Je suis une adepte de
Benoît Peeters, écrivain et scénariste BD, et
François Schuiten, dessinateur, mais vous ne le savez pas encore... car je n'ai jamais écrit de critiques sur Les Cités obscures, leur série-phare, et à peine sur le reste : une critique sur une expo montée par
François Schuiten au Musée des Arts et Métiers à Paris, et c'est bien tout. Et pourtant, et pourtant... Je les lis depuis 1992, sans compter que j'aime beaucoup écouter
Benoît Peeters lorsqu'il intervient sur divers sujets dans des émissions de
Radio France.
Donc, on ne parlera pas ici des désormais célèbres Cités obscures, mais de leur projet voisin et parallèle qui explore des futurs possibles, utopiques ou dystopiques. Est-ce que
Les Portes du possible (indûment rangé dans la case "Cités obscures" sur la fiche Wikipédia de
Benoît Peeters, ah la la !) a été le départ de ce projet ? J'avoue que je ne sais plus très bien, vu qu'il n'est pas toujours aisé de s'y retrouver dans toutes les productions de ce duo. Car non contents de sortir des BD régulièrement depuis les années 80, ainsi que des ouvrages aux formats originaux (sortes d'albums pour adultes illustrés), ils travaillent dans de nombreuses directions.
À quoi ressemble donc cet album que je viens tout juste de relire, et qui n'est pas une BD ? (Ne vous fiez pas aux étiquettes trompeuses de la fiche Babelio, malheureux !) C'est un grand livre, de la taille d'un livre d'art, mais cartonné comme les albums pour les tout petits, et qui doit se tourner pour être lu. Vous vous trouvez alors devant des double-pages de grands articles de presse. C'est donc un journal que tenez en main, ou du moins quelques archives d'un journal (qui sait ?), journal qui semble bel et bien belge, et dont les envoyés spéciaux ont parcouru la planète pour rapporter des évènements concernant la mutation des villes, l'architecture (deux sujets auxquels nous ont habitués Les Cités obscures), mais aussi l'écologie, les modes de transport, la génétique, le rapport des humains à la nature et aux animaux, les crises sociales et sociétales, le rapport au travail, la crise de l'eau, le changement climatique, et j'en passe. On nous propose vingt articles issus d'un futur possible, ou plutôt de nombreux futurs possibles, dans un parfait désordre chronologique, datant de 2011 à 2046.
Vous avez compris : bien des sujets d'actualité aujourd'hui, et déjà d'actualité en 2005 (date de publication de l'album), sont traités ici, à travers les dessins toujours aussi léchés de
François Schuiten et les textes malicieux de
Benoît Peeters. En effet, ce n'est pas parce qu'on parle de sujets tout à fait sérieux qu'on ne peut pas les traiter avec humour ; et de l'humour, cet album n'en manque certes pas ! Au-delà de la veine satirique qui sont la marque de ces articles, s'appropriant certains défauts criants de la presse écrite et télévisuelle, j'ai repéré pas mal de clins d'oeil.
Ainsi, on trouve un Tintin tout droit sorti de Tintin au Congo, une allusion au psychanalyste
Serge Tisseron (qui a écrit, comme
Benoît Peeters, sur
Hergé), ou encore un article sur un cochon nommé Ropsa, dont l'illustration ne peut que rappeler
Félicien Rops. le clou, c'est l'hommage à
E.P. Jacobs via un article mentionnant une faute d'orthographe aux fâcheuses conséquences (château de "Trou Salé" au lieu de "Troussalay")... Ceux qui ont lu S.O.S. Météores comprendront ! Et les autres doivent absolument lire cet album de Blake et Mortimer, ça va de soi. Bref, j'ai l'impression que nos deux compères se sont un peu plus lâchés que d'habitude (et je suis presque sûre qu'on voit
Benoît Peeters dessiné dans une des illustrations). Et on doit pouvoir trouver de nouveaux clins d'oeil à chaque nouvelle lecture.
Les Portes du possible est par conséquent un bel objet, un bel album comme Peeters et Schuiten nous y ont habitués, drôle (ce qui est moins habituel), et qui pose beaucoup de questions sur l'avenir que nous bâtissons actuellement et sur le monde dans lequel nous voulons vivre... ou bien sur le monde dans lequel nous ne voulons surtout pas vivre.
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