« bonsaï » est le premier roman (2006) de l'écrivain chilien
Alejandro Zambra, traduit par
Denise Laroutis (2015, Payot & Rivages, 108 p.).
« A la fin, elle, elle meurt et lui reste seul, même s'il était en réalité resté seul plusieurs années avant sa mort à elle, la mort d'Emilia ». Voilà que cela commence bien, il y aura moins de dialogues. A moins que dans un long retour arrière, on ne reparle des liens entre Julio et Emilia. « A La fin, Emilia meurt et Julio ne meurt pas. Tout le reste est littérature ». Hélas… Mais il est vrai que c'est son premier roman, et qu'il est chilien, donc comparé à Roberto Bolaño.
Donc, un petit livre, en cinq parties « Un Paquet », « Tantalia », « Emprunts », « Restes », et « Deux Dessins ». Avec les pages de garde, cela fait moins de 100 pages de 24 lignes chacune, à une quarantaine de signes par ligne, soit moins de 100 000 signes en tout. Deux heures de lecture en tout. Avec peu de mots difficiles, sauf « follar ». Car « au Chili, si on ne fait pas l'amour, on ne peut que niquer ou forniquer ». Zambra préfère le mot « follar », classé comme vulgaire, pour désigner l'occupation, dont son protagoniste pratique assidument. Quoique, à lire attentivement la suite, on a plutôt l'impression que c'est du touche pipi que d'un érotisme débridé, désignée d'ailleurs par « découverte des affinités émotives ». Par contre, je ne sais si c'est un lapsus de traduction ou non, mais lire qu'Emilia part vivre à Madrid, « ville où elle allait « follar » pas mal, non plus avec Julio, mais ; fondamentalement, avec
Javier Martinez, et avec Angel Grarcia Atienza, et avec Julian Albuquerque », je me pose des questions sur la signification et positionnement de l'adverbe, plus que sur sa quantification.
S'ailleurs, dans la page suivante, on apprend que « le premier petit copain d'Emilia était maladroit ». Mais « sa maladresse ne manquait pas d'authenticité ». Deux énoncés qui me laissent tout autant dubitatif quant à la traduction de « follar ». Tout en étant vulgaire, mais est-ce une caractéristique de l'Amérique du Sud, le terme de « culear » eût été plus idoine.
Pour revenir aux fondamentaux, on passe au chapitre « Tantalia ». Quoi est-ce ? Un texte de Macedonio Fenandez (1874-1952) écrivain et poète, et surtout directeur de la revue « Martin Fierro ». Nous y revoilà. le grand mythe sud-américain. « Tantalia » un opuscule publié en 1930, réédité (1973, Ediciones Anzilotti, Buenos Aires, 20 p.), en sept couleurs sous coffret, mais traduit, allez savoir pourquoi, en thai (2016, พันหนึ่งราตรี, 64 p.) avec un ISBN pour les amateurs (9786168051009).
Bref, une histoire (de 1930) entre un jeune homme et une jeune femme, Ella. « Une très longue histoire que personne ne connaît bien, une histoire commune, dont la seule particularité est que personne ne sait bien la raconter ». Ou un très court roman d'une centaine de pages, mais c'est « une histoire simple qui se complique ».
Histoire dans laquelle du trèfle offert par la femme représente leur amour. On n'est pas loin de Io et Zeus. S'il mourait (le trèfle), non seulement leur amour serait brisé. Mais cela signifierait aussi la vie de l'une ou l'autre des parties. « Je l'ai imité jusqu'à transcrire. Au point d'être voué et fou au plagiat. Je sens que Macedonio est métaphysique. Il est littérature » ou plus prosaïquement « bête à manger du foin ». de fait « « Je nie la Mort, il n'y a pas de Mort même en tant que dissimulation d'un être pour un autre, quand pour eux il n'y avait que de l'amour ; et je ne le nie pas seulement comme mort à lui-même. S'il n'y a pas de mort de celui qui a ressenti une fois, pourquoi n'y aurait-il pas la cessation totale, l'anéantissement du Tout ? ». C'est beau comme de l'aède antique ». Quasiment un hymne au trèfle « Tout ce qu'un trèfle veut et tout ce qu'un homme veut est donné et refusé ». Et le dilemme atroce qui s'ensuit « Sa pensée connaissait l'égale possibilité du Néant et de l'Être, et croyait intelligible et possible une substitution du Tout-Être au Tout-Rien ». Mais vient la fin, belle comme un coucher de soleil chilien. « Un jour, le Sauveur-de-l'Être viendrait… ». « Mais elle est venue un jour ». Et la chute (du texte). « Alors la Cessation est potentiellement causée ; nous pouvons l'attendre Mais la recréation miraculeuse de l'amour conçue en même temps par l'auteur luttera peut-être avec celui-là ou triomphera plus tard après la réalisation du Non-Être. En vérité, le continuum psychologique conscientiel est une série de cessations et de recréations plutôt qu'un continuum. je les ai vus s'aimer encore; mais je ne puis le regarder ni l'écouter sans une soudaine horreur. J'aurais aimé qu'il ne m'ait jamais fait sa terrible confession ».
Retour à Emilia et Julio. Ce dernier qui ment en disant qu'il a lu
Marcel Proust. Ce qui illustre niveau de la drague au Chili…. L'histoire de deux personnes qui se mentent. Afin de pouvoir créer leur propre vérité, étrangère et lointaine, ce qui finit par les rendre lointains et étrangers. L'histoire de deux personnages, destinés à se perdre depuis qu'ils se sont trouvés. C'est, comme le dit le narrateur « une histoire légère qui devient lourde ». Un roman qui, comme un bonsaï n'est pas un arbre, un roman plus qu'un court roman ou bien une longue histoire qui serait un résumé de roman ou, précisément, un roman-bonsaï. Pour un premier roman, c'est une histoire courte qui narre un tas de choses. D'ailleurs, tout y et résumé dans le premier paragraphe. Plus ou moins, une théorie de l'écriture et de la littérature qui va avec. « A quoi ça sert d'être avec quelqu'un si ça ne va pas changer ta vie ? ». Et pour définir son livre-bonsaï. « À la fin, elle meurt et il reste seul, bien qu'en réalité, il ait été seul plusieurs années avant sa mort ».
Enfin, le début devenu fin, ou la fin qui n'est qu'un début. « Une fois sorti de son pot de fleurs, l'arbre cesse d'être un bonsaï ». Des personnages qui ne le sont pas, et s'ils le sont, ils n'ont pas d'importance. En fait, le livre est résumé dans son premier paragraphe. Une sorte de théorie de l'écriture et de la littérature. « A quoi ça sert d'être avec quelqu'un si ça ne va pas changer ta vie ? C'est ce qu'il a dit, et Julio était présent quand il l'a dit : cette vie n'avait de sens que si tu trouvais quelqu'un qui la changerait pour toi, qui détruirait ta vie ».
La vie continue alors pour Julio. Il a besoin d'argent, donc il vend ses livres, plutôt bien.et il se met à écrire. Il a déjà le titre. Ce sera « bonsaï ». « Un bonsaï est une réplique artistique d'un arbre, en miniature. Il se compose de deux éléments : l'arbre vivant et le contenant. Les deux éléments doivent être en harmonie et la sélection du pot approprié pour un arbre est presque une forme d'art en soi ». En plus du titre, il y trouve la matière. « Soigner un bonsaï, c'est comme écrire, pense Julio. Écrire, c'est comme soigner un bonsaï, pense Julio ».
On en arrive à la fin du court roman, ou de la longue nouvelle. Un roman bonsaï lui aussi, ce qui ne va pas de soi lorsque l'on écrit un premier roman. Il faut dire que les incipits donnaient déjà la tonalité de la suite. Deux pour faire joli. « Les années ont passé et la seule personne qui n'a pas changé était la jeune femme du livre ». Elle est de
Yasunari Kawabata. La seconde est de Gonzalo Millan « La douleur est mesurée et détaillée ».
On retrouve cette obsession de l'arbre qui pousse dns un autre de ses livres « No Leer » (Ne pas lire) publié plus tard (2010, Anagrama, Editorial S.A, 320 p.). C'est sous la forme de « l'histoire d'un homme qui, au lieu d'écrire – de vivre – a préféré rester chez lui à observer la croissance d'un arbre ». Et de fait,
Alejandro Zambra écrit, comme le lui a conseillé
Jorge Luis Borges « d'écrire comme s'il écrivait un résumé d'un texte déjà écrit ».