L'Histoire de la journée d'hier

Je découvre Léon Tolstoï à la faveur de cette nouvelle, un texte étonnant à la manière d'un essai sur le thème de l'art de remonter le temps et de se remémorer les faits, ici, il est donc question de la "journée d'hier".
Je peux déjà dire que j'ai aimé cette lecture et le style de l'auteur, pour parler du ressenti et du contenu, cela va s'avérer plus difficile car il n'est pas question ici d'une intrigue ni même d'un scénario.
Nous allons commencer par évoquer le déroulement d'une soirée autour d'une partie de carte et des sentiments du narrateur au sujet d'une femme mariée dont il essaye de discerner les intentions. Il y aura ensuite, au retour, une introspection passionnante du narrateur au sujet de sa propre personne, une partie que je qualifierai de philosophique et qui m'a beaucoup intéressé par sa profondeur.
Enfin et pour finir, il sera question de rêves et de tentatives d'explications sur leurs origines et significations, et là encore l'auteur m'a captivé.
Un format court donc, mais néanmoins dense et intéressant ! Une première rencontre qui m'a ravi et qui en appellera d'autres.

L'Histoire de la journée d'hier
Essai littéraire de Tolstoï écrit il avait 22-23 ans. J'aime bien , j'y fais souvent référence du moins dans ma pensée quand on a une histoire à raconter qui s'est passée la veille et qu'il faut remonter dans le temps pour qu'elle soit audible. Il ne commença pas cette réflexion la veille, mais l'avant-veille pour raconter l'histoire de la veille. On pourrait ainsi remonter loin si on n'avait pas comme repère un ancrage factuel dans la narration.. Il est vrai que le Tolstoï de sa jeunesse obsédé par le jeu, les cartes, le champagne et les femmes, se couchait parfois quand d'autres étaient déjà debout pour aller au turbin de bon matin. Donc de facto, ses histoires d'hier, le temps de se remettre, démarraient le jour d'avant !..

Il ne faut pas y attacher plus d'importance que ça en a, ce n'est pas un vide-grenier ou des fonds d'atelier la littérature. On est souvent déçu par un certain nombre d'inédits d'auteurs glorieux qui fleurissent qui sont en fait des coups mercantiles d'éditeurs. Je m'empresse de dire que ce texte fut intégré dans les oeuvres complètes de l'auteur et qu'il y a bien d'autres textes de première importance qui mériteraient les faveurs de la pléiade et qui sont aujourd'hui épuisés et introuvables. A cet effet quelle ne fut pas la surprise du grand critique suisse Henri Guillemin quand il s'attaqua à la biographie de Tolstoï : il dut accrocher je ne sais combien de wagons à son train de l'étude pour mener à bien ses dossiers ! Quand Tolstoï fut assez avancé dans cet essai, il l'abandonna pour écrire Enfance, son chef d'oeuvre de jeunesse. Mais puisqu'on est dans les balbutiements de la littérature tolstoïenne , ses premières lettres datent de 1842, il avait alors 14 ans, il maîtrisait le français -de par sa culture propre à son rang- et le cite abondamment ; son journal intime, il l'entama, c'était en 1847, il avait donc 19 ans. On peut mesurer dans ces textes précurseurs, les germes de son talent d'artiste, indéniablement.

Le biographe Victor Chklovski parle à propos de L'Histoire de la journée d'hier de dialogue intérieur qui a précédé Joyce, ce que semble confirmer le philosophe Vladimir Jankélévitch en parlant de "roman infinitésimal". Quoiqu'il y soit, Tolstoï se méfiera du procédé intimiste qu'il verra nombriliste voire compassionnel et ne voudra conserver de l'intime avec le regard pénétrant et la sagacité qui est la sienne que la poésie intérieure et les mystères de l'âme, aussi une certaine forme d'exploration pionnière.

LES DEBUTS LITTERAIRES DE TOLSTOI

La première fiction attribuée à Tolstoï est Enfance, entamée avant son départ pour le Caucase, remaniée et achevée au Caucase en 1852 si je ne m'abuse. elle lui vaudra un succès immédiat et le début de la renommée.

Le présent essai littéraire, Histoire d'hier est semble-t-il antérieur mais inachevé.

Il eut idée aussi d'écrire une nouvelle en 1850 sur les Tziganes, cette nouvelle ne vit pas le jour, mais on peut dire que sa vocation d'écrivain est probablement née dans ces années 1850. Il dit dans son journal de juin 1850 qu'il va écrire sur ces trois années mouvementées qui viennent de s'écouler à Kazan et Moscou (1847-48-49), dissipées, dissolues et il le fera en effet (Ainsi meurt l'amour, Les Deux Hussards, Après le bal ..) Des prises de notes ont probablement été faites pendant cette période.
Lors de cette période aussi, il a, semble-t-il, composé en partie la Matinée d'un seigneur, court roman, qui sera publié en 1956, ce qui montre bien ses aspirations de l'époque, hormis ses dettes de jeu, ses beuveries au champagne et les femmes tziganes.

Tout cela d'un point de vue purement formel, car sur un plan plus large, l'écriture est résolue chez lui depuis 1847 avec la tenue de son journal intime. Il me semble pertinent d'examiner aussi sa correspondance qui démarre il a 11 ans, et en français s'il vous plaît ..

Les Récits de Sébastopol écrits dans la foulée de Enfance vont aussi connaître un succès retentissant ..