On n'ouvre pas la Collection Blanche non sans solennité. Et voilà qu'il ne s'écoule pas dix pages que le lecteur se demande dans quelles histoires personnelles il est tombé. Ce roman écrit et publié chez Gallimard en 2006 est une autofiction audacieusement assumée. Dès les premiers paragraphes, on est emporté dans le tourbillon du père et du fils. Les voici qui systématiquement, au sein d'un même chapitre, se racontent à plusieurs époques de leurs vies. L'un est calme et détaché, l'autre est frénétique et engagé.
La narration en miroir personnel et temporel est techniquement audacieuse et fluide à suivre. N'est-ce pas ce que chacun d'entre nous fait régulièrement : se raconter en un temps ramassé à coup d'anecdotes passées, présentes et futures pour échapper à la profondeur de ce que l'on tait. Mais qu'on ne s'y trompe pas, le narrateur veille jusqu'à harceler ses personnages qu'ils ne se perdent pas au gré d'allers-retours fugaces. Il va ainsi empêcher et le père et le fils de rester à la surface, aucun d'eux ne pourra échapper à l'autre ni à lui-même. Et lecteurs que nous sommes plongeons aussi dans ce qui dérange.
Remarquable encore,
Gilles Sebhan soutient son récit par la mise à nu du modèle qui n'est autre que lui-même, et transforme ce tourbillon de tableaux en une quête érotique virile entre vérités et mensonges, entre passages à l'acte et fantasmes, entre désirs et pensées, entre humanité et pulsions. Mais si
la dette cherche sa morale, elle n'en a pas. C'est une histoire de devoir d'une personne envers une autre, l'une est active, l'autre est passive, mais chacune à tour de rôle. Dans ce récit, on ne flirte avec personne ni avec aucun thème, on baise avec, et c'est sublime de crudité et de poésie, de fantasmes et de caresses, de torture et d'aveux.