C'est le troisième livre que je lis d'
Emmanuel Todd, après les luttes de classe en France au XXIe siècle et
la défaite de l'Occident. Dans
où en sommes-nous Emmanuel Todd embrasse un sujet beaucoup plus vaste, ce qui rend ce livre sans doute plus ardu que les deux autres. Dans une approche de l'histoire toujours centrée sur. les systèmes familiaux, autour de laquelle gravitent la religion, les progrès éducatifs, l'auteur nous retrace la fresque d'homo sapiens à homo-economicus. Fidèle à son goût pour les digressions,
Emmanuel Todd ajoute à cette étude une vision contemporaine de l'Amérique avec l'élection de Trump en 2016, de l'UE avec les méfaits de la monnaie unique, et de l'originalité de la Russie qui est une exception à sa théorie globale.
Comme toujours, l'auteur. Ajoute dans le livre toutes les références qui servent à étayer ses propos. Tout juste peut-on reprocher l'omniprésence de la littérature anglo-saxonne. de nombreuses études. tableaux et graphiques permettent au lecteur de suivre le cheminement intellectuel de l'auteur. Ce dernier nous fait partager ses doutes, les limites qu'il entrevoit à ses théories, mais surtout il nous emporte dans son cheminement intellectuel. Ainsi, le lecteur peut en suivre les détours et arriver à la conclusion d'une façon aussi claire que si elle était présentée dans un cours magistral. J'ajoute qu'il n'est nul besoin d'aller dans les détails profonds de l'analyse pour saisir l'essentiel de ce livre.
Voici un exemple concret : la révolution industrielle anglaise. Todd soutient que la structure familiale anglaise, nucléaire par essence, qui a permis ce bond. Dès le dix-huitième siècle. En Angleterre, les enfants qui étaient leurs parents jeunes. le principe d'héritier unique a incité les non héritiers à quitter le foyer familial pour s'émanciper. de souci pour conséquence. Une urbanisation importante de la population. Ainsi qu'une qualité des moyens de transport en avance sur les autres pays d'Europe aux structures familiales différentes. H, la révolution industrielle a aussi été permise. Parce que très tôt, un système de sécurité sociale a existé pour subvenir aux besoins minimum des personnes âgées et aider les jeunes à s'installer dans l'agriculture. L'abondance de charbon, la performance du système bancaire anglais furent des catalyseurs, mais la structure familiale nucléaire et homogène en Angleterre en était la condition nécessaire.
Emmanuel Todd insiste aussi sur la présence de la religion protestante, qui fut l'une des premières à imposer l'alphabétisation des masses par la nécessité de comprendre les textes religieux. Et ceci, dès l'apparition de l'imprimerie vers 1450 avec Gutenberg.
Peut-être ce livre est éclairant par la démarche à la fois originale et surtout documentée qu'il propose pour étudier l'histoire. Une telle ignorance de la dimension sociologique et familiale des êtres humains pour éclairer le sens de l'histoire conduit à des erreurs manifestes, ou des interprétations parfois simplistes. Je ne résiste pas à proposer un dernier exemple : l'homo-economicus, un être humain purement rationnel et maximisateur de sa satisfaction en utilisant au mieux ses ressources. Cet être théorique guide le modèle néoclassique et mondialiste de l'économie. Pourtant, il est bien évident qu'aucun être ne saurait se réduire en ce profil, car chacun d'entre nous dispose d'une culture, d'une expérience familiale et d'une éducation, qui priment ou orientent nos choix.
J'en termine avec une phrase issue du post-scriptum de où allons-nous ?, afin que vous puissiez également apprécier l'éthique de Todd et son objectivité. Il traite de l'adhésion populaire que doit recevoir toute démocratie moderne en équilibrant l'égalitarisme éducatif avec l'élitisme social : « il nous faut parvenir à concilier les valeurs des gens d'en bas et celles des gens d'en haut, la sécurité des peuples et l'ouverture au monde. Parce qu'une démocratie ne peut fonctionner sans peuple, la dénonciation du populisme est absurde. Parce qu'une démocratie ne peut fonctionner sans élite, qui représente et guide, la dénonciation des élites en tant que telle est tout aussi absurde. »