Avec cette variation autour de l'histoire de Jacob et d'Esaü,
Meir Shalev fait une nouvelle fois preuve de maestria dans la construction de son récit. Une kyrielle d'histoires tissées autour des principaux personnages -une famille installée en
Galilée dans les années vingt- dont la mère est issue de Russes convertis et le père, boulanger, de juifs chassés d'Espagne, nous fait découvrir une autre facette de Jérusalem, celle des « hijos d'Abravanel ». le roman est émaillé de termes judéo-espagnols, de dictons, d'anecdotes, ce qui a décuplé mon intérêt.
Shalev est un excellent conteur. La finesse de ses observations, sa langue riche et imagée, offre au lecteur une immersion dans une Jérusalem sépharade grouillante de vie où même les historiettes sur le mazapán sont truculentes:
« Cette semaine, tia Doudoutch a commencé à apprendre à Mikhaël l'art du massepain. Ne prends pas la chose à la légère. Les femmes du Levant cachent les secrets du massepain à deux catégories d'importance.: les femmes odieuses, et les hommes amoureux. Jacob et moi, Benjamin et Mikhaël, chacun à notre tour, nous avons eu droit à cette faveur, mais nous avons appris le le secret caché à tout le monde: la détermination du « punto de mazapán » - l'instant où il faut ajouter les amandes en poudre au sucre fondu.
Ce punto est un fragment insaisissable q'un geste ne peut définir et qu'un diagramme n'est pas capable de diviser. »
Le Baiser d'Esaü est un roman d'une richesse infinie, à l'image de l'oeuvre de Salomo Salomo, le petit Monastirélien, « qui écrivit le Pentateuque sur cinq oeufs d'oie, les adversaires dirent qu'il n'y avait rien écrit.. » alors qu'aucune fioriture ne manquait. le mieux, c'est de le lire.