fraternelle camaraderie du front, tant vantée dans quantité de romans, de BD, de films ou de séries pas avares de clichés et de flonflons, cette idée naïve et creuse à la Band of Brothers, sonne en définitive comme une mauvaise blague, quand votre semblable s'interroge sur la possibilité de vous manger pour survivre, ou, pire encore, quand c'est vous-même qui vous posez la question quant à votre semblable.



J'ai trouvé très intéressante, par ailleurs, la manière dont Ôoka traite du thème du traumatisme – et, pour le coup, de manière assez visionnaire, anticipant notamment sur quantité de récits portant sur la guerre du Vietnam, mais en posant la question frontalement, au travers de cet épilogue tout dédié aux considérations psychiatriques liées à l'expérience militaire. Or cette dimension est totalement absente du film d'Ichikawa Kon, et seulement allusive dans celui de Tsukamoto Shinya.



Mon regret, ici, porte sur une traduction parfois pas tout à fait à la hauteur (la première traduction de ce roman était semble-t-il bien pire, mais, concernant Rose-Marie Makino-Fayolle, que j'ai souvent lue traduisant Ogawa Yôko notamment, le niveau m'apparaît globalement très variable), et un texte pas ou mal relu, avec de nombreuses coquilles, dont un certain nombre qui semblent provenir d'un OCR imprécis. C'est dommage, même si le plaisir de lecture demeure…
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Tamura n'est qu'un simple soldat, engagé dans un conflit perdu d'avance, dans une guerre qu'il ne comprend même pas. Il se demande pourquoi il se retrouve au milieu de cette jungle philippine. La fin de la seconde guerre mondiale est proche, les forces japonaises sont en déroute sur ces îles philippines. Atteint du béribéri, Tamura est rejeté de sa compagnie. Ses chefs le somment de rejoindre l'hôpital militaire basé sur cette île et l'interdisent formellement de revenir au sein de sa compagnie. Sans nourriture à proposer, Tamura est tout simplement rejeté de l'hôpital. Il se retrouve donc abandonner, seul sur cette île. Il devra errer à la recherche de compagnons de (in)fortune, à la recherche de quelques misérables victuailles pour survivre. Une quête va débuter pour ce simple soldat : celle de l'humain fermement décidé à survivre dans un environnement hostile, celle d'un jeune homme inéluctablement marqué à tout jamais par toutes les horreurs d'une guerre qui posent un cruel dilemme ; vaut-il mieux survire ou mourir en ces lieux si sombres, si miséreux ?

Ce roman de Shôhei Ôoka a longuement « traîné » au milieu de ma bibliothèque. Une impulsion indéfinissable m'avait poussé à acquérir ce livre, mais une fois en ma possession, j'ai pris mon temps avant d'oser l'ouvrir. Une peur m'avait envahi, celle de trouver une histoire trop réfléchie, trop cruelle, trop « crue ». Il m'aura fallu plus d'un an pour trouver le courage de m'investir dans les mémoires de ce jeune Tamura. A la fin de ce roman, je comprends mieux la bivalence de mes sentiments : attrait et répulsion, tel est la dualité de mon esprit à ce moment-là.

Le drame de Tamura est celui d'être né Homme. L'humanité, dans toute son horreur, est présentée ici de manière extrêmement cruelle. Rien ne sera épargné au lecteur, mais après tout, qu'est-ce que la guerre ? le massacre d'êtres humains, les charniers au détour d'une colline, la faim, la soif, la solitude, la peur : les images sont fortes et extrêmes, les odeurs sont puissantes et tenaces. Bien que présentes dans l'esprit de ce jeune soldat, les hallucinations ont ce côté « imaginaire », mais est-ce réellement des hallucinations ? Il a peur de mourir, mais encore plus peur de vivre et de découvrir toutes ces horreurs.

Jamais un roman m'avait autant bouleversé. Je ne suis pas loin de la nausée, le coeur bien accroché à mon estomac, prêt à rendre toute la bile qui me reste. La guerre est certes une tragédie, mais ce roman l'est bien plus. Il s'enfonce encore plus loin dans les réflexions sombres sur l'âme humaine, à savoir le cannibalisme. Voilà, le mot est lâché... Dois-je me sentir soulager d'en parler ? L'Homme est barbare et la survie de chaque individualité l'est encore plus. Au nom de quoi ? au nom d'une guerre orchestrée par quelques puissants et au détriment d'un peuple...
Lien : http://leranchsansnom.free.fr/
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Ce roman traite du sort des soldats japonais pendant la seconde guerre mondiale, abandonnés sur une île des Philippines après la bataille de Leyte fin 1944. Ces soldats se retrouvent sans perspectives de renforts et sans aide du commandement impérial. Certains de ces hommes seront contraints au cannibalisme (anthropophagie plutôt) pour survivre.



On trouve un aspect historique à ce roman ( dont une part est autobiographique) concernant les horreurs de la guerre, mais aussi une dimension morale, humaniste d'un homme qui affronte la folie et la barbarie

Aspect historique : le déroulement se situe pendant la guerre du Pacifique, après la défaite de Leyte, dans les Philippines, (dura du 17 octobre 1944 au 31 décembre 1944 ) la chute des forces impériales japonaises. Nous sommes en plein dans la déroute des forces japonaises. Sans aucun secours médical, support logistique, et sous un commandement qui cherche surtout à garder en vie les hommes encore valides ("On n'a pas de quoi nourrir les bouches inutiles. Retourne à l'hôpital. S'ils ne te laissent pas entrer (...) Et s'ils s'entêtent à ne pas vouloir de toi... Alors, crève ! C'est le dernier service que tu peux rendre à la nation" ). Ils cherchent alors à regagner Palompon pour se regrouper et se faire rapatrier. Mais la route est coupée par les forces Américaines. Devant faire face également aux Philippins (qui ont soif de vengeance face aux exactions commises contre les populations), ils se cachent pour survivre. Ils vont alors en venir aux pires extrémités, des actes horribles afin de survivre.

Aspect humain et psychologique :

Le narrateur se nomme Tamura, c'est un soldat de première classe, intellectuel dans le civil. Son récit sera celui de la tragédie des soldats en déroute, isolé dans la jungle.

On suit alors Tamara qui effectue une plongée vertigineuse dans la folie et dans les tréfonds de l'âme humaine. le déclencheur est la rumeur des soldats de Guadalcanal qui ont mangé de la chair humaine, cela déclenche la curiosité de Tamara : est-ce la réalité ? Son subconscient combat cette idée. Après le meurtre de la jeune philippine, qui peut être considéré comme un crime de guerre, il s'enfonce dans la culpabilité cachant son acte, se sentant observé par l'âme errante de la victime. Est-il effectivement un élu ayant le pouvoir de vie ou de mort ?

Isolé, pas complètement car il y a dieu et/ou sa conscience qui sont présents d'abord sous la forme d'un croix surplombant la plaine, d'une église dont les marches sont remplis de cadavres. Puis un fou sur le point de mourir lui offre la faveur de manger son bras amaigri - "faveur qui agissait comme un interdit sur son estomac affamé", puis l'image de ce bras "Il me rappela le bras tendu de Jésus crucifié que j'avais vu dans le village au bord de la mer". Dans cannibalisme on distingue un geste de désir naturel ou pas ? Un acte de communion "Ce­lui qui mange Ma chair et boit mon sang demeure en Moi et Moi en lui.". Il ne pourra manger le bras du fou, mais par contre sans trouver de culpabilité boira le sang des sangsues et arrivera à manger du singe et de sa chair blessé. Il restera une part d'inconnue ayant perdu partiellement sa mémoire...Dans l'exergue du roman une citation "Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort" le psaume 23:4 de david .... dont la fin n'est pas écrite "mais je ne crains aucun mal, car tu es avec moi" .



Une adaptation cinématographique a été effectuée "Fires on the Plain"/ "Feux dans la plaine" de Ichikawa Kon (1959). Une autre version est présente à la biennale de Venise 2014 sous le même titre Nobi (Fires on the Plain), version couleur et surement plus sanglante que celle de Kon Ichikawa. Cette dernière version est réalisée par Shinya TSUKAMOTO (qui a réalisé Tetsuo, Tokyo fist)

J'avais déjà rencontré des récits sur les horreurs de la guerre sur l'île de Leyte pendant la guerre des Philippines dans le roman Les pierres de Hiraku Okuizumi, qui traitait également de la folie d'un homme.

Pour finir "Les feux" sont pour moi une oeuvre admirable, un récit sur le mal à l'état brut, l'homme face à des extrémités inhumaines pour survivre le menant à la folie. Une lecture éprouvante ....
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Ce qui me réveilla encore une fois, ce fut le son du canon. La nuit était presque terminée. Le bruit et la fumée saturaient le ciel de l’autre côté du cours d’eau. Les explosions qui se rapprochaient de nous se succédaient sur un rythme de plus en plus dense. Le son du canon était violent, très proche, et bientôt mêlé de grondements semblables à des roulements de tonnerre. De l’autre côté des collines, dans le ciel au-dessus de la compagnie que j’avais quittée, un avion de reconnaissance décrivait des petits cercles comme un rapace visant sa proie. Apparemment, c’était là que le bombardement avait lieu.
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Les aspects variés de la nature où il est envoyé pour se battre n'ont aucune signification à ses yeux si ce n'est celle qui découle d'un point de vue strictement stratégique. C'est cette absence de signification qui le soutient et qui est la source de son courage.
Au moment où la cohérence de cette absence de signification est ébranlée par la lâcheté, à moins que ce ne soit par la réflexion, le pressentiment de la mort, qui a encore moins de signification pour l'homme vivant, en profite pour s'installer.
p 20
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Je reçus une gifle. Le lieutenant me dit, très vite, à peu près ceci :
- Imbécile ! On te dit de revenir, et toi tu reviens, comme ça, sans rien dire. Il fallait insister, dire que tu ne savais pas où aller. Alors ils t'auraient accepté à l'hôpital. Ici, nous n'avons pas les moyens de nourrir un tuberculeux comme toi.
p 7
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Quelque chose d’inexprimable me poursuivait. Il était évident que là où j’allais il n’y avait rien d’autre que le désastre et la mort, mais une sombre curiosité me poussait peut-être à explorer ma solitude et mon désespoir jusqu’à l’instant de mon dernier souffle, jusqu’à ce que la mort vienne y mettre fin dans un coin inconnu de la campagne tropicale.
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La mort n’était déjà plus une idée, mais une image palpable. Je m’imaginais sur la rive, le ventre déchiqueté par ma grenade. Je pourrirais sans doute, mon corps se décomposerait en divers éléments, et la majeure partie de ma chair, dont on disait qu’elle était composée aux deux tiers d’eau, se liquéfierait pour aller se mélanger au torrent.
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