Je ne sais si nous irons tous au paradis mais déjà
Tristan Savin nous indique des voix à suivre, des voix pas forcément impénétrables mais qui sauront apprendre aux humains – pas nous autres écureuils – comment retrouver avec humilité ce lien unique sur terre, ce cordon ombilical qui unit chaque bipède : la nature et ses éléments, le monde minéral, le monde végétal, le monde animal ; une polyphonie à trois à écouter et à sauvegarder au nom de Gaïa.
Avant tout je remercie le reporter d'avoir à plusieurs reprises – je ne parle aucunement de chaussettes – référencé le mot écureuil et même jusqu'à en dessiner un sur la mappemonde en compagnie d'un toucan, d'un jaguar, d'un lémurien et de quelques autres symboles à protéger sur la planète. Ensuite, gratitude envers l'auteur pour m'avoir fait revivre tant de souvenirs d'enfance : les albums Sylvain et Sylvette, les manuels des Castors Juniors – un seul pour moi car mes parents craignaient le pire avec ce genre d'arme de destruction intrépide dans les pattes –, l'intérêt pour l'ornithorynque, le jeu des capitales sur la route des vacances et l'enchantement onirique en découvrant photos et livres sur l'Amazonie et la cité d'Angkor. Puis- je ajouter Beethoven ? Sûrement pour cette ode à la joie livresque qui déclenche une musicalité au fil des pages.
Tristan Savin raconte trente ans de galopades au sein des forêts primaires pour toucher le Graal, réaliser ses désirs les plus ardents : une embarcation en Amazonie, la quête d'un jaguar dans son élément naturel, marcher sur les pas des Mayas, emprunter l'itinérance d'un
Joseph Conrad en Malaisie jusqu'à un bavassage inespéré avec les lémuriens de Madagascar. Des forêts, encore des forêts, toujours des forêts. Les déserts et autres étendues de sable seront réservés à d'autres voyageurs, lui c'est la chlorophylle, ce vert – arf cette couleur – qui peint en moult nuances toute la vie qui s'offre mais aussi celle qui se cache malicieusement ou dans un esprit salvateur pour survivre.
Origine oblige, l'écrivain décrypte l'ensemble des ces hiéroglyphes arboricoles, plonge dans une espèce de mythologie moderne pour caresser chaque branche faisant respirer le poumon de la terre. Et dans cette narration minutieuse, érudite et colorée, le sédentaire aura l'impression d'avoir foulé pendant quelques heures des territoires inconnus, refermera le livre avec la satisfaction d'avoir découvert, appris et réalisé une fois encore que seuls la beauté et le rêve peuvent adoucir les tumultes de sociétés enfermées dans l'égocentrisme et la course politico-mercantile.
Mais tout amoureux de la nature ne peut séparer, ne peut négliger l'humain. Et admirer ceux qui résistent aux folies technologiques comme ce « peuples jungle » ou la fameuse expression du « peuple racine » : Guaranis, Kayapos, Ibans, Pygmées, Papous… La soi-disant civilisation ne les protège pas, elle les lamine. Pourtant, leur savoir est d'une richesse absolue et savent vivre dans l'atmosphère la plus hostile en connaissant les bénéfices et les dangers des étendues forestières. Les passages avec Don Cesario en territoire amazonien valent tous les livres d'apprentissage !
Un exemple de vie mis à mal avec les tourbillons industrielles et autres inepties de l'homme dit moderne. La destruction de la forêt amazonienne, le bombardement à l'huile de palme – je recopie un passage tant il est parlant – et la nouvelle folie chinoise qui se dessine dans le silence habituel des brailleurs à géométrie variable, celle de construire un parc d'attraction sur le site religieux cambodgien d'Angkor, pourtant inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Essayons toutefois de garder un faisceau d'optimisme, regardons dans la même direction que celle des branches qui dessinent des arabesques mirifiques vers cette canopée où toutes les musiques du monde voudraient pendant encore des siècles faire vibrer les âmes d'enfant pour les faire grandir sur le tronc de toutes les espérances.
Jacques Lacarrière avait raison de s'immiscer dans cette écorce, quarante ans plus tard,
Tristan Savin en fait jaillir toute la sève.
Avec une préface de
Jean-Christophe Rufin et les coulisses du chemin avec
Julien Blanc-Gras,
Jean Lavoué et
Marc Nagels
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