– Je suis laid, elle est belle ! Jamais elle ne voudra de moi… Lui faire la cour, cela ne m’avancerait à rien… Eh ! bien, je l’aime, je la veux et elle sera à moi… Une fois ma maîtresse, elle se taira : elle aura peur du scandale… Je lui promettrai le mariage... Je l’épouserai… Mais je la veux… Je la veux !…
Tout à coup, – pareil à un foyer dont la flamme, avant de dis-paraître, remplit l’appartement d’un jet de clarté, – le soleil cou-chant illumine le paysage. Et, – pareilles à un vieillard qui semble rajeunir, lorsqu’un éclair de mémoire ou d’intelligence traverse son cerveau, – la plaine et la maison retrouvèrent un peu de charme et de vie sous le soleil. La lumière occidentale fit étinceler l’herbe mouillée ; l’eau des fossés qui bordaient la route brilla comme un miroir d’acier ; les vitres des croisées ré-percutèrent mille rayons. Les fleurs des arbres prirent des teintes d’or, et la flamme rouge de l’astre fît une sorte d’auréole aux branches des pommiers.
Hier encore, c’était un homme robuste, à la démarche égale, à la main ferme, à la voix rude et forte. Ce matin, c’est un vieil-lard, cassé, chancelant, dont le geste hésite et qui ne saurait que répondre si un étranger lui demandait son chemin : à le contempler, cet étranger se sentirait pris d’une pitié profonde. Pourquoi donc les gens que rencontre le vieillard, et qui sont tous du pays, semblent-ils, au contraire, éprouver pour lui du mépris ou de la haine ?
Eh quoi, pas un bonjour amical, pas une main tendue ! Rien qui témoigne du respect qu’on a d’ordinaire pour la vieillesse, ou de la pitié qu’inspire le malheur ?
Chez les femmes, l’amour maternel et l’amour filial sont bien plus puissants que chez les hommes. Il y a de ces caresses naïves qui ont quelque chose des caresses de l’amant, caresses pures et chastes, mais néanmoins ardentes et passionnées. Les femmes ont seules le secret des étreintes nerveuses et des baisers sans fin. Quant à moi, rien ne m’a jamais semblé plus ravissant que cet échange de tendresse, que cette expansion familière de la fille à la mère et de la mère à la fille.
Nous ne dirions pas la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, si nous voulions faire croire qu’elle eut quitté sans émotion la marchande à la toilette. Son petit cœur battait bien fort ! Au moment de se laisser glisser sur une pente fatale, à l’heure décisive où l’honnête chrysalide allait se transformer en un malsain papillon de nuit, sa pensée et son regard se reportaient involontairement en arrière !