Il entend à présent les arbres communiquer entre eux. Comme une mélopée indistincte dont pourtant émerge un sens. Chaque espèce d'arbre a la sienne, et Talhuic, en une sorte de songe fantastique, reçoit leurs ondes diverses. Celle des pins, toujours verts, à la riche résine et aux essences volatiles qui purifient. Celle du bouleau, à la légèreté aérienne, au bois tendu et à l'écorce dure et blanche qui ne veut pourrir. Celle du frêne, arbre de lumière qu'on dit être l'ancêtre de tous, arbre bienveillant. Celle du tilleul, sous lequel on s'endort et dont les feuilles calment, arbre habité par un ancien génie contemplatif. Celle du chêne, bien sûr, vieux guerrier noueux, plante qui met plus d'une vie d'homme pour créer ses premières fleurs. Vibrations aussi de toutes les autres plantes, toute cette vie végétale qui transforme la terre et la pierre et l'air en bois, en verdure, en fruits, en graines.
Talhuic tressaillit : une onde chaude se propageait dans son être entier : il avait la sensation de n’être plus seul. Il se pencha sur une eau verte, merveilleusement limpide, transparente, dans laquelle des algues flottaient, souples, irréelles. Là, évoluaient des poissons inconnus, rutilantes créatures sans regard, d’un autre âge, d’un autre monde.
Un grand poisson doré accompagna un moment l’esquif : sa nage harmonieuse répandait une grande sérénité. Il s’écarta à l’approche d’un banc d’anguilles rouges, striées de raies brunes, hérissées de piquants, aux mâchoires voraces. Des larves jaunâtres ondoyaient en agitant une foison de filaments tandis qu’au fond de longs tentacules ondulaient. Une large bestiole plate, noire, se colla violemment contre la coque et, de ses nageoires déployées comme des ailes, frappa spasmodiquement, sourdement, le bois. Au fil des couleurs et des formes, Talhuic sentait refluer en lui une marée d’ondes qui, au-delà de ses impressions conscientes, influaient sur le flot de ses pensées et émotions, la mer de ses souvenirs ; forces cachées qui grouillaient en lui comme cette faune aux orbites vides se mouvant entre les eaux.
Tu vois, la vie est ainsi faite, si mystérieuse que, sans cesse, on la sent proche et éloignée. On veut toujours plus et la vie elle-même veut toujours plus. Chaque seconde qui passe nous dévore et nous nourrit. Quand on aime quelqu'un, on a l'impression de ne jamais pouvoir lui donner assez, ni partager assez, ni créer assez. On passe son existence à vouloir saisir les choses et les êtres, mais tout ne reste que rêve dans notre mémoire. Nous rêvons l'avenir, nous rêvons le passé et nous rêvons dans le présent. Pourtant, il y a un grand secret dans tout cela. Et déjà, si tu es attentif à chaque instant, ton regard change et le sens du monde change.
Leurs corps. Des sacs de peau renfermant des os et du sang, des viscères et liquides divers, le fonctionnement du tout constituant des êtres en état de marche, une forme de vie particulière sur cette terre lancée dans l'espace. Et tout ça plein de sentiments, de sensations, de réflexions et aussi plein de rien du tout, d'une immense simplicité, très pure, comme l'air de ces monts où ils allaient passer l'hiver.
Mais l'essentiel reste de ne pas oublier que la vie est faite d'instants successifs, comme autant de points qui tracent une ligne. Pour que la ligne soit belle, chaque point doit l'être, donc chaque instant. Et la force vitale alliée à un esprit lucide et à un savoir-faire exercé sont les meilleures armes dont nous disposons.
Sagesses bouddhistes 27 10 2019