![]() |
Augustin Triollet ne manque pas de talent mais il manque cruellement d'argent. Ce héros qui voit les morts à travers les visages est journaliste, vit dans un squat et se nourrit dans les poubelles. Il mène l'enquête sur l'attentat de Charleroi dont il a été témoin. Il a vu l'esprit qui accompagnait le terroriste et décide d'interviewer Eric Emmanuel Schmitt afin de mieux comprendre l'histoire des religions. Ce roman ambitieux aux allures d'enquête policière soulève de multiples questions philosophiques. La liberté, la fortune, la sécurité, l'humanité, l'instinct, le salut, la connaissance, la nostalgie et l'espoir « son revers » indiscutable, le bonheur acquis « qui s'avère plus solide qu'un bonheur donné » la violence, le mal…….. La philosophie qui aide, qui soutient, qui éclaire, qui, selon l'auteur « est la seule discipline que l'on devrait pratiquer après avoir appris à lire et à compter » est omniprésente dans ce roman. Contrairement à certains écrivains qui ne s'appuient sur aucun plan pour mener leur histoire, là j'ai le sentiment qu'Eric-Emmanuel Schmitt a particulièrement soigné sa construction. Une mise en scène hors du commun où il se retrouve acteur de sa propre fiction, où tout s'imbrique impeccablement laissant la part belle à la réflexion, au souci du détail, à l'actualité cruelle et malheureusement réelle, à la spiritualité mais aussi à la fiction. Cette mise en scène de très belle facture se sert de mille symboles dans une enveloppe concrète. L'imaginaire au service du quotidien. La vie courante prend le pas sur l'immatériel. La pensée armée de connaissances, trébuche parfois sur une route un peu hasardeuse, brumeuse et improbable. L'humour est là parfois, un humour subtil! Et tout ça fonctionne à merveille ! C'est digeste, limpide, très très bien écrit, maîtrisé, original et savoureux. Jusqu'à la dernière page l'auteur nous livre un récit dosé, travaillé, singulier et pétri d'intelligence. Et Dieu dans tout çà ??? Un personnage à part entière appelé « le grand oeil » Allez, pourquoi pas, Augustin va l' interviewer…..aussi. Dieu est omniprésent dans l'oeuvre de Schmitt. La question de Dieu plus exactement. Ce récit n'échappe pas à cette règle, et l'auteur nous soumet des propos pesés et lourds de sens. Le lecteur se pose beaucoup de questions. Par exemple: « La foi ne vient pas des hommes, mais de Dieu. Lui seul l'octroi ou la retire »………. » « Dieu n'est pas équitable. Il passe son temps à élire, à choisir, à désigner ». « Dieu est cruel » « Dieu est radin, il s'économise » …. « Les déçus de Dieu sont les déçus de l'homme. En réclamant un Dieu omnipotent, ils courent après un homme sans liberté. » Mais le passage que j'ai aimé encore un peu plus dans ce roman est celui-ci : Augustin va chez Eric-Emmanuel Schmitt à Guermanty . Grâce à son don, il voit des personnages. « Mozart un peu agité avec sa perruque blanche, Diderot, débraillé en robe de chambre. Sur une banquette repose Bouddha. Un peu plus loin une femme aux cheveux crépus….dans une position lascive et rêveuse s'apparente à Colette. » Ce passage m'a impressionnée par son authenticité. Je suis certaine que là c'est vrai. E.E.Schmitt vit auprès de l'âme de ces « génies », qu'il les consulte, qu'il s'en inspire, qu'il s'y soumet, qu'il les questionne qu'il les voit et que chaque jour des conversations intimes ont lieu dans ce salon. Alors du coup je ne sais plus qui est l'auteur de cette histoire. Je pense qu'il s'agit d'une oeuvre collégiale. Je m'incline devant cette assemblée si riche et si généreuse. Merci pour ce moment magnifique. + Lire la suite |