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EAN : 9782490385096
102 pages
Isabelle Sauvage (01/02/2020)
3/5   1 notes
Résumé :
Chaque livre de Christiane Veschambre porte en lui l’interrogation de l’écriture, ses manifestations, sa nécessité, son surgissement : d’où écrit-on ? dit la femme dit l’enfant creuse cette question une nouvelle fois, sous la forme inattendue d’un dialogue, voire d’une pièce de théâtre intérieur.
Une enfant apparaît au seuil d’une pièce où se tient une femme. Elle reste à la lisière de cet « autre monde », une « mer de tapis ». « D’où viens-tu » est la premiè... >Voir plus
Que lire après dit la femme dit l'enfantVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Sur le seuil où je t'ai vue, où je te vois

« Tout à coup tu te trouves là ». Une femme, une enfant, les apparats indiscutables d'un passage entre les espaces, une adjacente à l'autre monde, « Je te vois et ne te vois pas. Tu as la présence des fantômes qui n'ont pas besoin de se rendre visibles ». Comment ne pas penser à L'aventure de madame Muir – le film de Joseph L. Mankiewicz – Christiane Veschambre y fera référence plus avant dans son récit.

L'autrice parle du trop grand, du trop inconnu et… des tapis, « Les tapis, dit l'enfant, c'est une mer qu'il me faudrait franchir pour avancer dans la pièce », de l'attente, « Je ne t'attendais pas, et je sais que je ne dois pas t'attendre si je veux que tu puisse venir », d'entrée, « Sans entrée, montage cut du dehors et du dedans. Je n'ai pas peur de l'entrée ni du vaste espace gratuit, pas peur de l'ailleurs, seulement j'attends »…

Chacun·e peut se confronter aussi, aux limites, aux rebords, aux attentes et à ses fantômes, qu'iel écrive ou non, transforme ou non ses émotions en images ou en mots. La force du récit tient aussi à cette invitation à soi…

L'insomnie, « Les angoisses sont étroites, c'est de l'étroit qu'elles viennent, et celles de l'insomnie le sont encore plus », l'évaporation au dessus de « la fente de la nuit », les murs sans fenêtre, tout ce qui colle et nous fixe, les regards échangés, « Tu m'impressionnes, mais je n'ai pas peur. Ce n'est pas de toi que j'ai peur »…

La femme, l'enfant, « tu es au bord. Moi aussi. Pas le même ». Voir ou non, « Je ne te vois plus, dit la femme. Tu es comme un personnage sorti de scène. Quand tu étais là, quand tu es là, tu n'es pas du tout un personnage. Tu ne joues pas, tu n'es pas inventée, tu es tellement en vie que ce serait plutôt moi le personnage », la marche des émotions, le dessous du dessous, les peurs et leurs projections, le réel « comme un animal surpris s'engouffrant au profond du terrier », le seuil d'une grande pièce, « tu es silencieuse et tu me fais silencieuse »…

La femme parle au présent, quelque fois au futur, les dialogues se mêlent aux monologues intérieurs, les temps s'entrelacent et s'imbriquent, les chemins de l'écriture s'exposent et se dissimulent. Les miroirs des mots résonnent dans l'ombre des pensées furtives…

Une langue peut-elle être confinée à un seul usage ? La nuit permet-elle de mieux deviner et apercevoir ? « Dois-je me tenir toujours au bord, dit la femme, pour que tu te tiennes au seuil ? », que faire des questions sans adresse ?

Le connu et l'inconnu, l'absence de vocables pour cet autre monde, les mots qui ne sortent pas de la bouche mais qui se trouvent peut-être sur les chemins de l'errance, les ouvertures, « les choses humides enfermées moisissent », le froid de l'autre espace, l'histoire remémorée, la guerre d'Algérie, l'odeur fade des corps familiaux, les fantômes, les interrogations sur le voir, Une femme sous influence de John Cassavetes, les écrans noirs de nos nuits blanches comme le chantait Claude Nougaro, les paroles lancées à haut risque, « la blatte qu'est devenu Gregor Samsa », les mondes de la réalité imaginaire…

L'autrice regarde ce qu'il y a entre les murs, indique que parler seule est difficile, dessine une petite fille assassinée dans une valise, évoque Isabelle Huppert. Comment les mondes du cinéma pourraient-ils être absents de cet entre deux ?

L'espace, les interrogations sur l'intérieur et l'extérieur, les échasses de Marcel Proust, « Viens, approche-toi, tu ne m'approche pas », la légère et neuve douleur du ventre, le sang, les mensonges, « Il y a quelque chose de presque définitif, dit l'enfant, dans ma façon d'habiller la vérité, de la blanchir », les cruautés, la rayure tracée sur la vitre, Rithy Panh, la liberté et l'occupation, « Je pense à toi comme mon étrangère », la bouche des formules, les phrases de l'écrivaine…

Je trace les ponts permanents entre la littérature et le cinéma, les bords et les seuils. Je déroule les images en me saisissant des allusions de Christiane Veschambre. Je marche moi aussi sur cette jetée de Chris Marker. Je m'empare des images pour animer d'autres phrases. Je voyage immobile et marche dans ces paysages à peine animés. J'apprécie « la burlesque matérialité » des corps et des voix, le corps sexué et sexuant, ce qui peut-être vu « sur le seuil », peut-être un instant puis-je être cette femme et/ou cette enfant. Je perçois « l'usage humble et tendu » de la langue commune…

J'ai bien conscience d'avoir fait une lecture très personnelle, subjective. Aux autres lectrices et lecteurs maintenant de prendre la parole…

« Tu es mon intime autant que mon étrangère. D'ailleurs c'est cela ma condition : mon intime se tient de l'autre coté de la frontière. M'exiler c'est me rejoindre. Mais c'est un exil immobile. Si j'avais fait mouvement lorsque tu es apparue, tu te serais effacée. Dans ma condition, ce n'est que par bribes qu'arrive la parole de l'intime exilé »
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
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Extrait 2

Je suis entrée, dit l’enfant, je ne sais pas comment, dans
ce morceau de l’autre monde. Tout à coup je me retrouve
là, à quelques pas du seuil mais dedans. La dame a dû m’y
inviter, m’y faire venir. Elle ne m’y fait pas vraiment en-
trer. Je suis là en passant, probablement. Elle me voit et
ne me voit pas. Je dois rester au bord. Quand même, je
suis dedans. Un peu. Un peu plus que lorsque je suis allée
sonner chez madame Luciani, la professeure de latin, à qui
je devais rapporter je ne sais plus quoi. C’était une situa-
tion exceptionnelle. Après l’escalier ciré, la porte de bois
verni, la sonnette de cuivre, tous apparats indiscutables du
passage à l’autre monde, tous adossés sans le savoir – mais
moi je sais – à l’escalier de bois fendu et délavé, à la porte
la main qui frappe pour demander qu’on l’ouvre, je m’étais
retrouvée sur le seuil, juste sur le seuil. Madame Luciani
était venue du fond d’un couloir plein d’ombre, m’avait
pris des mains ce que je devais lui apporter, peut-être même
m’avait-elle embrassée, si ce n’est pour de vrai – un profes-
seur n’embrasse pas ses élèves – au moins en esprit, car elle
était pleine de sentiments madame Luciani, qui passaient
dans son corps et sa voix. Mais elle ne m’avait pas fait en-
trer. Je crois qu’elle était occupée. Je n’étais que provisoire-
ment adjacente à l’autre monde, une petite adjacente sur le
seuil, quelques instants, mais en quelques instants j’avais vu
le long couloir d’ombre, où venaient se résorber sans nul
doute les nombreux espaces d’un appartement de l’autre
monde, et, oui, je l’avais vu, lui, malgré l’ombre, d’un noir
plus lumineux que l’ombre, brillant sourdement de lueurs
blanches et noires
un piano.


p.11-12
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Extrait 8

On ne s’assoit pas dessus, on s’allonge le soir pour dormir, on
a la tête bordée par l’angle du cosy, et derrière l’angle du cosy
il y a la table où on mange poussée contre la cheminée, et
juste entre l’angle du cosy et le bord de la table, une petite
place pour mettre une chaise où je m’assois chaque soir
pour manger parce que de nous quatre c’est moi la plus
petite et que je peux me glisser là. Déjà ça : je vois bien
qu’il s’agit d’un autre monde là où on s’assoit presque par
terre sur un lit qui n’est plus un lit. Et tout cet espace vide,
seulement dévoué à une mer de tapis, comme si l’on avait
ouvert la maison à l’inutile. De l’inutile, je connais l’entrée.
Je l’ai apprise chez Juliette Verdun, sur le seuil de madame
Luciani, l’entrée c’est la façon qu’a une maison de n’être
pas familière, on n’entre pas chez soi avec une entrée, on
entre ailleurs, pas dans la buée familiale, l’odeur intime de
la vie nourricière et absorbante – chez soi, on est absorbé
autant que nourri – pas d’odeur avec l’entrée, de rumeur
des jours, de plain-pied. Sans entrée, montage cut du de-
hors et du dedans. Je n’ai pas peur de l’entrée ni du vaste
espace gratuit, pas peur de l’ailleurs, seulement j’attends.

Heureusement, dit la femme, tu n’as pas peur. Tu es devant
une étrangère mais tu n’as pas peur. Ça ne changerait rien
si je te disais qui je suis. Tu ne comprendrais pas. C’est moi
qui tremble un peu. Il n’y a que moi qui crois comprendre,
qui crois savoir qui je suis.
Tu me vois ici, dans la pièce aux tapis.


p.16
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Extrait 9

Mais j’habite une maison sans murs, une fragile et puis-
sante maison faite de seules fenêtres par où se glissent
ou s’engouffrent, suivant la force des vents, les émotions.
Elles me donnent vie, elles m’épuisent. C’est pourquoi j’ai
toujours eu besoin de dormir profondément. Toi aussi tu
dors profondément : tu es une enfant dont on protège le
sommeil dans la pièce commune. Tu es d’un bloc, encore.
Même si tu avances un pied puis l’autre sur le tapis, même
si tu t’avances dans cette pièce où tu ne sais comment
te mouvoir, tu resteras compacte : le temps n’est pas venu
de te fendre. Il est rare à présent que m’arrive le sommeil
profond. L’insomnie est une crevasse d’où s’enfuient le
sommeil et les rêves, ils disparaissent comme évaporés au-
dessus de la fente de la nuit, et se durcit la croûte noire où
se raclent sans fin les angoisses.
Les angoisses sont étroites, c’est de l’étroit qu’elles viennent,
et celles de l’insomnie le sont encore plus : ce n’est pas seu-
lement du passage de l’air dans la gorge qu’elles font un
détroit mais de tout l’être, peu à peu par cercles concen-
triques réduit à un point totalitaire. L’insomnie est royaume
du pouvoir, tous ses murs sans fenêtres défendus contre la
puissance – de l’émotion. Pas d’émotion dans l’insomnie,
c’est la fixité même. Puissance meut, pouvoir fixe.
Comment puis-je être en train de dire ces choses devant
toi ? C’est comme montrer la guerre à qui ne connaît que
son absence.


p.16-17
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Extrait 7

Je ne peux pas te parler, dit la femme. Rien n’a pourtant
bougé dans la pièce, rien n’a changé depuis que tu es là. La
musique est même peut-être plus présente, plus autonome.
Je ne t’attendais pas, et je sais que je ne dois pas t’attendre
si je veux que tu puisses revenir. Tu es arrêtée au bord
du premier tapis, le bleu, carré noir en son centre, tu n’es
pas timide, tu n’as pas le visage baissé, le corps effacé, tu
pourrais te remettre en mouvement avec le corps compact
et libre que l’on t’a donné, le corps des jeux et de la parole
jaillissante, celle qui charrie joie et colère – violente, la
colère lorsqu’elle te traverse –, qui charrie amour et coups
lorsque l’amour vient à manquer, une parole de coups qui
te ronge un peu le ventre après coup.
Ici, tu ne sais quelle parole laisser sortir, tu te tiens droite
dans ton gilet de laine bleu, celui que tu perdras au pro-
chain été, au bord du lac où tu auras couru tout l’après-
midi, et qui mettra un nœud au ventre de ta mère parce que
c’est beaucoup perdre que perdre un gilet.

Les tapis, dit l’enfant, c’est une mer qu’il me faudrait fran-
chir pour avancer dans la pièce. La dame est de l’autre
côté, assise bas, sans doute sur un matelas de divan posé
sur le sol, son dos appuyé au mur derrière. Le matelas est
recouvert d’un couvre-pied qui brille un peu. Je connais
les divans, mais pas posés par terre. Le divan, c’est un lit,
il y a le sommier dessous, et les pieds du sommier.


p.15
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Extrait 6

Tous ces tapis, dit l’enfant, voilà ce qui m’empêche
d’avancer. Ils sont par terre mais ils tiennent tout l’espace
de la pièce, ils sont plus vastes que des meubles, plus
riches, ils font quelque chose du par terre que je ne peux
même pas adosser au linoléum de chez moi. Ils ne font
pas richesse, non, ils font autre monde. Je ne crois pas
que chez Juliette Verdun il y avait des tapis. Du parquet
verni, oui. Une entrée, très longue, qu’il a fallu suivre
jusqu’au bout pour aller dans la pièce où on a joué. On
a beaucoup bien joué, jusqu’au moment du goûter. Sont
arrivées des tartines couvertes de confiture, aussi longues
que le couloir d’entrée, et je ne pouvais pas manger tout
ce rouge couloir de confiture sucrée. Et je n’osais pas
ne pas le manger jusqu’au bout. Je mâchais si lentement,
j’avalais mâchage après mâchage, je sentais que je retar-
dais la suite de nos jeux, Juliette Verdun avait fini depuis
longtemps, j’étais dans un certain malheur, je ne revien-
drai pas chez Juliette Verdun dont la mère gentille igno-
rait qu’au goûter on mange un morceau de pain beurré
et deux carrés de chocolat, et que c’est le petit mélange
dans la bouche du beurre doux et fade avec le chocolat
dur et sombre qui rend heureux.


p.14-15
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