Aucun écrivain allemand ou d'expression allemande n'aura fait les louanges
de la France et des Français avec plus de conviction et verve que
Kurt Tucholsky, né en 1890
à Berlin. Dans son appréciation de la douce France, il est allé encore plus loin que
Thomas Mann,
Walter Benjamin et même
Joseph Roth, qui y est venu mourir en 1939.
Sa vénération
de la France et sa sympathie pour les Français ont été nettement moins appréciées outre-Rhin, surtout par des éléments de l'extrême droite nationaliste et revancharde, tels le général
Erich Ludendorff et le caporal
Adolf Hitler.
Ses livres furent parmi les premiers interdits et brûlés, déjà en mai 1933, et 3 mois plus tard, le 25 août 1933 les autorités nationales-socialistes le déchoient de sa nationalité !
Il est vrai que
Kurt Tucholsky disposait d'une série d'autres qualités qui figuraient très bas sur le hit-parade de ces nationaux- socialistes : il était d'origine juive, portait un nom slave, tenait des propos gauchistes, écrivait un peu trop bien, utilisait fréquemment dans ses écrits un humour cynique et amer et était un pacifiste par conviction intime et vocation publique. Bref, il rassemblait toutes les caractéristiques dont les nazis avaient profondément horreur !
Pas étonnant que dans ce climat charmant qui régnait en Allemagne, le 7 avril 1924, cet enfant terrible sortait du train à Paris, muni de 2 contrats avec des rédactions de publications, mais encore sans sa bien-aimée épouse, Mary Gerold (1898-1987). Quoi qu'il en soit il avait la ferme intention de s'installer à Paris pendant un bon bout de temps. Comme son idole littéraire
Heinrich Heine (1797-1856), Tucholsky aura passé une bonne partie de son existence à l'étranger.
En France, il est resté 5 ans, jusqu'en 1929 et son départ définitif pour la Suède.
J'admire sincèrement
Kurt Tucholsky comme journaliste, conférencier, écrivain, poète etc. mais son plus grand mérite demeure à mes yeux ses engagements comme pacifiste. Lors de la Première Guerre mondiale il avait été soldat et pendant 3 ans et demi il avait tout fait pour ne pas tuer un soldat de l'autre camp, sans pour autant être fusillé par son propre camp.
Son objectif principal après la guerre fut de prêcher pour la paix : "empêcher un nouvel embrasement des nations". Ce qui est unique dans sa conception du pacifisme, ce ne sont pas les écrits scientifiques et académiques contre la guerre, mais son souci de mobiliser le peuple comme fer de lance d'un mouvement plus large. Ainsi, il a multiplié les initiatives pour les échanges franco-allemands de jeunes.
L'éditeur Rivages et surtout le traducteur de l'ouvrage et l'auteur d'une excellente préface, le professeur
Alexis Tautou, de l'université de Rennes 2, spécialiste de littérature germanique, ont réalisé un travail exemplaire. Rien que ses annotations sont tout à fait remarquables.
Alexis Tautou y mentionne de nombreux personnages politiques et littéraires et leur position exacte par rapport à un fait ou événement déterminé, il s'y réfère également à la
correspondance du couple Tucholsky. Il convient de noter qu'après la mort de Kurt, c'est Mary qui a géré et pris grand soin des archives Tucholsky.
Les chroniques françaises et parisiennes de l'auteur totalisent près de 120 textes. L'éditeur et le traducteur en ont retenu 24 qui leur ont paru les plus représentatifs et importants. Ces 24 chroniques forment en toute logique 24 chapitres de longueur inégale. L'ouvrage en tout compte 160 pages.
Les thèmes évoqués sont très variés et couvrent entre autres les particularités des Parisiens et Français en comparaison avec leurs "frères teutoniques". Et rassurez-vous les Français sortent quasiment toujours largement gagnants. Les 2 catégories qui forment pourtant une exception sont les agents immobiliers et les concierges !
Tucholsky relève aussi des singularités linguistiques des Parisiens et a écrit un passage carrément loufoque sur l'exclamation "merde !" et les délibérations et le décret à ce propos de l'honorable Académie française !
Kurt Tucholsky est malheureusement décédé jeune : à 45 ans en 1935 à Göteborg en Suède. Souffrant d'une maladie, le 20 décembre il a pris trop de somnifères, est tombé dans le coma et est mort le lendemain à l'hôpital. En Allemagne on a conclu au suicide, mais l'auteur de la plus complète biographie de Tucholsky, Michael Hepp, a conclu formellement, en 2015, à une méprise. À ce moment il était d'ailleurs en pourparlers avec l'écrivain
Arnold Zweig en Palestine.
Il est évident qu'avant tout les Parisiens trouveront sûrement des choses intéressantes dans le Paris tucholskien.
Du genre : "Car si l'Anglais a ses clubs, le Français, lui, a ses déjeuners". le déjeuner comme élément de sociabilité.