Il y a plusieurs sortes de riches. Ceux qui le deviennent, comme le grand-père Ernest, ou qui l’ont été, comme nous. Ce sont des riches d’occasion, qui entretiennent avec l’argent des rapports épisodiques et ambigus. Qu’ils l’amassent ou le dilapident, ils le considèrent avec méfiance ou respect, comme s’il s’agissait une engeance mystérieuse, étrangère à leur nature, à qui ils prêtent un pouvoir plus ou moins magique, des intentions malignes. « L’argent va à l’argent » (…) Il y a enfin la catégorie moins répandue (mais la plus sérieuse) des riches d’institution. C’est à peine s’ils le remarquent ou en font état. Ils en parlent comme d’une chose banale, qui coule de source et n’exige pas d’explications. L’argent leur est, en quelque manière, consubstantiel. Ils l’ont reçu en partage, comme le pigment de leur peau, la couleur de leurs cheveux, (…) On se répète à mi-voix la fable de La Fontaine, qui célèbre à juste titre le bonheur de l’humble savetier, comparé aux tourments du financier, chaque jour sur la brèche, à surveiller le cours des valeurs et la stabilité de la monnaie.
Après le dîner du mercredi, chez ma mère, avait lieu la cérémonie des cartes. Il fallait battre, couper, choisir, et disposer en demi-cercle, sans les retourner, les lames du jeu de tarots. Ensuite ma mère découvrait l’une après l’autre. C’était le moment décisif où je voyais apparaître mon destin à travers les figures et les couleurs. D’un coup d’œil, j’évaluais le nombre des deniers, symboles d’abondance, par rapport aux épées et aux bâtons, sources d’embûches et de difficultés. La Maison-Dieu, le Pendu, le Bateleur, c’était la chute, la trahison, l’inconstance, heureusement compensées par la présence du Soleil, de l’empereur ou de la Papesse. La Mort, suivant la place qu’elle occupait dans le jeu, pouvait annoncer la fin d’une liaison, un changement d’emploi. (…) Le Diable exprimait la réussite matérielle…….
Du lieu où il se trouve, le garçon peut rêver (…) Le rez-de-chaussée est occupé par un bistrot à l’enseigne de La Chope des Singes, en face du pont tournant. C’est de là que plus tard, perdu au milieu des badauds, il verra sur la passerelle encombré de techniciens et de projecteurs Arletty et Louis Jouvet échanger leurs répliques célèbres sur le quiproquo d’ « atmosphère ». L’atmosphère en question était celle d’un décor et d’une époque dont rien ne saurait donner un équivalent qu’aujourd’hui. Elle existait sans qu’on la remarque, comme l’air nous renvoie la diversité des odeurs.
Albert Camus ou la
passion de comprendre ; 2
Hommage rendu par
Roger VRIGNY et
Jacques BRENNER à
Albert CAMUS, "
Albert CAMUS ou la
passion de comprendre". Construit avec des extraits d'archives et d'interprétations de ses oeuvres.
Albert CAMUS donne une représentation des "Justes" en 1950 pour poser la question : "peut-on accomplir des actes injustes au nom de la Justice?".
A 0' 50 : Extrait de l'acte III des "Justes" avec Maria...