La lecture de ce recueil de biographies chinoises est délicieuse. On y voyage dans le temps, des premières dynasties à l'époque mandchoue, dans l'espace à travers tous les chemins de la Chine, et dans presque toute la société, malgré une insistance sur les soldats et les mercenaires, les amoureuses et les courtisanes, et les lettrés, poètes, artistes etc. Chaque vie, ou épisode d'une vie, est nettement tracé, sans fioritures, gravé avec finesse et pureté. Parfois même, en secret ou ouvertement, une morale est proposée, ce qui rapproche ces biographies du genre latin et occidental de l'exemplum. Je suis frappé, en tous cas, par la beauté et l'unité du style, toujours sobre et pratiquement immuable sur une période de deux mille ans.
Le traducteur, sinologue réputé, pense que nous n'avons rien de semblable en Occident, à l'exception de Plutarque. C'est oublier l'extraordinaire fortune de cet écrivain grec du II°s, qui fut imité, adapté et réécrit jusqu'à Montaigne et Diderot. Dans le sillage de Plutarque, les vies de saints, la Philocalie, les Vies de troubadours, les contes renaissants à l'origine des premiers romans, rappellent fortement ces Vies chinoises. Mais en Chine, apparemment, la biographie était un genre à part entière, et ne servait qu'elle-même. Elle avait la forme d'un texte court en prose, assez proche de la nouvelle, mais marqué, à la différence des fictions, par une splendide sobriété.
C'est vraiment un livre à lire, qui procure beaucoup de plaisir sans exiger du lecteur un grand effort d'adaptation.
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(En l'honneur du poète Wu Xei, 1521-1593, le misanthrope).
Sa tragédie était d'être un héros égaré, un homme qui n'avait pas trouvé le lieu où poser ses pieds. Aussi ses poèmes contiennent de la colère et un rire sardonique, ils ressemblent au bruit d'un torrent, à des semences sorties de terre, aux pleurs d'une veuve la nuit, au voyageur qui se lève au milieu d'une nuit glacée.
Yuan Hongdao, 1568-1610.
Le ciel fait naître des hommes extraordinaires ; ils ont sûrement leur utilité. J'ai lu la "Biographie des patriotes" de Chen Tongfu* : ils étaient des hommes remarquables, des héros de grande valeur ; et pourtant ils ont disparu dans l'obscurité et n'ont pu à leur époque faire valoir leurs mérites. Pourquoi est-ce si souvent le cas ? Est-ce parce que si le ciel fait naître des héros, on ne sait pas les utiliser, ou est-ce parce que, pour les utiliser, encore faut-il une époque qui convienne ?
*Chen Tongfu, biographe ayant vécu sous les Song du Sud (1127-1279), ayant écrit la vie d'un grand nombre d'hommes fidèles et valeureux qui ne parvinrent pas à empêcher l'invasion barbare mongole du nord de la Chine.
Wei Xi (1626-1680), écrivain en exil intérieur après l'invasion de la Chine par les Mandchous.
Aliu était un serviteur de Zhou Yuansu de Taicang dans la province de Jiangsu. Il avait l'air d'un idiot complètement incapable, mais Zhou Yuansu ne s'en séparait pas.
Un jour que Zhou Yuansu lui avait donné l'ordre de balayer, il prit un balai mais n'avait toujours pas balayé une seule pièce au bout d'un long moment.
Quand Zhou Yuansu lui fit des reproches, il s'emporta et jeta le balai par terre : "Puisque vous savez balayer, pourquoi me dérangez-vous ?"
Lu Rong, 1436-1494, originaire de la ville de Taicang.
Ah ! dans le ciel si bleu, si haut, y a-t-il vraiment un empereur céleste ? Celui-ci peut-il réellement profiter de parcs, palais et terrasses ? Si c'est vrai, dans un ciel si vaste et si grand, un empereur si solennel et si imposant doit avoir des hommes de talent bien meilleurs que les humains. Pourquoi aurait-il eu des visées uniquement sur Li He et aurait-il ainsi abrégé sa vie ? Ah ! Serait-ce que les hommes de génie originaux non seulement sont rares sur terre, mais qu'il n'y a pas beaucoup non plus dans le ciel ?
p. 104, biographie du poète Li He par Li Shangyin (801-858?). Au moment de mourir, Li He fut convoqué par l'Empereur Céleste pour célébrer son nouveau palais. Mais il lui fallait mourir pour aller au ciel.
(Au théâtre, lors d'une représentation double, faite par deux troupes).
Le public se tourna alors vers la scène de gauche et cria son admiration. Il y en avait même qui se faisaient servir du vin pour boire de plaisir.
Hou Fangyu, 1618-1654, vie de l'acteur Ma.