Jeunesse - Souvenirs

Le printemps

(..) Le temps depuis trois jours était calme, tiède et limpide. Dans les rues, on ne voyait plus les flocons de neige, à la pâte boueuse avaient succédé le pavé humide et luisant et les ruisselets rapides. Les dernières gouttes s'attardaient au soleil au bord des toits, les bourgeons des arbres du jardin se gonflaient, dans la cour, un sentier sec conduisait à l'écurie, en longeant le tas de fumier gelé, et une herbe fine et moussue verdissait entre les pavés, à côté de notre perron. C'était cette période particulière du printemps qui, plus fortement que tout, agit sur l'âme de l'homme : un soleil éclatant sans être ardent, qui fait tout étinceler, des ruisseaux, des plaques de neige fondue, une fraîcheur odorante dans l'air et un ciel tendrement bleu aux longues nuées transparentes.

La lecture des romans français, dont Volodia avait apporté une provision, fut une autre de mes occupations cet été-là. A ce moment, les Mont-Cristo et différents "Mystères" commençaient seulement à paraître, et je dévorais les romans d'Eugène Sue, de Dumas et de Paul de Kock. Les personnages et les événements les plus factices étaient pour moi aussi vivants que la réalité, et non seulement, je n'osais pas soupçonner l'auteur de mensonge, mais l'auteur lui-même n'existait pas pour moi, et des personnages, des événements réels et vivants surgissaient d'eux-mêmes devant moi du livre imprimé. Si je n'avais rencontré nulle part des personnages semblables à ceux dont je lisais l'histoire, pas une seconde je ne mettais en doute le fait qu'ils existeraient un jour.

912 - [Jeunesse, Le Livre de Poche n° 3155, p. 191]

"La plupart du temps, je me levais de bonne heure, je m'habillais rapidement, prenais sous le bras une serviette et un roman français, et m'en allais me baigner dans la rivière, à l'ombre d'un bosquet de bouleaux, à quelques cents mètres du manoir.

Une fois là, je me couchais dans l'herbe et je lisais. Parfois, j'abandonnais mon livre pour observer la surface de l'eau qui se couvrait de tâches violettes aux endroits situés dans l'ombre, et commençait à frémir sous la caresse de la brise matinale ; ou bien le champ de seigle murissant, sur l'autre rive ; les parties basses des troncs blancs des bouleaux, colorés en rouge par le soleil.
Remonté par Dominique

Les Kornakov
La seconde visite sur mon chemin était pour les Kornakov. Ils habitaient l'étage noble d'une grande maison sur l'Arbat.
(..) Plusieurs petites princesses étaient dans le salon : elles avaient des attitudes si apprêtées, si oisives qu'on devinait tout de suite qu'elles ne s'asseyaient pas de cette façon là lorsqu'il n'y avait pas de visiteurs

.. la mission de l'homme est de tendre vers son perfectionnement moral et ce perfectionnement est aisé, possible et éternel.

242 - [Le Livre de Poche n° 3155, p. 23] Jeunesse