Hormis les chroniques des
gens de France et d'ailleurs, je n'avais jamais sauté le pas des bandes dessinée de
Jean Teulé. J'avais peur qu'elles aient très mal vieilli au vu des couvertures, très marquées "années 80". Mais je me suis enfin lancé avec ce
Bloody Mary, adapté d'un roman de
Jean Vautrin.
Il est difficile de dissocier cette bande dessinée de la période de sa création.
Il y a d'abord une approche graphique complètement surranée. Je ne sais pas exactement quelle technique était utilisée par
Jean Teulé, mais je pense qu'il s'agit essentiellement de collages et de photos retravaillées à la main et photocopiées. En 2015, cela pourrait donner presque l'impression de fanzine un peu cheap, mais si on se replace dans le contexte, il s'agissait d'une approche très moderne, rendue obsolète par le développement de l'informatique. Et
Teulé a suffisamment de patte et de talent (sans oublier la travail sur les couleurs réalisé par Zazou, sa muse de l'époque) pour réussir des planches qui gardent un vrai charme désuet (surtout si on compare à un Ponzio, adpete du photo-réalisme moche).
Voilà pour l'aspect graphique.
L'histoire, quant à elle, risque aussi de désarçonner. Ce roman de Vautrin, adapté par l'auteur', partage de nombreuses caractéristiques avec l'univers de
Teulé. On comprend pourquoi ces deux)là ont eu envie de collaborer.
Résumer l'histoire seraitun peu compliqué. Il y a une galerie de personnages fracassés, solitaires et délirants dont les vies entrent en collision comme des trains en perdition. Ces personnages sont tous excessifs, paumés entre poésie urbaine et folie malsaine.
Il y a un égoutier qui s'est construit un petit étang de pisciculture dans les égouts de Sarcellopolis, où il pêche des truites à deux têtes
Il y a Sam Schneider, flic à tendance facho psychopathe et raciste marié à une femme lascive et schizo
Il y a Locomotive, noir rigolard et fataliste, personnage qui serait taxé de stéréotype raciste de nos jours. Mais vu les autres personnages, tout aussi stéréotypés, ce serait injuste d'accuser les auteurs de racisme. Leurs personnages sont tellement excessifs et caricaturaux qu'isolé le cas de Locomotive n'a pas de sens. Ce livre est tout autant anti-militariste, anti-flic, sexiste, anti-gosse et j'en passe. Tous sont ridicules et outrés. C'est un peu le même problème avec
Jules Feiffer, accusé de sexisme pour la représentation des femmes dans "The explainers", ses strips de "The village voice", qui se défendait en rappelant que si ses personnages féminins n'étaient pas gâtés, le traitement réservé aux personnages masculins était au moins aussi pire.
Il y a Victoire, coiffeuse au ventre chaud
Il y a JY Grandvallet, trouffion qui l'a très mauvaise à l'encontre de Reig Maixence, petit gradé dont la bêtise n'a d'égale que sa méchanceté
et il y a
Bloody Mary...
Un (pas bien) joli petit monde
et un beau bordel en devenir
Une grande dégoupillée qui va leur péter à la gueule.
Il faut vraiment se rappeler que ce livre date du début des années 80 pour en profiter pleinement. Beaucoup de parti-pris employés par les auteurs n'ont plus court. Mais bordel que ça fait du bien par où ça passe.
Une bonne dose de misanthropie bien méchante
qui tache
qui n'a peur de rien
jusqu'aux dernières pages qui enfoncent le clou.
Hier n'était sans doute pas très jouasse
Aujourd'hui, c'est la merde
Et demain ?
Ca ne risque pas de s'arranger, à voir les specimens de Vautrin et
Teulé