Voilà un livre impressionnant. Dense et envoûtant, multiple.
On y entre comme dans un conte Faustien, avec ce pacte entre le charme incarné et le fragile misanthrope, dans un style délicatement anglais. On assiste à la monté d'un incroyable succès littéraire dont on attend dubitatif, le revers dramatique... Celui-ci finit par apparaître, mais pas de la façon à laquelle nous pourrions nous y attendre, et nous voilà propulsé dans les prémices d'un drame historique, et dans un roman d'autant plus profond et engagé. Ce livre se dévore... jusqu'à un certain point.
La grandiloquence et les désirs d'érudition qu'il porte et qui participent finalement autant au fond qu'à la forme de l'ouvrage, finissent par peser un peu lourd malgré une écriture parfaitement maîtrisée. Un roman en tous cas dont on sort imprégné des remous crasses d'une époque à la folie grandissante, et touché par des personnages forts et nobles.
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Prix Goncourt 1983.
Un fameux roman, beaucoup de personnages aussi, nous évoluons durant la période quelques années avant la guerre de 40-45.
Cyril, un jeune écrivain, par un pur hasard fait la connaissance de Jonathan. Très vite une amitié se crée entre les deux hommes. Jonathan a beaucoup de bagout, de toupet, il ose, il fonce et c'est lui qui présentera le manuscrit du premier roman de Cyril chez un éditeur. Très vite la gloire est assurée chez les deux nouveaux amis.
Le temps passe, chacun faisant sa vie, mais l'amitié est restée entre les deux amis avec à l'arrière fond la montée du nazisme. En ces temps troubles on se remet en question, on ne lâche pas prise, on cherche sa place dans la société en pleine évolution, chacun des deux amis se sent égaré.
Un joli témoignage d'une grande amitié.
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[...] Cher monsieur Chesterfield, commença- t-il, je ne suis pas certain d'être un homme dont on puisse se faire un ami. Un comparse, il se peut; mais un ami !
D'ailleurs, vous sentez vous-même combien notre rencontre participe d'une volonté qui, en aucun cas, ne peut être assimilée à ce que les ignorants appellent le hasard. Aussi, vous conseillerais-je vivement de vous méfier. Les machinations ont de longs bras vous savez....
-Oh! Répondis-je, voilà qu'en cet hôtel de la fin des terres et _ pourquoi pas_ de la fin des temps, le bon Faustus reçoit la visite du mauvais ange ! Amusant, ne trouvez-vous pas ? J'étais venu pour fuir je ne sais quoi ou pour rencontrer je ne sais qui, et il me semble que votre blanche apparition aura, du moins, le mérite non de me distraire mais de m'intriguer. Quant au piège, il y a longtemps déjà qu'il s'est refermé.
C’est cela. Qu’aurions-nous le droit d’exiger de plus? Nous sommes comme des fétus que le torrent emporte mais restera notre regard, même lorsque nos yeux se seront fermés. Le regard de l’homme sur le monde, Jonathan, c’est cela qui n’est pas absurde, le monde serait-il cent plus insensé. C’est un mélange de tristesse et de révolte, de peur et de courage, de lucidité et de folie, mais c’est le seul regard dans tout l’univers qui n’accepte pas sa mort. Il sait que la terre se refroidira, que les étoiles tomberont, que le soleil éclatera et qu’il n’est rien de durable, mais il affirme qu’il est ailleurs une autre durée, une autre terre, d’autres étoiles, un autre soleil qui, eux, sont éternels. C’est ce regard naïf et prodigieux de l’homme qui ordonne le chaos, l’ensemence, l’engrosse et le fait accoucher de l’esprit — rare oiseau de feu tout grelottant de froid dans le cachot où nos contemporains le dédaignent, les malheureux! Sans ce regard, l’homme se fait esclave de la mort. Sans ce regard, notre temps est condamné à périr.
Il n’y a plus de pensée pure et c’est pourquoi il n’y a plus de cause juste. On nous a même retiré le droit de nous battre pour une vérité. Cependant, il faut choisir. Et qui choisir? Le parti des plus innocents, même si derrière leur petite façade se cachent les plus redoutables hypocrisies. Nous n’avons plus le temps de distinguer les nuances de peur de nous condamner à l’impuissance. — Écoutez, dis-je, pourquoi faudrait-il choisir entre le communisme et le fascisme, lorsqu’ils sont tous les deux au service d’une abstraction dont les hommes sont les jouets? Il y a là une idée d’ordre qui va à l’encontre de l’être humain, parce que l’être humain connaît sa liberté dans le droit à se tromper, puis à renverser son erreur et à se grandir par l’épreuve. Tout au contraire, les totalitarismes sont des erreurs que nul n’a le droit de renverser et qui nient de s’être jamais trompées! Ils reposent sur la toute-puissance de l’anonymat que l’on affuble du nom de collectif.
Parce que la virginité est précieuse mais elle doit enfanter — sinon elle est comme une terre frappée de stérilité. Ce sont deux vers de Silésius et c’est justement cela que Bœhme a confié à la philosophie occidentale et qu’elle n’a pas entendu. La pureté n’a d’autres sens que la création. Or, nous gens de ce siècle torturé, nous avons égaré jusqu’au désir de cette pureté élémentaire sans laquelle il n’est pas de création possible, ni de sens! Nous nous sommes égarés dans les croyances et avons perdu la foi! Nous nous sommes changés en mécaniciens et ne comprenons plus que les méthodes. Nous inventons et ne créons plus. La prostituée de Babylone a tendu sa coupe d’insane vers nous et nous y avons bu.
Une nageuse avait joint le bord de la piscine. Une masse de cheveux noirs s'échappait qu'elle fit voleter à droite et à gauche par une rotation de la nuque. Elle gravit les quelques marches et, ruisselante, ramassa un peignoir de bain et vint vers nous.
Était-ce possible ? Patricia dans la piscine de Jonathan ? Je savais que ce serait elle qui tiendrait le rôle de mon héroïne, mais de la voir ainsi, ses pieds nus ses orteils et en peignoir de bain devant moi... "Salut" fit-elle, et elle me tendit sa main.
Né en 1931 dans les Ardennes, sous le nom de Jean-Paul Baron, Frédérick Tristan, auteur de plus de trente livres en soixante ans d'écriture, aime brouiller les pistes. Comme Fernando Pessoa, il a créé des hétéronymes qui écrivent à sa place, dont celui de Danielle Serréra, jeune poétesse suicidée à 17 ans. En 1983 il obtient le prix Goncourt avec « Les Égarés ». Membre éminent du courant littéraire de la Nouvelle Fiction identifié par Jean-Luc Moreau, il a notamment publié « le Dernier des hommes » (1993), « L'Énigme du Vatican » (1995), « Stéphanie Phanistée » (1997), ainsi que des romans policiers sous le nom de Mary London. En 2000, il reçoit le Grand Prix de littérature de la Société des Gens de Lettres pour l'ensemble de son oeuvre, rééditée par Fayard depuis 1997. Il a publié ses mémoires en 2010 : « Réfugié de nulle part » (Fayard, 470 p.).
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