Henri Scepti est professeur de littérature à
Paris 3, spécialiste des figures poétiques du XIX ème et XX ème siècles.
Son ouvrage "
Notre Dame de Paris de
Victor Hugo" est un essai très éclairant, à l'usage d'étudiants ou d'amateurs néophytes que le monument hugolien fascinerait. Il comporte de nombreuses références et offre les clés indispensables à la lecture de ce livre-monde.
Henri Scepti nous permet d'avoir accès aux palimpsestes, l'un de pierre, l'autre de papier, que sont les deux Notre Dame.
Si la cathédrale est bien ce qu'elle paraît au premier abord, c'est-à-dire un monument architectural, elle détient aussi la mémoire du génie humain gravé dans la pierre par les générations successives qui y ont exprimé leur foi, leur art (évolution du gothique), leurs techniques, leurs peurs, leurs recherches (scientifiques, alchimiques), leur regard sur la transcendance et leur relation au pouvoir politique et religieux. La cathédrale n'est pas immobile, figée, elle est un monde vivant, grouillant de symboles, elle est plusieurs mondes en surimpression.
Victor Hugo choisit de situer le roman à l'époque de l'invention de l'imprimerie en 1482 (le premier livre imprimé, une Bible, est sorti de presse en 1454). Et l'on peut comprendre l'obsession du puissant (et visionnaire) archidiacre Frollo qui pressent que cette révolution technique entraînera inéluctablement une modification intrinsèque de la nature du Pouvoir, exprimée en une formule : "Ceci tuera cela" ; "ceci" (l'imprimerie) "tuera cela" (le monument de pierre, aux signifiés moins accessibles). Alors que Frollo et quelques rares initiés étaient seuls à pouvoir déchiffrer le savoir immense sculpté sur les parois de la cathédrale, (et donc à détenir le pouvoir effectif), les livres à diffusion plus rapide et plus vaste, vont le rendre accessible à un plus grand nombre. Une modification essentielle de l'exercice du pouvoir va bouleverser l'ordre du monde et son organisation ; la verticalité de la théocratie représentée par l'élite des puissants et du clergé, est menacée, on est à l'aube d'un monde nouveau.
Comme la cathédrale, le roman contient plusieurs strates d'interprétation et chaque strate met à la disposition du lecteur attentif des symboles qui les traversent toutes et dont la signification s'éclaire dans un ensemble chaque fois différent, selon le niveau de lecture : artistique, architectural, historique, politique, philosophique, alchimique, littéraire.
Il est intéressant notamment de se pencher sur les enseignements que tire Hugo de l'histoire du XV ème siècle, en cette fin de règne de Louis XI, comparée aux évènements du règne de Charles X, des trois glorieuses, et de la mise en place de la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe Ier. Toute la période considérée (1482-1830) embrasse le début de la monarchie absolue, et sa fin.
Henri Scepti nous offre plusieurs voies d'accès à l'oeuvre colossale, dans cette étude courte mais approfondie, élégante de style et rigoureuse. Il ouvre la piste aux curieux et aux curieuses qui voudraient compléter leur information : il nous met directement en relation avec les travaux sur le sujet de
René Girard,
Pierre Albouy,
Jacques Seebacher,
Marthe Robert,
Henri Meschonnic,
Roland Barthes,
Anne Ubersfeld, et bien d'autres.
Il ne nous reste plus qu'à relire "
Notre-Dame-de-Paris" d'un oeil plus averti.