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EAN : 9782844853752
64 pages
Allia (24/02/2011)
4.25/5   50 notes
Résumé :

Dans cette conférence prononcée en 1935, Paul Valéry délivre ses impressions sur l'évolution de l'intelligence en une époque où le progrès ne cesse de bouleverser les habitudes et les modes de pensée. Les progrès techniques de l'âge industriel apportent un nouveau confort mais aussi entraînent une certaine paresse, de corps et d'esprit, une impatience toujours plus vive à obtenir ce qu'on ve... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Sensibilité et intelligence

Le 16 janvier 1935, Paul Valéry donnait une conférence à l'université des Annales sous le titre “Le Bilan de l'intelligence” : laquelle conférence n'a rien perdu avec le temps de la justesse de son constat.
La parole de Valéry se déploie avec la limpidité d'un cristal de roche : le propos est lumineux en tous points et nous conduit à mieux discerner les parois de cette caverne où nous passons notre vie à jouer avec des ombres.
C'est ici que les vers de Boileau (issus de son "Art poétique") prennent leur plein sens : « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

Loin de tout dualisme réducteur, Paul Valéry affirme la nécessaire coexistence de la sensibilité et de l'intelligence. Si l'une vient à manquer, l'autre s'éteint aussitôt, de même que la flamme d'une bougie par manque d'oxygène. Car, sans un minimum de sensibilité, comment nous serait-il possible de “comprendre” quoi que ce soit ? Sans cette clef de voûte, nulle intelligence véritable. Allons donc boire à la source première des mots, au ruisseau de l'étymologie qui toujours désaltère et empêche à la pensée de trop s'assécher.
“Intelligence” provient du latin “intelligere”, qui signifie “connaître”. “Sensibilité” est, quant à lui, issu de “sensibilitas” qui annonce, entre autres, le “sens” et la “signification”. Nous pouvons donc voir ici l'harmonie de ces deux termes et en quoi leur mariage est pleinement légitime et pas morganatique pour deux sous ! Abolissons donc le divorce stérile imposé à ces deux notions si étroitement mêlées et laissons-les dès lors coucher dans le même lit !

En 1935 déjà, Paul Valéry nous démontrait à quel point la sensibilité avait une fâcheuse tendance à s'émousser, laissant ainsi le champ large à la barbarie sous toutes ses formes. Les totalitarismes à venir, qu'ils fussent hitlériens ou communistes, allaient douloureusement corroborer son discours. Une fois de plus, Cassandre ne fut pas écoutée.
L'autre argument fort de cette conférence concerne l'inanité des diplômes et le tort que ceux-ci ne cessent de causer à l'éveil de l'esprit ainsi qu'à sa liberté propre. Pour finir, laissons parler Paul Valéry :

« Disons-le : l'enseignement a pour objectif réel, le "diplôme". Je n'hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l'ennemi mortel de la culture. Plus les diplômes ont pris d'importance dans la vie (et cette importance n'a fait que croître à cause des circonstances économiques), plus le rendement de l'enseignement a été faible. Plus le contrôle s'est exercé, s'est multiplié, plus les résultats ont été mauvais. […] du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt s'organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens. le but de l'enseignement n'étant plus la formation de l'esprit, mais l'acquisition du diplôme, c'est le minimum exigible qui devient l'objet des études. » (p. 43-45)

« Enfin, la question si difficile et si controversée des rapports entre l'individu et l'État se pose : l'État, c'est-à-dire l'organisation de plus en plus précise, étroite, exacte, qui prend à l'individu toute la portion qu'il veut de sa liberté, de son travail, de son temps, de ses forces et, en somme, de sa vie, pour lui donner… Mais quoi lui donner ? Pour lui donner de quoi jouir du reste, développer ce reste ?... Ce sont des parts bien difficiles à déterminer. Il semble que l'État actuellement l'emporte et que sa puissance tende à absorber presque entièrement l'individu.
Mais l'individu, c'est aussi la liberté de l'esprit. Or, nous avons vu que cette liberté (dans son sens le plus élevé) devient illusoire par le seul effet de la vie moderne. Nous sommes suggestionnés, harcelés, abêtis, en proie à toutes les contradictions, à toutes les dissonances qui déchirent le milieu de la civilisation actuelle. L'individu est déjà compromis avant même que l'État l'ait entièrement assimilé. » (p. 58-59)

© Thibault Marconnet
le 10 septembre 2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Bilan de 1935, mais que notre monde en accélération continue peut et doit encore méditer... Nous avons perdu le sens de la durée, bombardés que nous sommes sans cesse par tout, n'importe quoi et leurs contraires. La transition sentie par Valéry semble perpétuelle. Plus rien n'est stable. Tout bouge. La modernité vibre, fuit, court, s'effiloche, bâtit des chateaux de sable. Et l'intelligence? Elle subit. Certes les neurones sont excitées et les connexions se font et se défont à tire-larigot, mais la pensée, le lent travail d'élaboration d'un système d'explication du monde, fonctionne à vide. Nous croyons penser mais c'est l'air du temps qui cause dans notre cerveau. Lutter contre ce vide par l'éducation ? Oui, mais sans que le but unique de celle-ci soit le diplôme, ennemi mortel de toute vraie culture... Mais cessons là ce commentaire lui-même dans l'air du temps : il faut que je corrige les examens de mes élèves...
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Formidable texte qui date de 1935 mais qui nous incite encore et toujours à réfléchir sur notre environnement. Valéry constate l' évolution de la société et semble parfois le déplorer. À son époque déjà , il dénonce l'apparition d'une civilisation de la vitesse voire de l'urgence au détriment de la réflexion, de la sensibilité, matière première de l'homme. C'est un texte de court, pédagogique, intelligent, dénué de cet aspect moralisateur que l'on peut parfois retrouver chez certains auteurs du début du 20e siècle.
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J'adhère totalement à ce petit bijou d'analyse brillante.
Ce texte de 1935 aurait pu être écrit aujourd'hui. Il est limpide et très intéressant. Les thèmes abordés sont très actuels.
A citer copieusement.
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Petit discours qui se lit vite, en une heure vous en aurez fini avec la lecture.
Par contre, les réflexions qui ce texte suscitera chez vous vous donneront à réfléchir pendant quelques heures voir plus.
Voici un de ces textes intemporels, dont le propos est tellement juste qu'il nous faut le lire et le débattre presque cent ans après son écriture.
Il ne vous coûtera que peu, mais il vous apportera beaucoup.
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Nous possédons en nous toute une réserve de formules, de dénominations, de locutions toutes prêtes, qui sont de pure imitation, qui nous délivrent du soin de penser, et que nous avons tendance à prendre pour des solutions valables et appropriées.
Nous répondrons le plus souvent à ce qui nous frappe par des paroles dont nous ne sommes pas les véritables auteurs. Notre pensée - ou ce que nous prenons pour notre pensée - n'est alors qu'une simple réponse automatique. C'est pourquoi il faut difficilement se croire soi-même sur parole. Je veux dire que la parole qui nous vient à l'esprit, généralement n'est pas de nous.
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L'homme moderne s'enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d'excitants... Abus de fréquence dans les impressions ; abus de diversité ; abus de résonance ; abus de facilités ; abus de merveilles ; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l'artifice desquels d'immenses effets sont mis sous le doigt d'un enfant.

Toute vie actuelle est inséparable de ces abus. Notre système organique, soumis de plus en plus à des expériences mécaniques, physiques et chimiques toujours nouvelles, se comporte, à l'égard de ces puissances et de ces rythmes qu'on lui inflige, à peu près comme il le fait à l'égard d'une intoxication insidieuse. Il s'accommode à son poison, il l'exige bientôt. Il en trouve chaque jour la dose insuffisante.


[ Conférence prononcée en janvier 1935 ]
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Le diplôme fondamental, chez nous, c'est le baccalauréat. Il a conduit à orienter les études sur un programme strictement défini et en considération d'épreuves qui, avant tout, représentent, pour les examinateurs, les professeurs et les patients, une perte totale, radicale et non compensée, de temps et de travail. Du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt s'organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous les moyens. Le but de l'enseignement n'étant plus la formation de l'esprit, mais l'acquisition du diplôme, c'est le minimum exigible qui devient l'objet des études. Il ne s'agit plus d'apprendre le latin, ou le grec, ou la géométrie. Il s'agit d'emprunter, et non plus d'acquérir, d'emprunter ce qu'il faut pour passer le baccalauréat.
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Enfin, la question si difficile et si controversée des rapports entre l'individu et l'État se pose : l'État, c'est-à-dire l'organisation de plus en plus précise, étroite, exacte, qui prend à l'individu toute la portion qu'il veut de sa liberté, de son travail, de son temps, de ses forces et, en somme, de sa vie, pour lui donner… Mais quoi lui donner ? Pour lui donner de quoi jouir du reste, développer ce reste ?... Ce sont des parts bien difficiles à déterminer. Il semble que l'État actuellement l'emporte et que sa puissance tende à absorber presque entièrement l'individu.
Mais l'individu, c'est aussi la liberté de l'esprit. Or, nous avons vu que cette liberté (dans son sens le plus élevé) devient illusoire par le seul effet de la vie moderne. Nous sommes suggestionnés, harcelés, abêtis, en proie à toutes les contradictions, à toutes les dissonances qui déchirent le milieu de la civilisation actuelle. L'individu est déjà compromis avant même que l'État l'ait entièrement assimilé.

(p. 58-59)
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Le sport intellectuel consiste donc dans le développement et le contrôle de nos actes intérieurs. Comme le virtuose du piano ou du violon arrive à accroître artificiellement, par études sur soi-même, la conscience de ses impulsions et à les posséder distinctement de manière à acquérir une liberté d'ordre supérieur, ainsi faudrait-il, dans l'ordre de l'intellect, acquérir un art de penser, se faire une sorte de psychologie dirigée... C'est la grâce que je vous souhaite.
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Videos de Paul Valéry (45) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paul Valéry
https://www.laprocure.com/product/1525906/chevaillier-louis-les-jeux-olympiques-de-litterature-paris-1924
Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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