Je m’appelle Paul. J’insiste. Et je prends le risque de redire, pour encore l’entendre : je m’appelle Paul. J’ai mis des années à pouvoir prononcer mon nom à voix haute seul dans ma chambre. Encore un travail de fond, une sorte de lame de même nature que ma maladie. Ce prénom m’a été donné par mon père parce que c’était celui de son père à lui. Dieu me garde de jamais être père. Et maman ne l’aimait pas. J’en suis absolument certain, un jour elle me l’a dit, je n’ai pas pu l’inventer, d’un ton légèrement, oh ! mais très légèrement, dédaigneux : « Mon petit Paulo, je n’aime pas beaucoup ton prénom, mais ton père a tellement insisté... » Et sur ces trois points de suspension j’ai vu planer l’ombre d’un regret. Ma sœur Marie, mais elle avait seize ans, m’a dit un jour que maman voulait me donner le nom de son premier amour, que toutes les femmes voulaient faire cela avec leur premier garçon. Je ne sais pas où elle était allée chercher ça.
Ma fragilité est telle que soudain l'hôpital m'apparaît comme un havre de repos et de paix, le lieu où fermer les yeux pour attendre que le monde reprenne une forme décente.
Le désir m'avait déserté depuis si longtemps que j'avais le sentiment d'avoir tout à réapprendre. Une petite étincelle se rallumait, là, dans mon ventre.
Patrick Boucheron présente "Quand l'histoire veille aux grains"
Peut-on imaginer un banquet sans ce rendez-vous avec l'histoire, sous le couvert de la halle du village, à l'heure apéritive ? Depuis des années, Patrick Boucheron y a installé une marche interrogative et peu à peu collective, textes en main, le nez aux vents du lieu, de ses mémoires, de ses questions. C'est ici, en 2017, qu'avec Mathieu Riboulet il proclama le manifeste fondateur de cette nouvelle étape du banquet, « Nous sommes ici, nous rêvons d'ailleurs », titre de l'ouvrage récemment paru aux éditions Verdier. Cette année, des historiens, des journalistes, des écrivains reprendront avec lui la question de Demain, la veille, dans un dialogue qui tissera, jour après jour, le récit du banquet.
Entretien réalisé pour Corbières Matin, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022.
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