Dans le réel comme dans la fiction, l'histoire n'a jamais un seul visage.
Elle fluctue, change, mute, s'adapte.
Classiquement, on distingue la grande Histoire, celle avec un « H » majuscule où les évènements importants et les grands hommes font basculer le futur dans une direction ou une autre.
De l'autre surgit la petite histoire, celle qui semble n'avoir aucune conséquence, insignifiante alors que le monde se rue vers l'avant.
Valentina, le nouveau roman du français
Christophe Siébert, incarne à merveille cet autre visage de son univers, racontant une histoire à hauteur humaine loin des grands évènements de sa cité imaginaire de Mertvecgorod comme avait pu le faire Images de la fin du monde et
Feminicid. En moins de 250 pages,
Valentina est le premier récit d'un nouveau genre, celui de ceux que l'on écrase sans s'en apercevoir.
Bienvenue dans Un demi-siècle de merde !
Prenez une vue d'ensemble de Mertvecgorod, cette sinistre mégalopole imaginaire de 7 millions d'habitants coincée quelque part entre l'Ukraine et la Russie.
Changez d'échelle et rapprochez-vous.
Voici la Zona, une immense zone entre dépotoir et bidonville qui coupe littéralement la ville en deux. C'est ici qu'habitent les plus pauvres des habitants de Mertvecgorod. Les rebuts, les déchets, les oubliés.
Poursuivez encore un peu et nous voici dans Mertvec-Bereg, un quartier-frontière où vit Klara, une jeune fille de 15 ans, et sa bande indisciplinée : Laska, Sbrod, General et Kreditka. Punks jusqu'au bout des ongles, les adolescents vivent de combines et d'arnaques diverses, se bourrent la gueule et se droguent au lieu de travailler à la Chkola pour un avenir meilleur.
Mais, de toute façon, quel avenir au juste ?
C'est là tout le coeur de cette histoire qui, dans un premier temps, s'attarde sur le quotidien de cette troupe turbulente et braillarde.
Orphelins d'un pays qui sort de la guerre civile, rongé par la corruption et la violence, en manque chronique de tendresse et d'espoir.
Des enfants perdus, pour toujours.
On pourrait croire que le récit de
Christophe Siébert va nous plomber le moral façon chevrotine en pleine face mais c'est en réalité bien plus compliqué que ça.
Valentina nous raconte la misère et la perte d'innocence, elle nous raconte le manque de tout et la destruction des générations à venir, elle nous dit la saleté et l'ordure.
Et puis, en filigrane, le roman nous raconte autre chose.
Il nous dit la solidarité et l'amitié qui existe entre ces moins-que-rien, il nous dit la bonté spontanée pour une vieille dame malade qui sent la pisse dans un camp insalubre parmi d'autres, la tristesse de gamins qui n'ont plus rien mais qui se soutiennent. Ce genre de geste complètement insignifiant et qui révèle plus d'humanité dans le néant que nul part ailleurs.
Cette façon d'être dans la merde mais d'essayer d'aider l'autre même quand on n'a rien pour soi.
Pour rythmer son récit et lui donner un caractère propre, Siébert parsème son texte de morceau de musique bien réelles, de Bad Balance à Yat-Kha en passant par Televizor. Dès lors,
Valentina se fait plus punk, indus et soviétique que jamais, consacrant la transgression morale et sociale jusque dans sa bande-son rugueuse (que l'on retrouve en fin d'ouvrage pour les plus curieux).
Au son du ghetto-blaster, nos jeunes zoneurs traversent une existence morose et désenchantée… jusqu'au jour où un meurtre brutal vient changer la routine de Klara.
La voisine de Klara, une certaine
Valentina, est retrouvée sauvagement assassinée chez elle. Tout le monde s'en fout, bien sûr. En réalité,
Valentina n'est rien, juste un vieux travelo qui ramenait des mecs dans son appart plein de godes et de nichons en caoutchouc pour une partie de sexe sans tabou. Tout le monde s'en fout, sauf Klara.
Klara se souvient de la personne humaine derrière le fait divers, de cette vieille dame qui lui offrait des bonbons quand elle était plus jeune et qui lui souriait quand le monde l'avait abandonné. Alors la voilà lancée sur les traces de l'assassin, bien motivée de surcroît par un flic pédophile qu'elle ne pensait pas revoir de sitôt et qu'il ne lui donne pas le choix.
Christophe Siébert fascine de cette façon, en trouvant de la beauté dans l'horreur, de la tendresse dans un monde pourri.
C'est assez incroyable et, pour tout dire, tout à fait remarquable.
Il suffit de passer une nuit dans l'appartement glauque au possible de
Valentina pour voir à travers les yeux de Klara l'humanité de cette femme que d'aucuns considéraient comme un objet sexuel jetable. On retrouve à nouveau cette sympathie pour le freak, le monstre, le paria. Une sympathie qui montre aussi que ceux-ci sont loin d'être les coupables parfaits que la société veut en faire, que le véritable meurtrier se terre derrière un aspect banal, protégé par des plus grands qui s'en foutent, englué dans une spirale autodestructrice qui transforme le réel en cauchemar.
Valentina devient donc une sorte de roman-noir où la recherche d'un meurtrier permet surtout de saisir la beauté d'un monde underground que l'on connaît peu, que l'on juge beaucoup et qui, finalement, sauve la face de ce que l'on appelle l'humanité.
C'est toujours éminemment sexuel et dégueulasse, et donc réservé à un public averti, mais
Christophe Siébert n'a rien perdu de sa verve et de sa nuance. Forcément, on en redemande !
Valentina, c'est la rébellion d'une jeunesse perdue dans un monde de merde fait de violence, de pauvreté et de sexe. Roman noir qui va droit au but, le nouveau Siébert offre une nouvelle perspective plus intimiste sur son univers perturbé et perturbant que vous n'êtes pas prêt d'oublier.
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