À son tour, l'économiste
Thomas Porcher s'engage politiquement et régulièrement dans le débat public. Après avoir participé au coup d'épée dans l'eau que fut (est) Place Publique, il le fait de façon un peu plus radicale dans son essai paru début 2020 aux éditions Fayard :
Les Délaissés.
Un économiste toujours atterré
Thomas Porcher est un économiste et s'engage depuis longtemps dans les domaines politiques au sens large pour un service public renforcé, un État plus protecteur voire social et une définanciarisation de l'économie. le dire ainsi fait que les médias dominants le présente comme « engagé à gauche », ce qui devrait sous-entendre que les autres économistes, constamment invités sur tous leurs plateaux, sont « clairement à droite » (malheureusement, par contre, ceci n'est jamais dit). En partant de l'économie mais aussi de son vécu (chaque début de chapitre rappelle à sa façon qu'on ne milite pas que sur des idées mais sur des affects et des expériences), il pioche dans les différentes sciences sociales (histoire et sociologie notamment) pour brosser son propre constat de la situation française au début de l'année 2020. Eh oui, les livres de journalistes, politologues, économistes, « toutologues » de droite (experts en tout et donc en rien) se multiplient, il faut bien compenser et ce que tente de faire ce membre du collectif Les Économistes atterrés partisans d'une reprise en main du capitalisme.
Prolongement de travaux déjà connus
Comme c'est de plus en plus le cas dans ce type d'essais sur l'orientation politique du pays, il s'agit de sociologiser son approche : ainsi,
Thomas Porcher délimite (à très grands traits) quatre catégories de population qui subissent la mondialisation : la France des Gilets jaunes (mieux documentée depuis quelques mois), celle des banlieusards (dont il fait partie), celle des agriculteurs (plus difficile à cerner d'un point de vue politicien) et celle des cadres déclassés (expression peut-être proche de l'oxymore, mais qui prend tout son sens avec un peu de recul historique). En adoptant cette vision, l'auteur prend le parti du moment d'étendre les oubliés de la mondialisation à des couches de la population qui sont loin de représenter les classes populaires.
Emmanuel Todd, récemment, a aussi mis en avant une vision plus déclinante de l'économie française, montrant que l'extrême haute bourgeoisie (0,1%) s'était enrichie ces quarante dernières années, alors que même les « loosers d'en-haut » (la petite bourgeoisie) y perdaient aussi, même si c'est moins rapidement.
Thomas Porcher salue également l'ouvrage récent de
Jérôme Fourquet,
L'Archipel français, qui décidément aura fait énormément parler. Toutefois, malgré ces références, l'économiste n'abuse pas des bibliographies et va plutôt droit au but : condenser en peu de pages l'essentiel pour mettre des mots sur la situation du pays. Il écrit donc ici une forme de synthèse aboutie et épurée de quantité de travaux de pointe (dont les siens, ceux de
Thomas Piketty bien sûr, de
David Graeber et bien d'autres), dont les notes de bas de page ne font qu'esquisser la complexité.
Pour un nouveau « commun » politique
Thomas Porcher doit être bien embêté : lui qui avait tenté l'aventure du « mouvement politique » avec la fondation de Place Publique, a vite compris que cette énième organisation n'a mené qu'à de nouvelles guéguerres entre apparatchiks au lieu de rassembler à gauche comme c'était son but et n'a accompli comme seul exploit de mettre en lumière
Raphaël Glucksmann, qui n'avait pas besoin de ça. Pour autant, il poursuit sa quête : chercher un débouché politique à l'extraordinaire inégalité construire conjointement par le nationalisme et l'ultralibéralisme qui savent si bien se compléter. le sous-titre « Comment transformer un bloc divisé en force majoritaire » est peut-être un peu trop commercial par rapport à ce que cet ouvrage propose véritablement ; nous sommes avant tout dans le constat d'une situation, puis dans le constat de l'absence de réaction d'envergure au niveau politicien. La deuxième partie de l'ouvrage est intéressante de ce point de vue-là, car malgré les bonnes idées, il multiplie les bonnes idées en matière d'immigration, d'économie, de finance, etc. mais peine (ou alors c'est juste moi qui en voulait trop) à mettre le doigt sur ce qui bloque dans notre système actuel. La suite sûrement au prochain ouvrage, suivant l'évolution post-crise sanitaire et économique due au Covid19, suivant si le capitalisme est encore en vie ou bien s'il se laissera enfin abattre.
Avec
Les Délaissés,
Thomas Porcher formule à sa manière le constat d'une société française littéralement rongée par l'ultralibéralisme, société qui ne demande qu'une étincelle pour s'embraser, qu'une crise capitaliste de plus pour poursuivre les chemins des luttes sociales déjà en cours. À voir maintenant ce que feront les citoyens de ces idées…