Peu de livres ont le pouvoir vous retourner le cerveau, de vous faire changer en profondeur la façon dont vous comprenez le monde.
L'Invention de l'Europe est l'un d'entre eux. Après une introduction très perspicace (et osée par rapport à son époque),
Emmanuel Todd nous offre une relecture fascinante de l'histoire européenne.
Les premiers chapitres sur l'agriculture sont un peu ardu mais, heureusement, passables sans risquer de ne pas comprendre la suite. Après, il nous présente les différents systèmes familiaux européens suivant leur rapport à l'autorité (qu'il mesure avec le pourcentage de familles ayant trois générations sous le même toit) et à l'égalité (qu'il quantifie en fonction des lois sur l'héritage). Dit de cette façon, cela peut sembler rébarbatif, mais je vous rassure, la plume de l'auteur est très limpide et n'est pas dénuée d'humour.
Et puis, surtout, vient la suite où, fort de cette différenciation des « peuples » européens, il analyse la scission de cette civilisation au XVe siècle, en apparence homogène (rurale et chrétienne). L'auteur enchaîne alors l'étude des différentes idéologies produites sur notre continent en réponse à la hausse de l'alphabétisation et la baisse des croyances religieuses. Son raisonnement est magistral, et ne peut être résumé dans une simple critique sur Babelio, il faut lire
Emmanuel Todd (ou l'écouter).
Bien sûr, les critiques de ce travail n'ont pas manqué. On l'a, par exemple, accusé d'être déterministe. Je pense que ce reproche n'est pas mérité, notamment parce qu'il reconnaît que, selon son modèle, l'Italie aurait dû devenir communiste (elle n'en a pas été loin...).
Je recommande donc cet ouvrage à 200%. Qu'on soit d'accord, ou pas, avec les thèses de l'auteur, elles méritent d'être connues, et je pense qu'on ne peut pas faire comme si la carte du communisme dans les années 1970 n'était pas celle de la famille « communautaire », donc comme si la culture et les organisations familiales d'un peuple n'avait pas d'influence sur les idéologies qu'il investit.