Où se trouve le corps de
Federico Garcia Lorca? Depuis cette nuit d'août 1936, cette question ne cesse de tarauder les chercheurs et les admirateurs du poète. Près d'un olivier, sur la route entre Viznar et Alfacar, Lorca et trois compagnons d'infortune, l'instituteur républicain
Galindo, dit le boiteux, et deux anarchistes de la CNT, Juan Arcollas Cabezas et Fransisco Galadi Melgar furent exécutés. Au début de la guerre civile en Andalousie, l'heure est aux règlements de compte. Les trois hommes paient leur engagement politique de leur vie. Lorca, dénoncé par Ruiz Alonso, un voisin homophobe et jaloux, est quant à lui victime de rivalités séculaires entre familles grenadines, les Lorca, les Roldan et les Alba, qu'il a qualifiées de "pire bourgeoisie d'Espagne". Les Alba n'ont pas digéré "
La Maison de Bernarda Alba", le poète va le payer de sa vie. Antonio Benavides, qui est un de leur proche, se charge de l'exécution et se vantera plus tard "Je lui ai mis deux balles, à cette grosse tête".
L'affaire Garcia Lorca ne cesse de faire couler de l'encre, dans la presse comme dans les romans. Dans un des derniers ouvrages parus, "L'Amant uruguayen, une histoire vraie" de
Santiago Roncagliolo, l'amant de Lorca,
Enrique Amorim, aurait volé le cadavre de son amant. Dans
Beso de la muerte,
Gilles Vincent nous offre une nouvelle variation sur l'assassinat et la quête de sa dépouille.
Beso de la muerte s'ouvre sur cette nuit andalouse. Un groupe d'hommes, mené par Antonio Benavides de l'Escadron noir, s'apprête à exécuter les quatre prisonniers sur le bord d'une route. Un mystérieux Capitan à moto, qui semble redouté de tous, supervise les opérations, avec pour seule consigne, celle de ne pas laisser de traces: "Ce trou doit disparaitre des mémoires. Vous n'êtes jamais venus ici, nous ne nous sommes jamais rencontrés, jamais. le poète vous a échappé, vous ne savez pas ce qu'il est devenu. C'est tout."
En août 2011, le commissaire palois Thomas Roussel reçoit un appel de détresse de son ancienne compagne Claire Dandrieu: "El capitan, Thomas. El capitan." Son corps carbonisé est retrouvé le lendemain à Marseille. La commissaire Aïcha Saïda, chargée de l'enquête, va tenter d'élucider le meurtre et de percer l'identité du mystérieux capitan, avec l'aide de Roussel. El
beso de la muerte est l'instant durant lequel on touche la vérité du doigt. Ce baiser fut-il fatal à Claire qui préparait un ouvrage explosif sur les commandos du G.A.L. et s'apprêtait à faire de fracassantes révélations sur les gouvernements Gonzalez et Chirac? Aux échecs, el
beso de la muerte est celui donné par la dame placée à côté du roi adverse et secondée par un pion qui emporte la partie. C'est donc à une belle partie d'échecs que
Gilles Vincent nous convie dans ce polar nerveux et ambitieux, qui parcourt plus de soixante années d'histoire espagnole, de la guerre civile à la transition démocratique, de la lutte anti-terroriste à la loi sur la Récupération de la mémoire historique. Ce polar concis (un peu trop peut-être) avec de beaux personnages, une femme intelligente et sympathique, ni super woman, ni traumatisée par un lourd passé, un immonde salaud qu'on aime détester, un ancien ministre de l'Intérieur et le classique flic fatigué ancien alcoolique qui traîne ses casseroles, est servi par une belle écriture. Il y a parfois quelques envolées lyriques, et l'enthousiasme contagieux de l'auteur qui parle de "république" au lieu de "démocratie" nous ferait presque imaginer le drapeau violet, jaune et rouge flottant au dessus de Las Cortes. "Etudier l'Espagne contemporaine, voyez-vous, c'est passer son temps à mettre de la lumière là où l'ombre s'obstine. (...) Fouiller les plaies de la guerre civile, mettre à jour des crimes impunis, jeter sur la place publique des noms qui, jusque-là, s'accommodaient du silence", dit un des personnages. El
beso de la muerte, à travers l'histoire symbolique du corps de Lorca, illustre parfaitement la difficulté d'instaurer une véritable démocratie et de s'affranchir d'une longue dictature, dans un pays où des villages comptent plus de morts à l'extérieur des cimetières qu'à l'intérieur. L'épigraphe de Saint-Evremont ne laisse guère de place à l'optimisme. Mais réjouissons-nous,
Beso de la muerte est un polar de très bonne facture dans lequel le mobile du crime n'est lié ni à la passion, ni à l'intérêt mais à l'amour de la poésie. Federico, Federico, que ne ferait-on pas en ton nom...